Eco Perspectives

Une relance budgétaire sous l’œil attentif de Bruxelles

12/16/2020
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Les prévisions du début d’année semblent se confirmer. L’Espagne devrait être le pays de la zone euro le plus touché économiquement par la crise de la Covid-19. La contraction de l’activité économique devrait atteindre 11,8% en 2020 suivie d’un rebond de 7,0% en 2021. La situation sociale s’est dégradée, forçant le gouvernement à instaurer de nouvelles aides sociales d’envergure (dont le « revenu minimum vital ») qui seront renforcées en 2021. Le plan de relance massif de EUR 140 mds soutiendra la croissance potentielle et devrait créer de l’emploi. Mais le déficit budgétaire structurel se creuse : une fois la crise sanitaire passée et la reprise enclenchée, la pression de Bruxelles pour que certaines réformes structurelles clés (i.e. le financement du système de retraite) accélèrent risque de s’accentuer.

CROISSANCE ET INFLATION

Le trimestre qui s’achève (T4 2020) se soldera, sans nul doute par une nouvelle contraction de l’activité. Même si la seconde vague a ralenti très fortement depuis le pic de mi-novembre, les restrictions d’activité sont restées, jusqu’à la mi-décembre, très élevées et parmi les plus contraignantes en Europe.

Le rebond mécanique d’activité au T3 (+16,7% en variation trimestrielle non annualisée) a permis au PIB espagnol de revenir près de 9% en dessous de son niveau de fin 2019. Cela constitue néanmoins un écart bien supérieur à celui constaté dans la plupart des autres partenaires européens1.

Si on décompose par poste de dépense, ce sont sans surprise les exportations de services qui ont le plus de mal à se redresser (-43,6% au-dessous du T4 2019), du fait de la chute du tourisme, suivies de la formation brute de capital fixe (-11,1%) et de la consommation des ménages (-10,5%). En matière de consommation, celle en biens durables a néanmoins rebondi très fortement, repassant au-dessus du niveau du T4 20192 .

Les mesures de maintien de l’emploi – et principalement le dispositif ERTE de chômage partiel – ont néanmoins permis d’amortir significativement le choc sur le marché du travail, notamment dans les services. Selon l’agence espagnole pour l’emploi (SEPE)3, le nombre de travailleurs affiliés à la sécurité sociale se situait, en novembre, en dessous du niveau de février dans l’industrie 2,2%, contre 2,6% pour les services4. Si l’on rapporte ces chiffres à ceux plus dégradés du PIB, cela montre bien que les mesures de maintien de l’emploi apportées par l’État produisent des effets, même si elles ont un coût très important pour les finances publiques. Selon le ministère du Travail, près de 746 900 salariés bénéficiaient encore du dispositif en novembre. Le dispositif ERTE a été prolongé, pour l’heure, jusqu’au 31 janvier 2021, ce qui devrait permettre de contenir la hausse du chômage, dont le taux s’établissait à 16,2% en octobre.

Une consolidation budgétaire repoussée à 2022, au plus tôt

L’IMPACT DE LA COVID-19 SUR LES INÉGALITÉS EN ESPAGNE

La politique budgétaire restera donc fortement expansionniste en 2021. Le budget pour 2021, qui a reçu l’aval du Parlement fin novembre, sera doté d’une enveloppe globale record de EUR 239 mds. Certaines mesures sociales, portées par le partenaire de la coalition Podemos, ont été renforcées, et notamment le revenu minimum vital dont l’enveloppe sera augmentée de EUR 3 mds (voir encadré).

Néanmoins, la hausse la plus importante du budget sera consacrée à l’investissement, avec des augmentations significatives en recherche & développement, apprentissage et formation professionnelle, et à la modernisation des infrastructures publiques.

Du côté des recettes, de nouvelles taxations sur les hauts revenus seront instituées. Pour financer en partie ce budget, le gouvernement s’appuiera également sur les EUR 27 mds de subventions allouées en 2021 par la Commission européenne à l’Espagne dans le cadre du fonds de relance européen (Next Generation EU).

LE CREUSEMENT DU DÉFICIT BUDGÉTAIRE STRUCTUREL SE POURSUIT

Ce budget record s’explique en partie par la mise en œuvre, résolument rapide, du plan de relance national (« plan récupération, transformation et résilience ») massif de EUR 140 mds pour 2021-2026, dont la moitié doit être engagée au cours des trois prochaines années.

Avec ce plan, le gouvernement espère générer près de 800 000 emplois d’ici à 2023 et accroître le PIB de 2,5 points au cours de la même période. Néanmoins, avec un déficit public estimé à autour de 120% du PIB à la fin de l’année 2020 – un bond de près de 20 points de PIB en un an – l’exécutif espagnol restera sous la pression de Bruxelles, une fois la crise sanitaire passée, pour mettre en place certaines grandes réformes structurelles qui plombent l’équilibre budgétaire à long terme. La Commission européenne souhaite, en particulier, que le gouvernement espagnol s’engage à garantir la pérennité du système de retraite, et introduise de nouvelles mesures pour réduire le taux de travail temporaire5. La Commission européenne s’appuie en effet sur ses dernières prévisions de novembre selon lesquelles le déficit primaire structurel espagnol (c’est-à-dire le déficit hors variations de recettes/dépenses liées au cycle conjoncturel et hors remboursement des intérêts de la dette) se creusera davantage au cours des deux prochaines années, pour atteindre 5,2% du PIB en 2022 (cf. graphique 2). C’est de loin le niveau de déficit le plus élevé dans la zone euro, et plus du double de la moyenne au sein de l’union monétaire (-2,3%).

Les SNF face à la crise de la Covid

ACROISSEMENT DES INÉGALITÉS DURANT LE PREMIER CONFINEMENT

L’impact de la crise sanitaire sur la liquidité et la solvabilité des entreprises reste pour l’heure difficile à quantifier. Une étude de la Banque d’Espagne6 estime néanmoins qu’entre avril et décembre, la demande de liquidité des sociétés non financières (SNF) pourrait excéder 230 milliards dont près des trois-quarts seraient couverts par les prêts garantis d’État.

Les secteurs les plus en difficulté sont sans surprise ceux du tourisme et des loisirs, le transport et le secteur automobile. Rappelons néanmoins que les entreprises non-financières étaient entrées dans la crise de la Covid-19 dans une position financière plus solide que par le passé. Leur niveau d’endettement en part du PIB avait baissé de façon continue entre 2010 et 2019 retombant ainsi, fin 2019, jusqu’à atteindre un niveau comparable au début des années 20007.

1 Pour une comparaison des niveaux de rattrapage, voir H. Baudchon et L. Boisset, Zone Euro : du rebond à la rechute, BNP Paribas Ecoflash, 4 novembre 2020.

2 Une bonne partie de cette hausse peut être attribuée aux ventes automobiles, qui ont rebondi, notamment grâce à l’instauration, en juin, de subventions gouvernementales pour l’achat de véhicules plus propres (programme Renove 2020).

3 Chiffres ajustés des variations saisonnières.

4 L’emploi dans la construction s’établissait seulement à 1,1% sous le niveau de février.

5 « Bruselas apremia a España a reformar las pensiones y el mercado laboral », El País, 7 décembre 2020.

6 Blanco et al. (2020), Spanish non-financial corporations’ liquidity needs and solvency after the Covid-19 shock, Banque d’Espagne.

7 Banque de France : en part du PIB, la dette consolidée des entreprises non-financières a chuté de 108,2% au T2 2010 à 61,0% au T4 2019.

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