Le choc récessif massif du S1 a été suivi d’un rebond tout aussi spectaculaire de l’activité économique au T3 (18,7% t/t) mais de courte durée. Le scénario en « W » s’est, en effet, matérialisé : une rechute est attendue au T4, due au reconfinement instauré le 30 octobre pour endiguer la nouvelle vague épidémique. Le deuxième « V » devrait toutefois être moins marqué que le premier : à la baisse, notamment parce que le confinement est moins strict ; à la hausse, car des contraintes sanitaires subsisteront et l’économie française est fragilisée. La route s’annonce encore longue mais l’arrivée de vaccins permet d’entrevoir la lumière au bout du tunnel. Les premiers effets positifs du plan France Relance devraient aussi soutenir la croissance, ce qui permet d’envisager un retour du PIB à son niveau d’avant-crise en 2022.
Retour sur quelques caractéristiques du rebond du T3 2020
D’après la deuxième estimation de l’INSEE, le PIB français a crû de 18,7% t/t au T3, un rebond aussi spectaculaire que le plongeon qui l’a précédé (-19% au S1 2020) et, par ailleurs, revu à la hausse par rapport à la première estimation (18,2% t/t).
Ce rebond est le deuxième plus important de la zone euro (l’Irlande fait mieux avec +21,4% t/t). Il ne permet toutefois pas de rattraper tout le terrain perdu : le PIB reste 3,7% sous son niveau de la fin 2019, ce qui est à la fois peu - compte tenu du point bas par lequel l’économie est passée - et beaucoup au vu des freins à l’œuvre (cf. infra) qui font que les derniers pourcents à rattraper le seront plus lentement et difficilement que les premiers, plus mécaniques.
L’ensemble des composantes du PIB ont très fortement augmenté, tandis que la contribution très négative des variations de stocks est venue atténuer le rebond. L’évolution de l’investissement des entreprises et de la consommation des ménages retient plus particulièrement notre attention.
L’investissement des entreprises a chuté de 21% au S1 avant de rebondir d’autant au T3, des chiffres proches de ceux du PIB alors qu’habituellement les fluctuations de l’investissement sont nettement plus marquées. Il n’y a pas eu d’accentuation de la contraction par le canal des anticipations, de la détérioration du climat des affaires et de l’accroissement de l’incertitude, ni par celui de l’accélérateur financier. L’enquête trimestrielle de l’INSEE sur les investissements dans l’industrie rend compte également de cette relative résistance : la baisse attendue en 2020 (-14%) est moins marquée que celle de 2009 (-22%).
Cela illustre la nature foncièrement différente des deux crises et les contraintes financières moins fortes aujourd’hui grâce au vaste soutien budgétaire et monétaire déployé depuis le printemps. La consommation des ménages est, avec la consommation publique, la composante du PIB qui s’est le plus redressée : au T3, la consommation publique était revenue à son niveau d’avant-crise et celle des ménages était 1,6% en-dessous (5% pour l’investissement, 15% pour les exportations). Les dépenses de consommation en biens ont dépassé de 1% leur niveau d’avant-crise mais celles de services se situent 5% en-deçà.
S’agissant du rebond de la consommation de biens, on peut voir le verre à moitié vide comme à moitié plein. D’un côté, on peut être déçu qu’elle ait dépassé de seulement 1% son niveau d’avant-crise alors même qu’elle est moins empêchée par les restrictions sanitaires que la consommation de services. Mais, dans le contexte actuel, on peut aussi être favorablement impressionné par le fait qu’elle l’ait dépassé. La baisse marquée du taux d’épargne des ménages au T3, à 16,5% de leur revenu disponible brut, va en ce sens d’une lecture positive des chiffres de la consommation. Après avoir bondi de 11,6 points au S1 2020, le taux d’épargne a diminué de quasiment autant au T3 (-10,2 points) : le flux d’épargne forcée, accumulée pendant le premier confinement, semble ainsi avoir nettement dégonflé.
Le risque du W s'est matérialisé
Essentiellement mécanique, on savait que le rebond du T3 serait suivi d’une croissance moins forte, à mesure que les effets de rattrapage s’atténueraient et du fait de la persistance de fortes disparités sectorielles et des contraintes et incertitudes sanitaires. Le reconfinement, débuté le 30 octobre pour endiguer la nouvelle vague épidémique, a remplacé la question de l’ampleur de l’essoufflement par celle de la contraction. Le risque d’un scénario en W s’est donc matérialisé (cf. graphique2).
Le deuxième « V » devrait toutefois être moins marqué que le premier :
• à la baisse (la contraction au T4 2020) : le deuxième confinement est moins strict que le premier ; l’impact sectoriel est plus concentré (cf. graphique 3) ; les entreprises et les consommateurs se sont adaptés ; l’environnement international est moins détérioré.
