Eco Emerging

Le secteur exportateur résistant face aux chocs externes

14/07/2019
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L’économie vietnamienne continue d’enregistrer de solides taux de croissance. Le PIB a progressé de 6,6% par an en moyenne depuis 2014, soit un taux supérieur à la moyenne de 6,3% de l’ensemble des pays émergents asiatiques. Après avoir atteint en 2018 son plus haut niveau des dix dernières années (à 7,1%), la croissance a légèrement ralenti depuis le début de 2019. Elle s’est établie à 6,7% en glissement annuel (g.a.) au S1, et devrait continuer de ralentir au S2. De par son important degré d’ouverture commerciale, le Vietnam est en effet vulnérable à l’affaiblissement de la demande mondiale et aux effets de contagion des tensions sino-américaines. Les Etats-Unis et la Chine (y compris Hong Kong) absorbaient chacun 20% des exportations vietnamiennes en 2018. Cependant, les perspectives de croissance du Vietnam restent très favorables à court et à moyen terme, soutenues par une demande interne toujours dynamique et l’expansion continue du secteur exportateur. Celui-ci pourrait même bénéficier de nouveaux investissements directs d’entreprises cherchant à établir leurs centres de production hors de Chine.

Tensions sino-américaines : un frein...

Prévisions
Exportations modérément affaiblies

La performance du secteur exportateur vietnamien s’est dégradée depuis l’an dernier, à cause de l’essoufflement de la demande mondiale et des répercussions de la hausse des droits de douane américains sur les importations de biens chinois. Les exportations de marchandises (mesurées en dollars courants) n’ont ainsi augmenté que de 7% en g.a. au S1 2019, contre 13% en 2018 et 22% en 2017 (graphique 2). Les conséquences des mesures tarifaires américaines ont été fortement ressenties depuis l’automne 2018, principalement via des effets de contagion à travers les chaînes de valeur régionales, ainsi que via les effets négatifs indirects sur la confiance, l’investissement et la demande mondiale. La croissance de l’industrie manufacturière vietnamienne a ralenti en conséquence, pour atteindre 11% en g.a. en termes réels au S1 2019, contre 13% en 2018 et 14,4% en 2017.

Dans l’ensemble, néanmoins, la performance du secteur manufacturier et des exportations reste relativement solide par rapport aux autres économies de la région, et le Vietnam continue de gagner des parts de marché à l’international (il représentait 1,3% du total des exportations mondiales en 2018). D’ailleurs, après avoir atteint un point bas au cours du T1 2019, les exportations ont retrouvé un peu de vigueur au second trimestre. Cette légère amélioration a bénéficié à d’autres pays insérés dans les chaînes de valeur asiatiques, mais la progression des exportations vietnamiennes a conservé son avance.

Le Vietnam connaît en effet une forte expansion de sa base de production manufacturière exportatrice depuis une dizaine d’années, largement soutenue par les entrées d’investissements directs étrangers (IDE). Les exportations de marchandises mesurées en pourcentage du PIB sont passées de 67% en 2012 à 100% en 2018, et cette expansion est allée de pair avec une diversification et une montée en gamme continues des produits exportés. Ainsi, les produits électroniques et téléphones représentent aujourd’hui 33% des exportations totales, contre 17% fin 2011.

… et une opportunité pour le secteur exportateur

Le Vietnam pourrait donc tirer profit des difficultés des exportateurs chinois : à très court terme s’il a la capacité de les remplacer partiellement pour fournir des biens manufacturés ou semi-manufacturés aux entreprises américaines cherchant à éviter les barrières tarifaires et, dans un deuxième temps, s’il réussit à attirer les investisseurs qui souhaitent déplacer leurs centres de production hors de Chine. De fait, depuis novembre 2018, le ralentissement des exportations totales a principalement résulté d’une contraction des livraisons vers la Chine et Hong Kong (-4,5% en g.a. sur la période novembre-mai) alors que les ventes vers les Etats-Unis ont rebondi (+24,7% en g.a. sur la même période) – ce qui laisse penser que l’industrie vietnamienne a bénéficié de certains effets de report.

