Le rebond de l’activité depuis mars a été rapide et s’est étendu progressivement de l’industrie aux services. L’investissement, s’il reste tiré par les projets d’infrastructures et immobiliers, commence à se renforcer dans le secteur manufacturier, encouragé par la solide performance des exportations. Enfin, la consommation privée, bien que toujours à la traîne, se redresse plus vivement depuis l’été. Alors que la politique budgétaire devrait continuer de soutenir la demande à court terme, les autorités monétaires chinoises peuvent réajuster leurs priorités et revenir à la maîtrise des risques financiers. Les conditions de crédit commencent à être resserrées via de nouvelles normes prudentielles. Une hausse des défauts des entreprises devrait accompagner les efforts d’assainissement du secteur financier.
L’activité économique a connu un rebond en forme de V depuis la sortie du confinement du pays en mars dernier. Après s’être contracté de 10% entre le T4 2019 et le T1 2020, le PIB réel a récupéré en un trimestre tout le terrain perdu (+11,7% au T2 en rythme trimestriel).
Il a ensuite progressé de 2,7% au T3 et devrait gagner encore 2% au T4. En outre, le redressement s’est étendu et renforcé progressivement. La reprise de l’activité a d’abord été tirée par la production industrielle et l’investissement dans les infrastructures publiques et l’immobilier grâce aux mesures de relance des autorités. Le secteur exportateur a ensuite très largement bénéficié du rebond de la demande mondiale.
Enfin, les services et la consommation privée ont gagné en vigueur depuis l’été. Sur l’ensemble de l’année 2020, la croissance du PIB réel devrait s’établir à +2% (graphique 1). La crise liée à l’épidémie de Covid19 a toutefois laissé des traces. En particulier, la consommation privée est encore loin d’un retour à la normale, les ménages ayant été fragilisés par la dégradation du marché du travail et la baisse de leurs revenus.
En outre, les difficultés financières des entreprises se sont fortement accrues alors que leurs niveaux d’endettement sont excessivement élevés. Les risques de crédit augmentent et les défauts sur les prêts bancaires et sur le marché obligataire sont amenés à se multiplier. Les autorités ont commencé à ajuster leur politique de crédit, afin de redonner la priorité à la maîtrise des risques d’instabilité dans le secteur financier sans pour autant pénaliser le redressement de l’activité.
Rebond en V confirmé
Le redressement de l’économie est resté solide au cours des derniers mois de 2020 (graphique 2). Du côté de l’offre, la croissance de la production industrielle, qui avait redémarré dès les premières mesures d’allègement du confinement en mars, a accéléré continûment pour atteindre 6,9% en glissement annuel (g.a.) en septembre et octobre.
Sur les dix premiers mois de l’année, la production industrielle était 1,8% supérieure à son niveau de 2019 en volume, et est restée quasi stable en valeur étant donné la baisse de près de 2% des prix à la production en 2020. Dans le secteur des services, le redémarrage a été beaucoup plus tardif, mais l’activité a fortement accéléré depuis septembre. Après l’effondrement du T1, la croissance des services est passée de -0,4% en g.a. au T2 à +4% au T3, pour finalement dépasser celle de la production industrielle en octobre (+7,4%).
Ces dynamiques sectorielles devraient se poursuivre à court terme, les services reprenant en 2021 leur place de principal moteur de croissance. L’accélération dans les services a accompagné le regain de vigueur de la consommation privée. Alors que le commerce par internet s’est rapidement renforcé dès le T2, la reprise des ventes au détail a d’abord été très hésitante et ne s’est consolidée que depuis la fin de l’été (atteignant +4,6% en g.a. en octobre). Sur les dix premiers mois de l’année, les volumes de ventes au détail étaient encore près de 8% inférieures à leur niveau de 2019.
La confiance des ménages revient, aidée par l’amélioration du marché du travail et la baisse de l’inflation. Le taux de chômage urbain a diminué depuis mars pour atteindre 5,3% en octobre, soit son niveau de début d’année. L’inflation des prix à la consommation a fortement reculé depuis juillet, passant de 2,7% en g.a. à -0,5% en novembre, principalement sous l’effet de l’importante décélération des prix alimentaires après leur flambée au T4 2019 et dans les premiers mois de 2020. L’inflation sous-jacente est également faible, mais stable (+0,5% depuis juillet contre 1,6% en moyenne en 2019).
Le rebond de la demande des ménages va se poursuivre, mais celle-ci devrait rester en sous-régime encore quelque temps étant donné la hausse du nombre d’emplois précaires qui a accompagné la reprise du marché du travail et la progression encore limitée des revenus disponibles (+0,6% en g.a. en termes réels sur les neuf premiers mois de 2020). En même temps, de nouvelles mesures visant à soutenir la consommation privée sont probables dès l’an prochain, puisque son expansion reste un objectif prioritaire de la stratégie économique chinoise.