De fait, la rechute des enquêtes d’octobre et novembre sur le climat des affaires et la confiance des consommateurs est nette mais bien moindre qu’en mars-avril1. Une particularité négative de l’impact du confinement au T4 réside dans la baisse de la consommation des ménages, attendue légèrement supérieure à celle du PIB quand elle avait été moindre au T2.
• à la hausse (le rebond début 2021) : le confinement n’est allégé que progressivement et sous conditions sanitaires ; l’économie est affaiblie par le premier confinement ; les contraintes et incertitudes sanitaires demeurent, ainsi que les disparités sectorielles ; les incertitudes économiques (Brexit, vacillement de la croissance américaine) continuent de projeter leur ombre.
Il reste une part d’incertitude sur l’ampleur de la rechute du PIB au T4. L’INSEE et la Banque de France estiment que l’économie fonctionnait à 96% de son niveau normal en octobre et à 88% en novembre (contre 71% en avril 2020). Le confinement se poursuivant en décembre, dans une version un peu allégée, ce pourcentage devrait se redresser, mais jusqu’où ? Notre prévision d’une contraction du PIB de 5% t/t (effectuée avant les annonces du 24 novembre sur l’allègement du confinement) repose sur l’hypothèse que ce taux remonte à 90%. Cette hypothèse, et par conséquent notre prévision de contraction du PIB (au T4 et sur l’ensemble de l’année 2020) pourraient se révéler trop pessimistes. Dans son Point de conjoncture du 2 décembre, l’INSEE avance le chiffre de 92% et prévoit une contraction de 4,4% du PIB au T4 et de 9,1% en 2020.
Espoirs et défis de 2021 et 2022
Le redémarrage économique à compter de début 2021 devrait être progressif mais significatif. Progressif pour les raisons susmentionnées à propos du T1, auxquelles s’ajoutent les caractéristiques sectorielles de l’économie française (le poids élevé des services marchands, plus durement et durablement affectés par la crise sanitaire que l’industrie2).
Les séquelles du choc récessif massif de 2020, d’ampleur incertaine, pèseront également sur la reprise (défaillances d’entreprises, chômage plus élevé, ratios de dette plus élevés, moindres gains de productivité). Avec une croissance attendue à 6,3%, il s’agit aussi d’un rebond significatif. Cette prévision, ainsi d’ailleurs que celle pour 2022 (3,8%), se situe au-dessus du consensus et des prévisions institutionnelles.
Pour 2021, nous voyons même la balance des risques pencher du côté positif, tandis qu’en 2022 elle serait équilibrée. En plus de la poursuite du rattrapage du niveau normal de l’activité, la croissance devrait être soutenue par les effets amortisseurs des mesures d’urgence et les premiers effets du plan France Relance, notamment sur l’investissement. Le potentiel de rebond de la consommation des ménages est également important compte tenu de l’épargne accumulée pendant la crise. Son caractère liquide la rend facilement mobilisable. Néanmoins, sa concentration dans le haut de l’échelle des revenus entraîne l’effet contraire, les dépenses des plus aisés (voyages, sorties et autres loisirs) étant plus contraintes par la crise sanitaire. Le risque existe aussi que cette épargne soit transformée en épargne de précaution.
Ce sera affaire de confiance. Cela dépendra aussi de la situation du marché du travail qui s’annonce, au mieux, mitigée, avec un redressement attendu de l’emploi mais aussi du taux de chômage, le risque étant que le premier soit faible et le second important. La situation sanitaire importe également.
De ce point de vue, la découverte de vaccins contre la Covid-19 et le démarrage d’une large campagne de vaccination dès 2021, en France et ailleurs dans le monde, suscitent un important espoir. Ils permettent d’entrevoir la lumière au bout du tunnel et de lisser les perspectives de croissance, de réduire le risque d’une poursuite du stop-and-go.
La diminution progressive du risque sanitaire, des contraintes et des incertitudes associées, devrait jouer favorablement sur les anticipations et les comportements de dépenses. La défiance importante, dont semblent faire preuve les Français à l’égard de ces vaccins, constitue toutefois un aléa négatif non négligeable. Le rétablissement s’annonce long mais 2022 apparaît comme un horizon accessible pour un retour à la normale, c’est-à-dire un retour du PIB à son niveau d’avant-crise et de l’économie à 100% de son niveau de fonctionnement normal. Le PIB resterait, en revanche, loin de sa trajectoire d’avant-crise (cf. graphique 4). Et il est probable qu’il ne la retrouve jamais, actant d’un choc négatif permanent.