Eco Emerging

Une situation contrastée

14/07/2019
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Le système d’équilibre des pouvoirs à l’épreuve

Les contre-pouvoirs et les garde-fous institutionnels (i.e. le Parlement, le président, la Cour constitutionnelle, la banque centrale, l’Union européenne, la société civile et le monde des affaires) ont été mis à l’épreuve par le gouvernement. Jusqu’à présent, ils ont démontré leur efficacité face aux réformes gouvernementales controversées destinées à saper l’État de droit, qui s’est amélioré depuis l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007.

Prévisions
Croissance, inflation et chômage

Depuis deux ans, le gouvernement a multiplié les assauts contre l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire, faisant notamment du parquet anticorruption roumain sa bête noire, à l’origine de tensions politiques et sociales et d’une détérioration des relations entre Bruxelles et Bucarest. La Commission européenne a menacé de déclencher l’article 7 du traité de l’UE comme elle l’avait déjà fait vis-à-vis de la Hongrie et de la Pologne. En décembre 2018, le gouvernement a adopté par ordonnance un train de mesures d’urgence inattendues modifiant le système de retraite obligatoire, plafonnant les prix de l’énergie et instituant un nouvel impôt sur les entreprises des télécommunications et de l’énergie, et les banques (cf. infra). Ces mesures, amendées par le Parlement en mars-mai 2019, ont entraîné une dépréciation de 3 % du leu (RON) face à l’euro et une chute de 15 % à 20 % du principal indice boursier.

La coalition au pouvoir (PSD-ALDE) n’a obtenu que 22% des voix aux élections du Parlement européen de mai dernier (contre 46% lors des élections législatives nationales de 2016). Le parti de centre droit du Président Klaus Iohannis (PNL) est arrivé en tête avec 27% des suffrages. Dans la perspective de la prochaine élection présidentielle (novembre 2019) et des législatives (fin 2020 ou début 2021), le gouvernement pourrait adopter une orientation politique plus pragmatique et prévisible, d’autant plus que Liviu Dragnea, chef du parti social-démocrate (PSD), a été condamné à une peine d’emprisonnement pour abus de pouvoir.

Atterrissage en douceur et tensions inflationnistes persistantes

Le ralentissement progressif de la croissance depuis le pic conjoncturel de 6,8%, atteint en 2017, a réduit le risque de surchauffe. La croissance économique a dépassé les attentes au T1 2019, atteignant 5% en glissement annuel (g.a.) contre 4,2 % en moyenne en 2018. Mais elle devrait converger dans les prochains trimestres vers son potentiel, estimé aux environs de 3%. Outre un important effet de base et la dissipation des effets de la politique budgétaire procyclique, le principal facteur à l’origine du ralentissement tient à un environnement mondial moins favorable (essoufflement de la croissance au sein de l’UE, incertitude entourant le commerce mondial et dérive protectionniste). En dépit de tensions inflationnistes persistantes, la consommation privée devrait rester soutenue, portée par la croissance du revenu réel. L’investissement pourrait se redresser, après la contraction enregistrée en 2018, grâce à un rebond de l’investissement dans le secteur privé et aux projets cofinancés par l’UE. La demande intérieure, toujours dynamique, devrait aller de pair avec une contribution négative des exportations nettes à la croissance.

En 2018, l’inflation a bondi à 4,1 % en g.a. en moyenne pour l’IPCH (4,6 % pour l’IPC). Sur fond de demande intérieure vigoureuse et d’output gap toujours positif, l’IPC est ressorti à 4,1% (g.a.) en mai 2019 et l’inflation sous-jacente a accéléré à 3,2% (g.a.). L’inflation demeure au-dessus de la borne supérieure de la cible de la banque centrale (NBR), fixée à 2,5% +/- 1 point de pourcentage. La NBR a entamé un cycle de durcissement au début de 2018. Premier tour de vis monétaire depuis 2008, le taux directeur a été relevé à trois reprises au premier semestre 2018, de 1,75 % à 2,5%.

Compte tenu de l’orientation plus accommodante de la Fed et de la BCE, préoccupées par le risque de ralentissement économique, la NBR pourrait hésiter à durcir les conditions monétaires à court terme. Selon les prévisions du consensus des économistes, le taux directeur devrait se situer à 2,7% à la fin de 2019 et à 3% à la fin de 2020. Mugur Isarescu vient d’être reconduit pour cinq années dans ses fonctions de gouverneur de la NBR avec pour objectif l’adhésion du pays à la zone euro. D’ici là, l’importance des déficits jumeaux et de possibles soubresauts politiques pourraient exercer des pressions sur le RON. Eu égard à la vulnérabilité du gouvernement et du secteur bancaire au risque de change, la NBR interviendra probablement pour atténuer la volatilité du change.

