Le symposium d’été de la Fed de Kansas City, qui se tient traditionnellement à Jackson Hole, est habituellement le lieu privilégié de déclarations importantes.[1] En 2012, le président de la Fed Ben Bernanke y avait mis en perspective un troisième programme d’assouplissement quantitatif. Le discours prononcé en 2014 par Mario Draghi pointait vers l’introduction prochaine d’un programme d’assouplissement quantitatif par la BCE. En 2018, le président de la Fed Jerome Powell avait dénoncé les risques que l’on encourt à se fier aux ‘étoiles’ pour s’orienter, en matière d’anticipations d’inflation, de taux d’intérêt neutre et de taux de chômage naturel.[2]
Le symposium de cette année, organisé en visioconférence, n’a pas fait exception, bien au contraire. Dans son discours, Jerome Powell a détaillé le communiqué révisé sur les objectifs à long terme et la stratégie de politique monétaire. Cette déclaration est le résultat du processus de révision du cadre de politique monétaire de la Fed.[3] Il s’agit d’un document important, car il expose les objectifs et fixe le cadre de la politique monétaire. Il sert de fondement aux mesures adoptées par le comité de politique monétaire.[4] Encore une fois, la Fed s’abstient de préciser un objectif chiffré pour l’emploi, considérant que le niveau d’emploi maximal « n’est pas directement mesurable et évolue sur la durée pour des raisons sans lien avec la politique monétaire. » En outre, la banque centrale continue de penser qu’un taux d’inflation à long terme de 2% est le mieux adapté à sa mission de promotion du plein emploi et de la stabilité des prix. Ce qui est nouveau en revanche, c’est la façon dont la situation de l’emploi va influer sur les décisions de politique monétaire. Désormais, elle sera évaluée en fonction du déficit d’emplois pour le plein emploi, plutôt que des écarts positif ou négatif par rapport à ce niveau. Jerome Powell explique finement que « C’est un changement qui peut paraître subtil, mais qui reflète notre point de vue selon lequel un marché de l’emploi robuste peut perdurer sans déclencher de poussée d’inflation. » En conséquence, le marché du travail aura une influence asymétrique sur le biais stratégique, un niveau de chômage élevé constituant un signal d’assouplissement, tandis qu’un niveau faible ne conduira pas nécessairement à un resserrement monétaire, à moins d’une augmentation des risques d’inflation ou d’instabilité.
La modification du mode d’évaluation de l’inflation par rapport à l’objectif est plus significative. La Réserve fédérale s’inquiète qu’un resserrement immédiat dès le franchissement de la barre des 2% puisse impliquer, dans la durée, une inflation moyenne inférieure au niveau cible. Or, comme le montre le graphique 1, c’est précisément ce que l’on observe.
La mesure de l’inflation retenue par la Fed a rarement franchi cette cible depuis 2000, en moyenne mobile. À terme, cette situation peut engendrer une diminution des anticipations d’inflation, compliquant le pilotage de la politique monétaire. C’est pourquoi la Banque centrale américaine va désormais cibler un taux d’inflation moyen de 2% dans la durée. « Par conséquent, à la suite de périodes où l’inflation se sera établie en deçà de 2%, il est probable que la politique monétaire vise un niveau d’inflation modérément supérieur à 2% pendant un certain temps. » Compte tenu de l’évolution de l’inflation au cours de ces dernières années, les marchés financiers ont bien naturellement interprété ce changement comme le signal que le biais très accommodant serait maintenu plus longtemps (cf. graphique 2). Le dollar s’est affaibli contre l’euro et les actions ont monté. Ces deux réactions ont cependant été de courte durée. Les rendements obligataires ont monté, intégrant la perspective de la tolérance par la Fed d’un niveau d’inflation plus élevé.
Le message de « taux directeurs plus durablement bas » devrait soutenir l’activité et la demande. Elle devrait aussi appuyer la prise de risques sur les marchés financiers. Après tout, la prime de risque exigée fluctue en étroite corrélation avec la politique de la Réserve fédérale. Des taux directeurs plus durablement bas devraient impliquer une hausse de la valorisation des actifs (comme une diminution de l’écart de taux entre les obligations d’entreprises et les emprunts du trésor ou, s’agissant des actions, des ratios cours/bénéfices plus élevés). Cependant, le resserrement monétaire qui suivra à terme sera probablement source de sensibilité et de volatilité accrues. Dans le sillage du changement introduit dans l’approche de la Fed, les communications et indications (forward guidance) de politique monétaire vont revêtir davantage d’importance, d’autant que la Banque centrale américaine ne s’arrime à aucune formule mathématique de calcul de l’inflation moyenne.