Le Plan quinquennal pour 2021-2025, dévoilé à l’automne, définit en effet le marché intérieur comme un des piliers de la croissance. Les détails du Plan seront précisés en mars. L’investissement s’est également renforcé en octobre (+1,8% en g.a. sur les dix premiers mois de 2020), toujours tiré par les projets d’infrastructures et immobiliers.
La croissance de l’investissement manufacturier est restée faible mais montre des signes de reprise, grâce notamment à la solide performance des exportations. Leur rebond depuis juin s’est en effet rapidement renforcé, atteignant une moyenne de +10% en g.a. en dollars courants sur la période juillet-octobre puis passant à +21% en novembre. La Chine a été en mesure de répondre à la forte hausse de la demande d’équipements et matériels médicaux, de biens technologiques et, plus récemment, d’autres biens de consommation courante tels que les jouets. Les perspectives d’exportation restent néanmoins incertaines, puisque dépendantes à la fois de la poursuite du redressement de la demande mondiale et donc de l’évolution de la pandémie, et des négociations commerciales à venir entre Washington et Pékin.
Les autorités chinoises ajustent la politique de crédit
L’investissement dans les projets d’infrastructures devrait rester dynamique à court terme et l’investissement immobilier pourrait perdre de son élan en réponse aux ajustements de la politique économique. En effet, alors que la politique budgétaire et l’investissement public devraient continuer de soutenir l’activité, les autorités ont entamé un durcissement sélectif de la politique de crédit.
Étant donné le solide rebond de l’activité, les autorités monétaires peuvent se permettre de réajuster leurs objectifs et redonner la priorité à la maîtrise des risques financiers. Le resserrement des conditions de crédit sera toutefois une opération délicate. D’une part, il ne devra pas entraver le redressement de l’économie ni aggraver les pressions déflationnistes. Pékin pourrait également souhaiter ne pas accentuer l’appréciation du yuan, qui a gagné 7% contre le dollar depuis six mois. D’autre part, tout en encourageant un assainissement des pratiques de crédit, les autorités devraient continuer de soutenir les entreprises saines qui rencontrent des difficultés financières, et agir pour limiter les risques d’instabilité et les épisodes de stress dans le secteur financier. Depuis avril, la banque centrale a maintenu son taux directeur inchangé (à 2,95%, après une baisse de 30 pb en début d’année) mais progressivement resserré les taux monétaires (le taux repo à sept jours a augmenté de 1,5% en moyenne en avril à 2,3% en novembre).
Toutefois, à court terme, il est probable qu’elle s’assure de maintenir des niveaux de liquidité confortables dans le secteur financier. En revanche, les autorités devraient durcir lentement les conditions de crédit en agissant principalement sur le cadre prudentiel et en imposant plus de discipline aux acteurs financiers. Elles ont déjà introduit le mois dernier des règles visant à contenir l’endettement des promoteurs immobiliers, et ont clairement signifié leur volonté d’encadrer davantage les activités de financement sur internet. Début décembre, elles ont annoncé un renforcement des normes prudentielles applicables aux banques considérées comme « too big to fail » – dont la liste devrait être allongée afin, notamment, d’accroître la surveillance des banques régionales.
Multiplication des défauts en vue
Une multiplication des défauts des entreprises est attendue en 2021, à la fois conséquence de la crise de la Covid19 et corollaire des efforts d’assainissement du secteur financier. La Chine est entrée dans la crise de la Covid19 avec une dette excessivement élevée, estimée à 258% du PIB (dette interne du secteur non-financier à fin 2019). Des efforts de réduction des risques financiers ont été mis en œuvre en 2017-2019 (durcissement réglementaire, recul des activités du shadow banking, début de désendettement du secteur des entreprises), mais la crise du T1 et l’assouplissement monétaire et réglementaire qui l’a suivie ont interrompu cette dynamique.
L’excès de dette s’est aggravé. La croissance du crédit domestique a accéléré de 10,7% en g.a. fin 2019 à 13,7% en octobre (elle devrait se stabiliser en fin d’année), et le ratio de dette sur PIB devrait augmenter de près de 25 points de pourcentage en 2020 – après une hausse de 10 points sur les trois années précédentes (graphique 3).
Bien que les niveaux d’activité se soient normalisés dans la majorité des secteurs, de nombreuses entreprises et ménages restent fragilisés par les pertes financières du début d’année. Le poids du service de la dette devrait donc s’alourdir considérablement dans les prochains mois lorsque les mesures de soutien post-Covid (lignes de crédits, refinancements, rééchelonnements des remboursements) prendront fin.
Dans le secteur bancaire, le ratio officiel de créances douteuses était de 1,96% au T3 2020, un niveau faible mais néanmoins en légère hausse. Les récents défauts d’entreprises sur les marchés obligataires locaux annoncent également les tendances à venir. Leur nombre devrait rapidement dépasser les niveaux de 2018-2019. Surtout, la proportion d’entreprises publiques en défaut pourrait augmenter, preuve d’une lente baisse du soutien implicite de l’État.