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Les taux d’intérêt peuvent-ils augmenter ?

25/02/2019
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En zone euro, les taux du marché monétaire évoluent en territoire négatif depuis plus de quatre ans ; ceux des emprunts d’Etat ou d’entreprises les mieux notés restent inférieurs à 1%.

D’abord vue comme une adaptation exceptionnelle à la crise, cette distribution des taux d’intérêt au voisinage de zéro perdure.

Pour certains, cette longue parenthèse finirait tout de même par se refermer, avec l’arrêt des achats nets de titres de la Banque centrale européenne, puis la remontée possible des taux directeurs, après l’été 2019.

Pour d’autres, le décor a définitivement changé ; un peu comme au Japon, l’affaissement des taux d’intérêt en zone euro acterait de l’épuisement du potentiel ainsi que d’une quasi disparition de l’inflation.

Le point de vue défendu ici est médian : la zone euro n’est pas tout à fait le Japon, les taux d’intérêt qui y prévalent n’ont pas vocation à rester indéfiniment à zéro.

Mais elle n’est pas non plus une zone monétaire optimale telle que des transferts puissent venir équilibrer les effets, variables selon les pays, d’une remontée des taux. Quel qu’en soit l’horizon, celle-ci ne pourra donc être que lente et limitée.

Voici plus de quatre ans que la zone euro opère en régime de taux d’intérêt et d’inflation exceptionnellement bas. Voici aussi plus de quatre ans que les anticipations de retour à la normale sont démenties (cf. graphique 1). A l’horizon de 2021, la Banque centrale européenne (BCE) veut encore croire que le rythme de l’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie), aujourd’hui proche de 1%, aura doublé pour se rapprocher de l’objectif officiel de 2%.

L’argument central est que, suite au recul du chômage, les salaires accélèrent enfin dans la zone euro. Le fait est que, à 2,5% sur un an, la croissance des rémunérations par tête est la plus rapide depuis dix ans.

Au-revoir là-haut

Pour la BCE, c’est le signe que les prix vont s’animer et que la politique monétaire peut être normalisée. Au 1er janvier 2019, ses achats nets d’actifs se sont arrêtés. S’ensuivrait, au plus tôt dès l’automne, une remontée des taux d’intérêt directeurs.

Le redressement concomitant de l’inflation et des taux fait aussi partie des hypothèses qui sous-tendent la courbe des forwards (cf. à nouveau graphique 1). D’ici à fin 2021, ceux-ci intègrent une hausse de l’ordre d’un demi-point des taux monétaires, qui retourneraient donc en territoire positif[1].
Le rendement à dix ans des emprunts de l’Etat allemand, qui sert de référence pour les prêts à long terme, remonterait de 0,10% à 1,15%.

Par quel mécanisme les prix finiraient-ils par accélérer ? La pression salariale est une condition nécessaire mais pas suffisante, les marges des entreprises pouvant en absorber tout ou partie. C’est actuellement le cas en zone euro où le refroidissement du climat des affaires ne plaide pas pour un renforcement du pricing power des entreprises. Depuis l’été 2018, le rapport entre le déflateur du PIB et les coûts salariaux unitaires s’inscrit en baisse, indiquant une érosion des profits. Le phénomène est particulièrement marqué en Allemagne où les rémunérations conservent une bonne dynamique (elles sont sur une pente à 3%), tandis que les perspectives médiocres d’activité pèsent sur la formation des prix (graphique 2).

Prix et production

A court terme, la conjoncture ne se prête guère à la remontée de l’inflation et des taux d’intérêt. Les anticipations de la BCE, comme celles des marchés, peuvent à nouveau paraître volontaristes. La suite n’est toutefois pas écrite, son évocation nécessitant de s’intéresser aux tendances longues.

Japonisation ?

L’économie japonaise est un cas d’école en ce sens que, riche mais vieillissante, elle se rapproche beaucoup de l’état régulier dépeint par les modèles de croissance (cf. encadré, en page 3). Dans l’Archipel, le stock de capital par tête est l’un des plus élevés au monde. Les gains de productivité, la croissance potentielle, ainsi que l’inflation convergent vers zéro, chiffre qui tend à devenir la norme pour les taux d’intérêt depuis une dizaine d’années (Cf. graphique 3).

