La baisse record du PIB du Royaume-Uni au deuxième trimestre a laissé place à un rebond lui aussi inédit au troisième, et l’arrivée prochaine d’un vaccin efficace contre la Covid-19 laisse penser que l’économie entrera dès 2021 dans sa phase de reprise définitive. Cependant, le Royaume-Uni n’est pas encore tiré d’affaire. Au regard de la réimposition d’un confinement généralisé durant le mois de novembre, il fait peu de doute que l’activité économique chutera de nouveau au dernier trimestre. De surcroît, l’intensité de la reprise est, du fait du Brexit, plus incertaine qu’ailleurs. Cela est dû non seulement au caractère inédit de la décision du Royaume-Uni de sortir du marché unique et de l’union douanière de l’UE, mais aussi aux incertitudes quant à la signature d’un accord de libre-échange.
D’après la première estimation du Bureau de la statistique nationale (Office for National Statistics, ONS), le PIB du Royaume-Uni a rebondi de 15,5% au troisième trimestre.
Ce fort rebond a fait suite à une baisse de 22% au premier semestre, et s’explique par la remise en marche de l’économie après le premier confinement. Pour rappel, les bars et restaurants avaient par exemple dû attendre jusqu’au début du mois de juillet pour rouvrir leurs portes.
Une économie qui accuse un retard important
Malgré cette augmentation record, le PIB britannique reste près de 10% inférieur à son niveau de la fin de l’année 2019. Si le cas de l’Espagne est similaire, les PIB des États-Unis, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie sont tous revenus à environ 5% de leur niveau d’alors (cf. graphique 2).
Une des explications à ce retard est la chute importante de la consommation des ménages. Alors que, par exemple, celle-ci a diminué d’environ 2% en France et de 3% aux États-Unis, au Royaume-Uni elle a chuté de plus de 12% en termes réels depuis la fin de l’année 2019.
Dans son dernier Economic Outlook, daté de décembre, l’OCDE anticipe une chute près de deux fois plus lourde de la consommation privée au Royaume-Uni qu’en France ou en zone euro. La reprise a, de plus, commencé à montrer des signes d’essoufflement depuis la fin de l’été.
D’après les données mensuelles de l’ONS, le PIB n’a augmenté que de 1,1% en septembre. De surcroît, une rechute du PIB est très probable au dernier trimestre de 2020. En effet, au regard de la détérioration de la situation sanitaire, le gouvernement a mis en place un second confinement dans toute l’Angleterre entre le 5 novembre et le 2 décembre.
À l’issue de celui-ci, l’Angleterre est retournée à un système de niveaux d’alertes plus contraignant encore que celui qui avait été mis en place en octobre. Dans les régions où le niveau d’alerte est le plus élevé (« Very High »), les rencontres sociales entre foyers ne sont permises que dans la limite de six personnes et uniquement dans des lieux publics en extérieur ; de plus, les bars, restaurants et hôtels ne peuvent pas accueillir de clients. Cela étant dit, ce deuxième confinement pèsera probablement moins sur l’économie britannique que le premier. D’une part, il a été plus court et moins restrictif.
D’autre part, le niveau de départ de l’économie est bien inférieur à ce qu’il était au premier trimestre. Ainsi, BNP Paribas anticipe une baisse de l’activité de « seulement » 3,7% au dernier trimestre. Par ailleurs, les craintes d’une remontée violente du chômage dès la fin de cette année se sont quelque peu dissipées. Il est vrai que les difficultés se sont accrues pour les entreprises contraintes pour la deuxième fois de ralentir, voire d’arrêter, leur activité. Néanmoins, le gouvernement a aussi décidé de remettre en place son programme de chômage partiel (Coronavirus Job Retention Scheme, CJRS) jusqu’en mars 2021.
Celui-ci a déjà prouvé son efficacité. Le taux de chômage a certes augmenté depuis le début de la crise, mais la hausse s’est limitée à moins d’un point de pourcentage. En octobre, le taux de chômage se situait à 4,8%. Le CJRS devait en fait prendre fin en octobre pour être remplacé par un programme mois généreux, ce qui amenait l’Office for Budget Responsibility (OBR) à anticiper un taux de chômage au-dessus de 10% avant la fin de l’année. Depuis son extension, l’OBR a revu ses prévisions et anticipe désormais un pic à 7,5% au deuxième trimestre 2021.
Quelle suite au soutien monétaire et budgétaire ?
En 2020, ce sont plus de GBP 280 mds qui ont été déboursés par l’État britannique pour contrer les crises sanitaire et économique. D’après l’OBR, le déficit du gouvernement atteindra 19% du PIB cette année. Dans sa dernière revue des dépenses, le Chancelier de l’Échiquier Rishi Sunak a annoncé que GBP 55 mds seront mis à disposition des services publics en 2021-2022. D’ailleurs, l’impact de ces crises sur les finances publiques devrait aussi se faire sentir dans les années suivantes. L’OBR estime que le déficit sera toujours autour de GBP 100 mds en 2025-2026, soit 4% du PIB. Côté croissance, le PIB Royaume-Uni ne retrouverait son niveau de la fin 2019 qu’au dernier trimestre 20221 .
Face à la détérioration des finances publiques, le gouvernement pourrait réagir rapidement. D’ailleurs, il existe un risque qu’il intervienne trop rapidement. Même si le FMI a récemment alerté contre un resserrement trop rapide de la politique fiscale du Royaume-Uni2, le chancelier a pris l’engagement de rééquilibrer les finances publiques dès que possible. Dans son scénario central, l’OBR estime que l’État devra dégager GBP 20-30 mds avant 2024 en hausse des impôts et baisse des dépenses s’il veut ramener à l’équilibre ses revenus et ses dépenses courantes.
Ce resserrement pourrait arriver dès l’annonce du Budget 2021, qui sera présenté en mars prochain. De son côté, la Banque d’Angleterre a assoupli un peu plus sa politique monétaire. Si elle a laissé son taux directeur à 0,10%, elle a augmenté son programme d’achats d’actifs de GBP 150 mds au début du mois de novembre. Au total, sa cible d’achats a plus que doublé depuis le début de la crise jusqu’à près de GBP 900 mds, soit environ 40% du PIB.
Brexit : jusqu'ici tout va bien
Pendant ce temps-là, si le Royaume-Uni a trouvé un accord de libre échange avec le Canada, les négociations avec l’UE n’ont toujours pas abouti. D’après la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, les contours d’un accord final sont là sur la plupart des sujets, mais il demeure trois points de désaccord importants.
Le premier concerne l’engagement des parties à respecter un « level playing field », c’est-à-dire à définir des critères visant à maintenir une concurrence loyale dans le long terme. Le deuxième point de désaccord met au centre de ces négociations un secteur minoritaire : celui de la pêche. Alors que les Européens demandent que leurs pêcheurs conservent un large accès aux eaux territoriales du Royaume-Uni, les Britanniques souhaitent en retrouver une souveraineté totale.
Enfin, Britanniques et Européens n’arrivent pas à s’entendre sur la gouvernance de l’accord, c’est-à-dire sur un mécanisme de résolution des litiges. Quoi qu’il arrive, le Royaume-Uni va quitter le marché unique et l’union douanière de l’UE. Il se dirige donc vers un Brexit dur, et de nombreuses barrières non-tarifaires vont dès le 1er janvier 2021 entraver ses échanges avec l’UE3.
Dans le cas des échanges de biens, celles-ci incluront des procédures supplémentaires, notamment pour se conformer aux standards de l’UE, et des contrôles douaniers renforcés, entraînant des coûts et délais aux frontières additionnels pour les exportateurs britanniques. Si aucun accord n’est trouvé, à ces barrières non-tarifaires s’ajouteront des droits de douane sur les biens échangés entre les deux parties.
D’après l’OBR, une sortie sans accord réduirait de deux points de pourcentage la croissance du Royaume-Uni en 2021. Le rebond anticipé de 5,5% en 2021, dans le cas d’un accord, étant déjà timide au regard de sa chute en 2020, il serait donc très faible dans ce scénario. Ce manque à gagner serait dû notamment aux perturbations aux frontières, à une baisse de l’investissement, à une productivité moindre, à une augmentation du chômage structurel, et à d’autres effets de court terme sur l’offre et la demande résultant en partie d’une augmentation de l’incertitude et du resserrement des conditions de crédit (cf. graphique 3). Tout cela repousserait d’un an la date à laquelle le PIB du Royaume-Uni retrouverait son niveau d’avant la crise (cf. graphique 2)
À long terme, l’OBR estime que le PIB du Royaume-Uni sera dans tous les cas 4% inférieur à ce qu’il aurait été sans le Brexit, et qu’une sortie sans accord coûterait deux points de pourcentage supplémentaires. Ainsi, si l’échec des négociations serait néfaste pour l’économie, c’est la sortie du marché unique qui aura le plus gros impact négatif sur la croissance.
En influant sur l’économie du Royaume-Uni, le Brexit aura certainement des répercussions sur sa politique fiscale et monétaire. Du point de vue fiscal, si les conséquences du Brexit s’avéraient négatives pour l’économie – ce qu’anticipent la plupart des études sur le sujet – les finances publiques seraient un peu plus détériorées par la baisse des rentrées fiscales et l’augmentation des dépenses (chômage…).
De plus, les bénéfices tirés de la fin des contributions au budget de l’UE seront faibles et certainement compensés dans les prochaines années par l’acquittement des engagements passés du Royaume-Uni (« Brexit financial settlement »), estimés à plus de GBP 30 mds. Le Royaume-Uni pourrait être tenté de déréguler son économie, mais celle-ci se situe déjà parmi les moins encadrées, et l’assouplissement de la régulation pourrait l’éloigner encore plus de l’UE, ce qui ajouterait de nouvelles barrières non-tarifaires entre les deux blocs.
Du point de vue monétaire, la Banque d’Angleterre pourrait se retrouver confrontée, d’un côté, à un affaiblissement de l’économie et, de l’autre, à de fortes pressions inflationnistes – par exemple du fait d’une chute de la livre et de l’imposition de droits de douane sur les importations du Royaume-Uni. Néanmoins, dans ce scénario, la banque centrale pencherait certainement de nouveau du côté d’un assouplissement de sa politique, comme elle l’avait fait lorsqu’elle fut confrontée à ce même dilemme après le référendum en 2016.
En résumé, ce feuilleton qui a débuté il y a plus de quatre ans va connaître son dénouement avant la fin de l’année. Si les effets du Brexit sur l’économie britannique ont jusqu’ici été plus modérés que beaucoup le craignaient, le vrai choc n’arrivera qu’au 1er janvier 2021, et ses conséquences pourraient se faire sentir pendant des années. L’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.