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Tensions dans l’économie française : un peu, beaucoup ou pas du tout ?

20/03/2019
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La croissance française a beaucoup perdu en vigueur entre 2017 et 2018, la question étant de savoir si elle a d’ores et déjà dépassé son potentiel.

D’un côté, l’inflation sous-jacente n’a que peu augmenté, suggérant un écart de production toujours négatif.

Mais de l’autre, les enquêtes font toujours état de tensions importantes sur les capacités et les facteurs de production, suggérant à l’inverse une position assez avancée dans le cycle.

Si la question de la fin du cycle n’est pas tranchée, le constat que l’environnement mondial se dégrade et qu’il pèse sur l’activité est largement partagé.

La crainte est que le ralentissement actuel dégénère en récession en 2019 mais cela ne nous semble pas être le scénario le plus probable.

La croissance française devrait renouer en 2019 avec deux caractéristiques qui lui sont souvent associées : peu dynamique mais résistante à la faveur notamment des mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages.

Il y a un an environ, la forte hausse des tensions dans l’économie française, dont témoignaient le net dépassement de sa moyenne de long terme du taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie, l’importance des contraintes d’offre et des difficultés de recrutement (que ce soit dans l’industrie, les services ou la construction), soulevait la question de la position de l’économie dans son cycle[1]. La question était, plus exactement, de savoir à quel point l’écart de production était refermé (et le cycle avancé, et donc proche de la fin) et, en corollaire, à quel point la croissance pouvait s’en trouver freinée. La difficulté de l’exercice était accrue par la discordance des signaux alors disponibles : écart de production déjà positif en 2017, et assez nettement, d’après les indicateurs de tensions susmentionnés ; encore négatif, mais plus très loin d’être refermé, d’après l’estimation traditionnelle par fonction de production de la Commission européenne ; encore assez nettement négatif d’après la faiblesse de l’inflation sous-jacente.

Notre diagnostic, à l’époque, était que l’économie française avait quitté la phase de reprise pour entrer dans celle d’expansion, caractérisée par une croissance moins forte mais toujours supérieure à son rythme potentiel. Le pic de croissance était probablement dépassé mais le pic du cycle ne semblait pas encore atteint et la fin du cycle semblait, a fortiori, plus lointaine encore.

Quelle est la situation aujourd’hui ? Elle n’a pas gagné en clarté (les différents indicateurs continuant d’envoyer des signaux disparates) tandis que le diagnostic est désormais moins positif.

En résumé, la croissance française a beaucoup perdu en vigueur mais elle est restée « sous tension ». Elle ne montre toujours pas de signes évidents de blocage, typiques d’une fin de cycle, mais celle-ci n’en semble pas moins s’être rapprochée. Le curseur de l’inflation n’a, quant à lui, que peu bougé et pointe toujours vers une absence de tensions.

Croissance moins forte

En 2018, la croissance française s’est avérée nettement moins soutenue que prévu, s’établissant à 1,5% en moyenne[2] alors qu’au printemps 2018 les prévisions, à leur plus haut, tablaient sur un peu plus de 2%. En rythme trimestriel annualisé, la croissance est même passée en deçà du rythme potentiel (cf. graphique 1). Il est également notable que le freinage français (-0,8 point) a été un peu plus marqué encore que celui de la croissance de la zone euro (-0,7 point, passant de 2,5% à 1,8%).

Croissance à nouveau en sous-régime

La forte baisse de régime de la croissance française en 2018 est imputable à des facteurs endogènes et exogènes, les seconds, de grande ampleur, venant accentuer l’effet plus mesuré des premiers (cf. infra). Les facteurs exogènes englobent une série de chocs internes (choc fiscal négatif au T1 ; grèves dans les transports ferroviaire et aérien au T2 ; mouvement social des « gilets jaunes » au T4) et un ensemble de freins extérieurs communs aux économies de la zone euro (moindre croissance mondiale, tensions commerciales, hausse des prix du pétrole et de l’euro[3]). Ces facteurs exogènes ont plus spécifiquement affecté deux composantes de la demande : la consommation des ménages et les exportations. La consommation des ménages a ainsi progressé plus lentement encore en 2018 qu’en 2017 (+0,8% après +1,1% en moyenne annuelle). Et la faible croissance des exportations en 2018 (+3%) souffre d’autant plus de la comparaison avec 2017 (+4,7%) qu’il s’agissait d’une année de rattrapage après la contre-performance de 2016 (+1,5%)[4].

Sollicitation toujours importante des ressources productives

Les facteurs endogènes font référence aux contraintes d’offre et aux difficultés de recrutement déjà évoquées. De par leur nature-même et leur importance, ces tensions sur les capacités et les facteurs de production ont certainement contribué au freinage de la croissance mais dans une ampleur qui nous semble limitée au regard du dynamisme de l’investissement des entreprises en 2018 (en hausse de 3,9% après 4,4% en 2017 en moyenne annuelle) et du maintien à un niveau élevé des différents indicateurs de tensions.

Lorsque l’on agrège ces différents indicateurs[5] pour estimer, en temps réel et de manière dite directe, l’écart de production, la mesure obtenue montre qu’il a continué de s’accroître en 2018, bien que moins vite qu’en 2017 (cf. graphique 2). Une telle hausse signifie que la croissance réelle est restée supérieure à la croissance potentielle en 2018 et non inférieure comme l’indiquent les chiffres trimestriels officiels actuels. Ces indicateurs de tensions renvoient, à nos yeux, une image plus favorable, et plus juste, de la dynamique conjoncturelle endogène de l’économie française que celle renvoyée par les chiffres faciaux de croissance.

Différentes mesures de l’écart de production

Faiblesse persistante de l’inflation sous-jacente et absence d’autres signes de blocage

Si la croissance attendue en 2018 n’a pas été au rendez-vous, la hausse de l’inflation sous-jacente ne l’a pas été non plus. Les conditions d’une remontée assez nette semblaient pourtant réunies avec le renforcement de la croissance, l’apparition de pressions inflationnistes en amont[6], et les premiers signes d’accélération des salaires. Mais la hausse de l’inflation sous-jacente est finalement restée très mesurée : après 0,4% en 2017 en moyenne annuelle, elle ne s’est redressée qu’à 0,8% en 2018, restant en deçà de 1% pour la sixième année consécutive (cf. graphique 3).

Sagesse de l’inflation

Il ne s’agit pas ici d’analyser les causes de cette faiblesse persistante. Nous nous contentons de constater que le signal de tensions sur les prix que l’on guette, comme indicateur de maturité et de blocage d’un cycle, continue de manquer à l’appel et suggère un écart de production encore légèrement négatif, en décalage avec le signal positif des autres indicateurs.

En outre, l’économie française ne montre toujours pas d’autres signes spécifiques de blocage ou de surchauffe, que ce soit au regard de l’évolution du taux de marge des entreprises, du taux d’épargne des ménages, des conditions d’accès au crédit des entreprises comme des ménages, ou du niveau des taux d’intérêt.

Le début de la fin ?

La fin du cycle semble, pour autant, s’être rapprochée, non pas du fait d’un blocage interne et de tensions endogènes propres à l’économie française qui précipiteraient son retournement, mais en raison de la détérioration de l’environnement extérieur.

Après une année 2018 où la croissance a surpris à la baisse un peu partout dans le monde, les perspectives pour 2019 sont des plus incertaines. L’hypothèque forte que font peser sur la croissance les tensions commerciales internationales et le Brexit se maintient. L’incertitude porte aussi sur l’ampleur du ralentissement de l’activité aux Etats-Unis, en Chine et en Allemagne, qui fait l’objet d’inquiétudes grandissantes. S’agit-il d’une simple perte de vitesse transitoire, à mettre essentiellement sur le compte d’une succession de chocs ponctuels en voie de dissipation, ou sont-ce les prémices d’une récession ?

Une récession mondiale en 2019 n’est pas le scénario le plus probable. Les fondamentaux économiques, et en particulier la situation sur les marchés du travail, restent globalement bons. Le tableau conjoncturel n’est pas uniformément noir ni tous les clignotants rouges (les signaux avant-coureurs d’une récession) allumés. Par ailleurs, l’accès au crédit reste aisé et bon marché, et le policy mix est plutôt favorable.

S’agissant de l’économie française, nous prévoyons pour 2019 une croissance de 1,2% en moyenne annuelle, soit légèrement en deçà des estimations actuelles de la croissance potentielle. Cette prévision se situe aussi légèrement en deçà du Consensus et des prévisions des organismes internationaux (cf. tableau). Nous faisons, comparativement, preuve d’un certain pessimisme quand les toutes nouvelles prévisions de la Banque de France ainsi que celles de l’INSEE[7] font preuve d’un certain optimisme.

Si elle n’échappe pas au ralentissement général, l’économie française ferait néanmoins aussi, et surtout, preuve de résistance et ne perdrait que 0,3 point de croissance par rapport à 2018 quand la zone euro en perdrait 0,9 d’après nos prévisions.

Prévisions comparées de croissance

Cette résistance attendue s’appuie, d’abord, sur une caractéristique structurelle de l’économie française : son degré d’ouverture relativement peu élevé. Celui-ci lui est défavorable en temps de forte croissance du commerce mondial (dont elle bénéficie moins que des pays plus ouverts comme l’Allemagne) mais il lui est favorable quand le commerce mondial flanche comme aujourd’hui (car elle en pâtit moins). Cette résistance s’appuie, d’autre part, sur l’impulsion positive significative de la politique économique et budgétaire et le soutien apporté aux entreprises et aux ménages.


[1] France : où en est-on dans le cycle ?, Conjoncture n°5, juin 2018.

[2] Données cvs-cjo.

[3] S’ajoute à ces facteurs globaux, l’effet perturbateur sur le secteur automobile européen, allemand notamment mais aussi français, de l’introduction de la nouvelle norme anti-pollution WLTP en septembre 2018.

[4] Année marquée par une série de chocs sur d’importants secteurs exportateurs (mauvaises conditions météorologiques pour l’agriculture, problèmes de livraison dans l’aéronautique, baisse du tourisme suite aux attentats terroristes).

[5] Plus exactement : le taux d’utilisation des capacités de production, les trois soldes relatifs au manque de main d’œuvre dans l’industrie, les services et le bâtiment et les trois soldes relatifs à l’insuffisance de la demande dans chacun de ces trois secteurs.

[6] Signaux inflationnistes issus des enquêtes sur le climat des affaires (composantes “prix de production” et “délais de livraison” des indices PMI de Markit ; jugement des chefs d’entreprise sur les perspectives générales de prix dans les enquêtes de l’INSEE) et effets de second tour de la forte remontée des prix du pétrole depuis début 2016.

[7] Au T1 et au T2 2019, l’INSEE anticipe une croissance trimestrielle de 0,4%. En prolongeant ce rythme sur la deuxième partie de l’année, la croissance atteindrait 1,4% en moyenne annuelle.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE