C’est peu dire que le mandat du 46e président des États-Unis, Joe Biden, s’annonce compliqué. Au moment d’être investi, le 20 janvier prochain, celui-ci héritera d’une économie en rechute, conséquence d’une épidémie de Covid-19 qui s’emballe et promet d’aggraver un bilan humain déjà lourd. Au-delà de l’urgence sanitaire, la nouvelle administration démocrate devra faire face à des antagonismes politiques et sociaux qui n’ont jamais paru aussi profonds qu’à l’aube de cette nouvelle décennie. Réputé homme de dialogue, Joe Biden n’aura pas trop de sa longue expérience politique et de sa science du compromis pour parvenir à apaiser l’Amérique.
Même moins large que promise par les sondages, la victoire est nette : avec 81,3 millions de voix (51,4% des suffrages exprimés) et 306 grands électeurs sur un total de 538, le démocrate Joe Biden remporte le scrutin du 3 novembre et est élu 46e président des États-Unis, fonction qu’il occupera dès le 20 janvier 2021, date d’investiture. Également élue, Kamala Harris sera la première femme à accéder à la vice-présidence.
Quelles marges de manoeuvre pour le président Biden ?
Et ensuite ? La capacité à agir du président Biden dépendra de l’équilibre des forces au Congrès. Or les élections n’ont pas engendré de « vague bleue » : selon le décompte arrêté au 6 décembre, le parti démocrate conserve de peu la majorité à la Chambre des représentants (222 sièges pour 218 requis), les républicains y gagnant 10 sièges.
Dès lors, l’enjeu se concentre sur le Sénat, sans qui les lois, traités, ou nominations à certains postes clés (juges à la Cour suprême, juges fédéraux, Procureur général…) ne peuvent être approuvés. Pour l’heure, le parti républicain y détient 50 sièges, contre 48 au parti démocrate, les 2 sièges restant à pourvoir étant ceux de l’État de Géorgie, où un second vote (runoff elections) est organisé le 5 janvier 2021, après que le premier eut échoué à départager les candidats (aucun d’entre eux n’obtenant la majorité requise de 50%).
Si, en bout de course, le Sénat devait se répartir à égalité de 50 sièges entre démocrates et républicains, la vice-présidente Kamala Harris (également présidente du Sénat de par la Constitution) emporterait les décisions en se voyant attribuer un droit de vote. Aux États-Unis, une grande partie de la politique gouvernementale des prochaines années se jouera donc en Géorgie, le 5 janvier.
Qu’elles aient trait à la santé publique (réhabilitation de l’Obamacare, accès facilité à Medicare et Medicaid, instauration d’une couverture universelle pour la petite enfance, aides fédérales à la souscription d’assurance privée…), aux conditions de travail (hausse du salaire minimum fédéral de USD 7,5 à USD 15 de l’heure, amélioration du statut des indépendants, doublement de la participation fédérale à la State Small Business Credit Initiative...), ou à l’éducation (augmentation du nombre des bourses, gratuité des études jusqu’au community college pour les élèves issus de familles modestes, effacement des dettes étudiantes après 20 ans de remboursement...) les propositions du président Biden sont ambitieuses et n’auront que peu de chance d’aboutir en cas de Sénat républicain.
Au sein du camp démocrate lui-même, elles devront faire l’objet de compromis. Des marges de manœuvre plus importantes existent en revanche dans d’autres domaines, comme la politique étrangère, où le président Biden est susceptible d’agir par décret. Le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat, qui n’est pas un traité et n’exige donc pas de vote au Sénat, s’inscrit par exemple dans la liste des promesses qui seront tenues. Les programmes en matière de politique industrielle(durcissement des règles d’origine appliquées au made in USA, achats fédéraux de matériels américains, investissements en recherche et développement) ou d’infrastructures (réfection des réseaux routiers, déploiement du haut-débit, encouragement du ferroviaire et des transports publics) peuvent aussi faire l’objet d’accords bipartites.
Urgence sanitaire et économique
Dans l’immédiat, la priorité de l’administration Biden sera de combattre une épidémie de Covid-19 qui s’emballe et promet d’aggraver un bilan humain (près de 300 000 morts) et socio-économique (près de 10 millions d’emplois perdus) déjà lourd. Au moment d’écrire ces lignes, le taux d’incidence de la maladie (le nombre d’infections rapporté à la population), accentué par les fêtes de Thanksgiving, battait des records : avec 175 000 nouveaux cas par jour, soit 53 pour 100 000 habitants, il indiquait une propagation du virus deux fois plus rapide qu’en Europe1.
D’abord active dans les États ruraux (Dakota du Nord, Indiana, Kansas, Utah, Colorado…), la vague épidémique gagnait à nouveau dans les grands centres urbains. Un vaccin serait-il disponible vers la fin d’année 2020 ou début 2021 que la situation empirera tout de même dans les semaines à venir. Dans une intervention récente devant le Bay Area Council Economic Institute, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, envisageait des prochains mois « très difficiles ». Dans l’État de New-York, où le combat contre le coronavirus est l’un des plus âpres, les écoles ont été fermées, au même titre que la plupart des commerces et lieux publics en Californie.
Les rapports de mobilité fournis par les moteurs de recherche sur internet indiquent, de leur côté, un tassement de l’activité. En novembre, la consommation privée se serait ainsi contractée de 1% à 1,5%, après plusieurs mois de rebond (cf. encadré et graphique 3) ; son recul devrait s’être accentué en décembre. Avant même d’être élu, Joe Biden s’était employé avec la présidente de la Chambre Nancy Pelosi à faire adopter par le Congrès un plan additionnel de lutte contre la pandémie. Le climat préélectoral autant que le rebond économique des mois d’été avaient cependant joué contre un accord budgétaire et favorisé le statu quo. Maintenant que l’horizon conjoncturel s’assombrit, celui-ci paraît de moins en moins tenable. Récemment, une initiative bipartisane a vu le jour au Sénat, qui vise à débloquer près de USD 1 000 milliards de fonds d’urgence.
Au-delà des mesures purement sanitaires (généralisation des tests et procédures de traçage, aides à l’accès aux soins…) il serait question d’accroître et de prolonger au-delà du 31 décembre 2020 le complément fédéral d’indemnités chômage (actuellement réduit à USD 400 par semaine) ainsi que d’amplifier le Paycheck Protection Program, un dispositif de soutien aux petites entreprises.