Déficits jumeaux sous surveillance

Déficits jumeaux

Depuis 2016, le déficit budgétaire s’est écarté de l’objectif structurel à moyen terme, déclenchant un avertissement de la Commission européenne en vertu du volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. La politique budgétaire a été assouplie, avec une baisse des impôts et une augmentation des salaires de la fonction publique. Par ailleurs, le dynamisme de la demande intérieure et la hausse des prix des matières premières jusqu’à la fin de 2018 ont contribué à creuser fortement les déficits commercial et du compte courant.

La situation des comptes extérieurs ne devrait pas s’améliorer à court terme. Les augmentations salariales, nettement supérieures aux gains de productivité, ont fait grimper les coûts salariaux unitaires et pénalisé la compétitivité. Conjugués aux fonds structurels européens, les investissements directs étrangers nets, dynamiques en 2017 et 2018, pourraient ne plus compenser le déficit de la balance courante. La position de liquidité extérieure de la Roumanie n’est pas menacée à court terme. Les réserves de change offrent, en effet, un matelas confortable et les besoins de financement extérieurs sont gérables. Le ratio dette extérieure/PIB est passé sous les 50%, en particulier grâce au désendettement des banques.

Concernant les finances publiques, le budget 2019 cible un déficit de 2,8 % du PIB fondé sur une augmentation optimiste des recettes (+16 % contre environ +7 % pour le PIB nominal). La forte hausse des dépenses au titre des pensions de retraite et les élections qui s’annoncent ne sont pas de bon augure pour un assainissement budgétaire dans les prochains trimestres. Le déficit va probablement franchir de nouveau la barre des 3% du PIB, ce qui pourrait amener la Commission européenne à déclencher une procédure de déficit excessif. Dans un tel contexte, la dette publique devrait croître graduellement à partir d’un niveau faible, alors que l’environnement de taux d’intérêt bas a permis de réduire le coût du service de la dette. Les risques pour les finances publiques liés aux passifs contingents dans le secteur bancaire ont diminué. L’exposition souveraine aux investisseurs étrangers est relativement élevée, les non-résidents détenant près de la moitié de la dette publique, dont plus de la moitié est libellée en devises (surtout euro).

Secteur bancaire : un certain retour à la normale

Le système bancaire, qui a traversé une période difficile en 2013-2016, s’est désormais redressé. Il est, à présent, bien capitalisé et rentable. L’assouplissement de la taxe sur les actifs bancaires (absence d’indexation sur le ROBOR, taux d’imposition réduit et assiette fiscale plus étroite) a apporté un soulagement. Non seulement le dispositif initial aurait été préjudiciable à l’indépendance, la flexibilité et l’efficacité de la politique monétaire, mais il aurait aussi porté un coup à la rentabilité et à la solvabilité du système bancaire, ainsi qu’à l’activité de crédit, en absorbant potentiellement les deux tiers des bénéfices bancaires annuels.

Ni les entreprises ni les ménages ne sont fortement endettés (le ratio crédit au secteur privé/PIB est inférieur à 30%). La croissance du crédit a repris en 2017-2018, grâce à la faiblesse des taux d’intérêt, à la robustesse du marché du travail et aux politiques publiques en faveur de l’accès à la propriété. Le crédit est financé principalement par les dépôts. Malgré la hausse de l’inflation, la NBR a maintenu le taux de réserves obligatoires sur les passifs des banques à 8%. Le risque de crédit a diminué, le total des créances douteuses ayant reculé à 4,9% du total des prêts en mars 2019 contre un pic de 22% en 2014. Cependant, le niveau des prêts non performants des entreprises reste élevé (au-dessus de 10 %), en particulier pour les PME. Le bond des prêts hypothécaires (surtout à taux variables) expose les banques au secteur immobilier et à une hausse des taux d’intérêt. Les banques ont remboursé l’essentiel de leur dette extérieure et leur position extérieure nette est, à présent, proche de l’équilibre. L’« euroisation » reste un facteur de risques : 35% des prêts et 30% des dépôts demeurent libellés en monnaie étrangère. Les banques sont (indirectement) exposées au risque de change, via les prêts accordés aux emprunteurs nationaux (non couverts) ainsi qu’au risque souverain, la dette publique représentant 20 % de l’actif total des banques.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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