Eco Perspectives

Banque du Japon : du mouvement d’ici juin ?

03/04/2023
PDF

Face à une inflation inquiétante, le nouveau gouverneur de la Banque du Japon (BoJ), Kazuo Ueda, n’aura aucun répit. Si l’augmentation des prix devrait décélérer au premier trimestre 2023 grâce aux subventions gouvernementales sur l’énergie, l’inflation sous-jacente a poursuivi sa hausse cet hiver. La dynamique des prix complique la capacité de la BoJ à maintenir inchangée sa politique de contrôle des taux d’intérêt, même si les rendements obligataires se sont retranchés à la suite de l’épisode de faillites bancaires aux États-Unis. L’économie japonaise a stagné au dernier trimestre 2022, certes soutenue par le commerce extérieur et par la consommation privée, mais freinée par l’investissement public et privé. Nous prévoyons un maintien de la croissance en 2023 (1,2%) sur un rythme similaire à celui de 2022 (1,1%), avant une croissance plus molle en 2024 (0,8%).

CROISSANCE ET INFLATION

L’inflation a baissé en février (3,3% a/a) notamment grâce aux subventions sur l’énergie mises en place par le gouvernement. Néanmoins, l’inflation pourrait se révéler plus persistante que prévu en 2023 et rendre moins tenable la politique monétaire actuelle de la BoJ.

Premièrement, l’inflation sous-jacente (hors aliments frais et énergie) continue sa progression (3,6% a/a en février après 3,3% en janvier). Deuxièmement, l’inflation s’est nettement généralisée au cours du dernier trimestre 2022 et l’indice de diffusion de l’inflation de la BoJ s’établissait à 69,3 points en février, proche du record à 69,5 de décembre. Enfin, l’inflation des services progresse également plus rapidement (1,3% a/a en février contre 0,8% en décembre).

Ces éléments, combinés aux hausses de salaires importantes à venir, devraient maintenir l’inflation proche des 3% en 2023, un retour vers la cible des 2% n’étant pas attendu avant 2024. Le nouveau gouverneur de la BoJ, Kazuo Ueda, se trouve donc sous pression au moment de prendre son poste en avril. Si la politique monétaire devrait rester accommodante, nous prévoyons que le plafond du corridor de contrôle de la courbe des taux japonaise sera réhaussé à 1% (maturité à 10 ans) dans les prochains mois (0,5% aujourd’hui).

Une reprise qui tombe à plat

La réouverture aux touristes de l’économie japonaise a permis le retour de ces derniers, bien que le nombre d’arrivées de visiteurs étrangers en janvier soit resté inférieur de près de moitié (44%) à son niveau de 2019. Cela a néanmoins permis au secteur des services de rebondir et de soutenir pour plus d’un quart la croissance de la consommation au quatrième trimestre 2022. Par ailleurs, le potentiel de rattrapage reste important : les dépenses des non-résidents au Japon s’établissaient à la fin de l’année 2022 à un tiers de leur niveau pré-pandémique, et cela devrait rester un facteur de soutien à l’économie en 2023. De son côté, et malgré un revenu du travail qui recule en termes réels depuis maintenant près de deux ans, la consommation des ménages a dépassé pour la première fois, au quatrième trimestre 2022, son niveau pré-pandémique.

Le marché du travail s’est resserré au dernier trimestre 2022 et devrait rester tendu en 2023. Le taux de chômage est proche de son niveau prépandémique historiquement faible, à 2,6% en février. Les nouvelles offres d’emploi atteignent également leur niveau de février 2020. Les tensions sur le marché du travail, de même que celles persistantes sur les prix à la consommation, pousseraient à la hausse les salaires. Selon le ministère du Travail, les salaires nominaux de base ont progressé de 0,8% a/a en janvier 2023, en baisse par rapport aux chiffres de la fin d’année 2022 (+1,6% a/a en décembre). Cette tendance devrait s’accentuer à la suite des négociations salariales annuelles (Shunto), dont les accords finaux devraient intervenir en avril.