La zone euro présente quelques traits similaires, sans être tout à fait dans la même situation : sa population vieillit, bien que moins vite ; ses effectifs en âge de travailler (les 15-64 ans) ont entamé leur déclin en 2010, la bascule ayant eu lieu vingt ans auparavant au Japon. Ses gains de productivité s’amenuisent, tout comme sa croissance potentielle. Evaluée à 1,5% par an par le Fonds Monétaire International (FMI), celle-ci reste toutefois plus rapide qu’au Japon (0,6%). En outre, elle peut encore être soutenue. Alors qu’il atteint près de 80% dans l’Archipel, le taux d’emploi des 15-64 ans se limite à 67% en zone euro[2]. Dans certains pays comme l’Italie ou l’Espagne, il est encore très bas (proche de 60%).

L’inflation n’est pas nulle même si à 1% par an en moyenne depuis huit ans, elle se conforme de moins en moins à la cible de 2% visée par la BCE. Alors que, malgré une politique monétaire ultra-accommodante, le Japon a les plus grandes difficultés à s’extirper d’une trappe à liquidité sans fond, les agrégats de monnaie et de crédit ont retrouvé un certain dynamisme en zone euro. Le taux de croissance annuel des prêts à la consommation est, par exemple, voisin de 7% ; celui de la masse monétaire (M3) atteint 4%.

En résumé, les tendances de fond empruntées par l’activité et les prix en zone euro, bien que ralenties, ne justifient pas que les taux d’intérêt se maintiennent indéfiniment au voisinage de zéro. Quel serait, dès lors, le point d’équilibre ?

Croissance et taux d’intérêt à l’équilibre

Croissance et taux d’intérêt au Japon

Quels taux pour demain ?

Pendant longtemps et conformément à la théorie, le taux de croissance économique a pu servir de référence. De 1998 à 2008, les rendements obligataires à 5-7 ans ont oscillé autour de 4% en zone euro, soit la tendance suivie par le PIB nominal. Celle-ci s’est, par la suite, infléchie, en raison des crises (financière et des dettes souveraines) mais aussi de la bascule démographique déjà évoquée. Elle est désormais plus proche de 2,5%, ce qui, moyennant une hypothèse conservatrice sur les primes de terme, situerait le taux cible de la BCE quelque part entre 1,75% et 2%.

Revenir à ce niveau paraît toutefois compliqué. L’apparition d’écarts de rendements (spreads) au sein de la zone euro, la divergence des rythmes de croissance (cf. graphique 4), font que, aujourd’hui plus qu’hier, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne face à une remontée des taux. L’Allemagne, peu endettée et qui continuerait d’emprunter dans le bas de la fourchette des rendements, s’en accommoderait aisément. L’Italie, en panne de croissance et dont la dette publique a crû de 30 points de PIB depuis 2008, rencontrerait beaucoup plus de difficultés, sauf à formuler une hypothèse forte sur son spread.

Chacun sa route

Dans une zone monétaire qui n’est pas optimale, la notion même de taux « neutre » perd de sa pertinence. La cible de 2% qui semble correspondre aux tendances économiques moyennes est trop contraignante pour certains, pas assez pour d’autres. La BCE, pour pallier l’absence de transferts et répondre à la crise des dettes souveraines, a opté pour une politique résolument accommodante. En l’absence de progrès institutionnels, il est peu probable qu’elle en change de sitôt. Le prochain cycle de hausses des taux ne pourra être que graduel et limité, 2% s’apparentant davantage à un plafond qu’à une norme.


[1] L’Euribor 3 mois est projeté à 0,20% en décembre 2021, contre -0,30% (taux spot) au 20/02/2019.

[2] Source : OCDE. Au troisième trimestre de 2018, le taux d’emploi des 15-64 ans était respectivement de 67,4% et 77,3% en zone euro et au Japon.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE