Eco Emerging

Perspectives mitigées

07/06/2022

La situation de l’économie nigériane est contrastée. Le niveau faible de la production pétrolière ne lui permet pas de profiter pleinement de la remontée des cours. Le compte courant devrait redevenir excédentaire cette année, mais la persistance d’un régime de change rigide continue de peser sur l’attractivité de l’économie et sur la disponibilité de la liquidité en dollars. Le choc sur les prix des matières premières exacerbe des pressions inflationnistes déjà fortes, et le déficit budgétaire va rester élevé en raison de la poursuite d’une politique de subventions énergétiques devenue trop coûteuse. Pour l’instant, la vigueur de la reprise économique n’est pas compromise. Mais la fragilisation de la stabilité macroéconomique expose l’économie nigériane à de nouvelles déconvenues à l’avenir.

Le Nigéria, premier producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne, devrait bénéficier de la conjoncture mondiale actuelle. Cependant, si les perspectives de croissance sont positives, les gains en termes de stabilité macroéconomique seront modestes. La contre-performance du secteur pétrolier en est une des principales raisons. La production de pétrole brut (hors condensats) vient en effet de toucher un point bas, à seulement 1,2 million de barils/jour en mai 2022 contre un quota fixé dans le cadre des accords OPEP+ de 1,76 million de barils/jour. Depuis début 2020, le pays n’arrive plus à remplir ses objectifs en raison de la répétition d’incidents techniques et de l’insécurité. Même en tablant sur une amélioration dans les prochains mois, la production totale de pétrole devrait atteindre au mieux 1,6 million de barils/jour en moyenne cette année, soit un niveau similaire à celui de 2021 mais inférieur de 20% à 2019. À cela s’ajoutent les déséquilibres générés par l’inertie de la politique économique. Certes, la banque centrale vient tout juste de relever son taux directeur, mais le timing interroge. Par ailleurs, elle ne semble toujours pas prête à assouplir son régime de change malgré la persistance d’importants dysfonctionnements. Surtout, la décision de reporter à mi-2023 la réforme du système de subventions pétrolières va peser considérablement sur les finances publiques.

Inflation : la banque centrale réagit enfin

L’inflation posait problème avant le déclenchement du conflit en Ukraine. Il s’est aggravé depuis. La hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) a atteint 17,7% en glissement annuel (g.a.) en mai 2022. Elle devrait très prochainement dépasser le dernier pic de 18% touché au premier trimestre 2021 (graphique 1). Le Nigéria est importateur net de produits alimentaires et se voit lourdement impacté par l’envolée des cours internationaux des matières premières. De plus, l’alimentation compte pour 51% du panier de consommation.

La hausse des prix alimentaires (19,5% en g.a. en mai) explique ainsi en grande partie les fortes pressions inflationnistes, mais pas seulement. Hors alimentation, l’inflation progresse aussi (14,9% en mai contre 13,8% en janvier), notamment en raison du choc énergétique. De fait, si les prix de l’essence sont stables grâce au système de subventions, ceux du gaz et du diesel sont dérégulés. Or, environ 70% du gaz consommé est importé alors que le diesel est largemment utilisé pour pallier aux déficiences du réseau national d’électricité.

Dans ce contexte, la banque centrale a relevé son taux directeur de 150 points de base (pb) à 13% en mai. Cette décision a surpris. Il s’agit de la première hausse de taux depuis mi-2020, et il faut remonter à juillet 2016 pour voir la banque centrale durcir sa politique monétaire, alors que l’inflation est constamment restée au-dessus de ses objectifs (6-9%). Doit-on y déceler un changement de cap vers davantage de discipline ? Difficile à dire dans la mesure où la banque centrale poursuit dans le même temps des objectifs qui peuvent entrer en contradiction avec la lutte contre l’inflation, à commencer par le maintien de sa politique de soutien à certains secteurs d’activité via des prêts subventionnés. Les dysfonctionnements sévères générés par le système de change sont un autre exemple. Quoi qu’il en soit, des hausses suplémentaires de taux seront nécessaires si la banque centrale veut réancrer les anticipations d’inflation. Mais la visibilité est limitée.

PRÉVISIONS

NIGÉRIA : ENVIRONNEMENT MONÉTAIRE

Stabilité macroéconomique : toujours fragile

NIGÉRIA : TAUX DE CHANGE

L’envolée des importations de pétrole contrarie le redressement des comptes extérieurs mais le déficit courant se résorbe et le Nigéria devrait être en mesure de dégager un excédent cette année. Pour autant, les problèmes de liquidité extérieure persistent. Tombées à un point bas de USD 33,7 mds en mars 2020, les réserves de change se sont stabilisées ensuite autour de USD 35 mds.

Mais cette stabilisation s’est faite au prix d’un rationnement strict de devises et d’une compression forte des importations. Après être remontées à USD 41,5 mds en septembre 2021, grâce à l’allocation de DTS du FMI et à une importante émission euro-obligataire, les réserves de change sont de nouveau en baisse depuis octobre (USD 38,4 mds en mai). L’écart entre le taux de change officiel et le taux parallèle s’est également accru pour dépasser 40% aujourd’hui contre 22% à la mi-2021 (graphique 2).