Le premier ministre Fumio Kishida milite en faveur de hausses de salaires de l’ordre de 3%, plus faibles que celles de 5% demandées par le syndicat Rengo (syndicat des ouvriers japonais). Nous prévoyons, pour notre part, un consensus à hauteur de 3,6%. Une telle augmentation salariale compenserait tout juste les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat.

L’impact de l’allégement de la politique chinoise « zéro-covid » sur l’économie japonaise reste pour le moment modéré, mais des effets plus notables devraient se faire sentir d’ici le deuxième trimestre 2023. La production industrielle japonaise, très corrélée aux exportations vers la Chine, et donc à la conjoncture chinoise, s’est redressée de 4,5% a/a en février après s’être contractée en janvier (-6,4% a/a) mais reste inférieure de 7,4% à son niveau du 3e trimestre 2019. La production d’automobiles, grande contributrice aux exportations japonaises, enregistrait, quant à elle, un déficit de 11,2% en février par rapport à son niveau pré-pandémique. Les exportations vers la Chine, qui avaient chuté en décembre et janvier, devraient poursuivre le rebond entamé en février (+20% m/m).

Achevé de rédiger le 31 mars 2023

Guillaume Derrien (avec l’aide de Louis Morillon, stagiaire)

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
À chaque objectif son outil ou comment concilier stabilité des prix et stabilité financière

À chaque objectif son outil ou comment concilier stabilité des prix et stabilité financière

Les récentes difficultés rencontrées par quelques banques régionales américaines ont ravivé le débat sur un éventuel conflit entre la poursuite de la stabilité des prix et le maintien de la stabilité financière [...]

LIRE L'ARTICLE
États-Unis
Tangage à l’atterrissage ?

Tangage à l’atterrissage ?

D'après l'estimation GDPNow de la Réserve fédérale d'Atlanta, la croissance américaine resterait élevée au T1 2023 (3,2% en rythme trimestriel annualisé). Les nouvelles sur le front du marché du travail restent bonnes également [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
Récupération

Récupération

L’activité économique en Chine a rebondi dès la fin janvier, tirée principalement par les services et la consommation des ménages. Dans l’immobilier et la construction, la crise s’est atténuée [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
La BCE maintient le cap

La BCE maintient le cap

Si le pic de l’inflation en zone euro a probablement été atteint en octobre dernier, le processus de désinflation s’annonce lent, et un retour à la cible de 2% n’est pas attendu avant 2025 [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
La croissance s’est affaiblie, mais l’emploi résiste

La croissance s’est affaiblie, mais l’emploi résiste

L’Allemagne est le pays d’Europe de l’Ouest où la croissance du PIB a été la plus négative au 4e trimestre 2022 (-0,4% t/t). De plus, les indicateurs conjoncturels, bien qu’ils s’améliorent, sont restés relativement dégradés au début de l’année 2023 [...]

LIRE L'ARTICLE
France
La croissance devrait rester affaiblie

La croissance devrait rester affaiblie

L’automne et l’hiver se sont mieux passés qu’initialement craint sur le plan énergétique [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
La reprise reste soutenue

La reprise reste soutenue

Au T4 2022, le PIB de l’Italie a légèrement diminué sur une base trimestrielle [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
Face à la seconde vague d’inflation

Face à la seconde vague d’inflation

L’économie espagnole a mieux résisté que prévu en 2022 (+5,5%), mais une décélération de l’activité est attendue cette année. La production industrielle est en baisse, freinée par le secteur de l'énergie et des biens intermédiaires [...]

LIRE L'ARTICLE
Belgique
La consommation privée pourrait parer la tempête à venir

La consommation privée pourrait parer la tempête à venir

Le PIB belge poursuit sa croissance positive, même si des nuages dus à la politique monétaire apparaissent [...]

LIRE L'ARTICLE
Royaume-Uni
Récession retardée

Récession retardée

L’économie britannique a évité la récession au 2nd semestre 2022, grâce à l’investissement des entreprises et à la consommation (publique et privée) [...]

LIRE L'ARTICLE