Par ailleurs, la récente hausse du nombre de projets d’IDE dans l’industrie manufacturière et émanant de Chine et Hong Kong suggère que la délocalisation de certaines unités de production hors de Chine devrait effectivement profiter au Vietnam. Des industriels coréens et japonais ont également récemment annoncé leur intérêt d’y accroître leurs capacités de production.

Le Vietnam conserve des avantages comparatifs qui devraient lui permettre de continuer à attirer les entreprises étrangères. En particulier, il est déjà bien intégré aux chaînes de valeur en Asie, les coûts salariaux restent compétitifs, et les autorités poursuivent lentement les réformes visant à consolider la stabilité macroéconomique, renforcer le cadre institutionnel et améliorer l’environnement des affaires (le Vietnam est par exemple passé du 99ème en 2013 au 69ème rang en 2019 dans le classement pour 190 pays de l’indice de « facilité de faire des affaires », ou Doing Business, de la Banque Mondiale). En outre, la participation du Vietnam dans de multiples accords commerciaux témoigne de la volonté des autorités de promouvoir une politique de libre-échange. Par exemple, l’accord multilatéral de « Partenariat TransPacifique » (TPP) est partiellement entré en vigueur début 2019, et l’accord de libre-échange avec l’Union Européenne devrait l’être d’ici 2020. Un projet d’harmonisation de l’ensemble des accords bilatéraux avec les pays de l’ASEAN afin d’aboutir à un large accord de partenariat régional est également en discussion.

La position extérieure se renforce progressivement mais des vulnérabilités persistent

Une balance de base très confortable

Le Vietnam dégage des excédents courants depuis 2011. L’excédent commercial en est la principale composante : il s’est établi à 5,7% du PIB en moyenne depuis 2013, et à 6,8% sur l’année 2018 (graphique 3). Après s’être renforcé au cours des trois premiers trimestres de 2018, l’excédent commercial s’est réduit depuis le T4 2018 du fait de la dégradation de la performance des exportations. La croissance des importations s’est affaiblie comme celle des exportations (leur contenu en importations est élevé) mais reste néanmoins plus rapide, soutenue par la vigueur de la demande interne. Les transferts nets (aide internationale et, surtout, envois de fonds de la diaspora) sont le deuxième contributeur clé de l’excédent courant ; ils restent solides malgré leur lente baisse structurelle depuis quelques années, représentant 3,6% du PIB en 2018. En revanche, le solde net des revenus primaires est négatif et se détériore rapidement depuis 2017 (atteignant -6,5% du PIB en 2018), notamment sous l’effet de l’augmentation des profits rapatriés par les entreprises étrangères. La balance des services affiche quant à elle un déficit modéré (de 1,5% du PIB en 2018), qui se réduit légèrement depuis 2017 grâce au développement du secteur touristique.

Au final, l’excédent courant est passé de 2,9% du PIB en 2017 à 2,4% en 2018 et devrait atteindre 2,1% en 2019. Sa dégradation est modérée, et résulte à la fois de chocs externes (ralentissement des exportations de marchandises) et de facteurs structurels (hausse des profits rapatriés par les groupes étrangers dont dépend largement le secteur exportateur). En supposant que la base d’exportations continue de s’élargir, l’excédent courant devrait se stabiliser, voire se redresser légèrement en 2020.

Le Vietnam a bénéficié d’une balance de base (compte courant + flux nets d’IDE) largement positive depuis plusieurs années, et son recours à la dette extérieure est resté modéré. La hausse du stock de dette a été principalement alimentée par l’endettement du secteur privé, y compris via des prêts inter-entreprises. Le ratio de dette externe sur PIB est ainsi passé de 40% en 2012 à 48% en 2018, et le poids du service de cette dette est resté d’autant plus modéré que les recettes d’exportations se sont fortement accrues (il était estimé à 5,3% des exportations de biens et services en 2018).

La position de liquidité externe s’est également améliorée, mais elle reste fragile : les réserves de change ont plus que doublé depuis 2012, atteignant USD 55 mds fin 2018, mais ne couvrent toujours pas plus de trois mois d’importations de biens et services. Elles ne constituent donc pas un matelas confortable de protection contre les chocs externes. Elles devraient néanmoins continuer à augmenter en 2019-2020.

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