La volonté des autorités monétaires de préserver la stabilité du taux de change (malgré quelques ajustements) continue de peser fortement sur la quantité de dollars disponible dans l’économie. Cette pénurie se répercute sur l’inflation dans la mesure où des pans entiers de l’économie se sont tournés vers le marché parallèle pour les achats de produits importés. Cela affaiblit aussi l’attractivé financière du Nigéria. Les entrées de capitaux se sont encore écroulées en 2021 après le choc de 2020. Elles sont passées de USD 23,7 mds en 2019 à USD 6,7 mds en 2021. La situation ne devrait guère s’améliorer à court terme compte tenu du resserrement de la liquidité mondiale. Les autorités ont déjà émis des euro-obligations en mars 2022, mais la hausse des spreads sur les titres souverains nigérians (EMBI), de 344 points de base (pb) depuis avril, traduit une défiance accrue des investisseurs. Ils atteignent désormais 962 pb, soit l’un des spreads les plus élevés parmi les émetteurs africains.

Alors que les entrées de capitaux étrangers devraient rester déprimées, le Nigéria est également exposé à un risque de sorties de capitaux à court terme, dans un contexte de resserrement de la politique monétaire américaine et de montée de l’aversion au risque des investisseurs internationaux. De fait, le stock total de « hot money » (stock d’investissements de portefeuille et dette à court terme) reste significatif, équivalant à 44% des réserves de changes à fin 2021.

La situation des finances publiques est encore plus préoccupante. Entre le poids élevé des subventions énergétiques et la baisse de la production pétrolière, le gouvernement nigérian n’avait déjà pas profité de la remontée des cours du pétrole en 2021. Ce sera encore le cas en 2022. Le coût supporté par la compagnie nationale d’hydrocarbures dans le cadre de la politique énergétique devrait atteindre presque 2 points de PIB, soit plus de 20% du total des revenus budgétaires du gouvernement. Hors hydrocarbures, les recettes sont structurellement faibles (inférieures à 5% du PIB) et la flexibilité est limitée en raison du niveau extrêmement bas des dépenses en capital (autour de 2% du PIB).

Malgré la hausse prononcée du PIB nominal, les indicateurs des finances publiques vont donc rester dégradés cette année. Le déficit budgétaire est attendu à 5,5% du PIB en 2022 et la dette publique devrait s’accroître légèrement à 31% du PIB. À ce stade, la soutenabilité de la dette n’est pas menacée, d’autant que sa structure est favorable (70% de l’encours est libellé en monnaie locale) et que le Nigéria n’a pas d’importantes tombées de dette euro-obligataire à court terme. Néanmoins, la dynamique de dette inquiète - la dette publique atteignait seulement 13% du PIB en 2014 - et son coût élevé entrave la marge de manœuvre du gouvernement et sa capacité à faire face à de nouveaux chocs. Plus de 30% des recettes du gouvernement sont désormais alloués au paiement des charges d’intérêt, contre moins de 10% en 2014.

Croissance vigoureuse en 2022, incertitudes au-delà

La persistance de tensions sur les comptes externes et les finances publiques n’a pas entamé la vigueur de la reprise pour le moment. Certes, la croissance au T1 2022 a décéléré à 3,1% contre 4% au trimestre précédent mais cela traduit avant tout la chute de 26% du PIB pétrolier. Hors hydrocarbures, la dynamique est restée solide (+6,1%) grâce à la bonne performance du secteur tertiaire (+7,4% ; 54% du PIB). Les indicateurs avancés pour le T2 restent plutôt bien orientés. Sous réserve que la production pétrolière ne diminue plus, la croissance du Nigéria pourrait atteindre 3,4% en 2022, soit un taux inchangé par rapport à 2021, ce qui constituerait une performance assez remarquable compte tenu de la dissipation de l’effet de rattrapage post-covid.

Néanmoins, à ce rythme, il faudra attendre 2025 pour que le PIB réel par habitant retrouve son niveau de 2019. En outre, en l’absence de changements structurels profonds, le Nigéria restera exposé aux fluctuations des cours du pétrole.

Des élections présidentielles vont se tenir en février 2023. Si les deux candidats sont connus, leurs programmes de réformes restent à définir. La refonte du système de subventions énergétiques devrait être un chantier prioritaire, mais elle restera un sujet extrêmement sensible sur le plan social. Le gouverneur de la banque centrale (dont le mandat expire en juin 2024) n’a cessé de répéter son opposition à la flexibilisation du régime de change pour les mêmes raisons.

En revanche, des améliorations devraient venir du démarrage au second semestre 2022 d’une méga-raffinerie, dont la capacité suffira à couvrir les besoins en pétrole du Nigéria. Le regain d’intérêt des investisseurs pour ses vastes réserves de gaz pourrait aussi permettre de revitaliser un secteur à la peine depuis de nombreuses années. Mais il en faudra bien plus pour permettre au Nigéria de retrouver le chemin d’une croissance supérieure à 5% qui prévalait au tournant des années 2010.

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