Inévitablement basé sur un compromis, l’accord portant sur un effort de relance européen, conclu cette semaine, n’en est pas moins historique. Il combine des subventions et des prêts accordés aux États membres et sera financé par des emprunts contractés au niveau de l’Union européenne.Cet accord crée un précédent pour la gestion de situations de crise en instaurant un meilleur équilibre entre politique monétaire et politique budgétaire. La possibilité d’une telle approche sur deux fronts, réduit le risque de perte extrême (tail risk) et devrait ainsi structurellement soutenir la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs. L’allocation ciblée de subventions, en faveur des pays qui en ont le plus besoin, constitue une autre avancée historique et devrait générer un effet multiplicateur plus conséquent.
Comme tous les accords fondés sur un compromis, celui sur l’effort de relance européen, conclu cette semaine par les Vingt-Sept lors du Conseil européen, n’est pas parfait. Ceux que l’aléa moral préoccupe peuvent objecter que la conditionnalité attachée aux subventions est peu contraignante. D’autres feront valoir que, d’une part, certains pays ont obtenu un rabais sur leur contribution au budget de l’UE tandis que, d’autre part, les montants alloués à l’innovation et à la transition vers une économie verte ont été réduits dans le cadre financier pluriannuel (CFP), le budget de l’UE pour la période 2021-2027. Enfin, la révision à la baisse des EUR 500 mds de subventions prévues dans la proposition initiale de la Commission, à EUR 390 mds, ne manquera pas de susciter des frustrations.
Pour autant, l’accord est réellement historique et il rejoint les autres temps forts depuis la création de l’euro comme le discours dans lequel Mario Draghi déclarait que la BCE était prête à «?faire tout ce qu’il faudra?», en 2012, à l’acmé de la crise de la dette souveraine dans la zone euro, ou encore le lancement du Programme d’achats d’urgence pandémique (PEPP) par la BCE, structuré de manière à ne pas être contraint par la clé de répartition du programme «?normal?» d’achat d’actifs. Dans les deux cas, il s’agissait de décisions de nature monétaire. Aujourd’hui, enfin, c’est sur le front de la politique budgétaire qu’un grand pas en avant a été franchi. Un tournant indispensable dans un contexte de taux d’intérêt très bas à négatifs et où l’assouplissement quantitatif bat son plein, limitant d’autant la marge de manœuvre de la politique monétaire.
C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle les responsables de la BCE ont si souvent appelé les États à prendre le relais. Il y a là urgence, compte tenu des coûts économiques de la pandémie, en particulier dans les pays moins résilients sur le plan économique. Comme l’a expliqué la Commission européenne, lors de la présentation de sa proposition fin mai, ne rien faire aggraverait les divergences entre les pays et finirait par peser sur le fonctionnement du marché unique. Aussi cette initiative, qui va bien au-delà de simples mesures d’incitation conjoncturelle, mérite son nom de «?Next Generation EU?».
L’accord est historique à plus d’un titre. Il a été obtenu rapidement, à peine deux mois après la proposition du tandem Macron-Merkel formulée le 18 mai, portant sur EUR 500 mds, qui introduisait le concept de subventions, et la proposition initiale de la Commission européenne faite à la fin mai. La décision d’accorder des subventions aurait semblé impensable il y a seulement quelques mois tout comme le lancement d’un emprunt à l’échelle de l’UE. Conclusion : il ne faut jamais dire «?jamais?». Non seulement il a été possible d’émettre un instrument de dette commun, mais les pays membres ont réussi à trancher sur un problème ancien, celui de la solidarité face à l’aléa moral.
Il faut se garder d’y voir un événement unique. Certes, la pandémie de Covid-19 a engendré une situation exceptionnelle, mais un précédent aura été créé dont il convient de se féliciter. La flexibilité des politiques va, en effet, s’en trouver renforcée, dans le cas où l’UE serait de nouveau confrontée à l’avenir à une crise économique majeure. Pour les pays de la zone euro, cela implique que la lutte contre la crise ne relève plus de la compétence exclusive de la Banque centrale européenne – au-delà, bien entendu, des réactions des politiques budgétaires nationales – mais que la politique budgétaire à l’échelle communautaire peut désormais apporter sa contribution. La possibilité d’une telle approche sur deux fronts, réduit le risque de perte extrême (tail risk) et devrait structurellement soutenir la confiance des ménages, des entreprises et des investisseurs. Ce n'est pas sans raison que l’euro s’est récemment raffermi face au dollar. À court terme, le déploiement en perspective de EUR 750 mds sur les trois prochaines années devrait soutenir également la confiance, améliorant ainsi l’efficacité de l’orientation de la politique monétaire de la BCE. À cet égard l’allocation ciblée de subventions, au profit des pays qui en ont le plus besoin, constitue une autre avancée historique susceptible de renforcer l’effet multiplicateur.
Autre conséquence dont on peut se féliciter : la priorité accrue donnée à la supervision, au niveau de l’UE, des politiques structurelles nationales. Les pays qui solliciteront des subventions et des prêts dans ce cadre devront présenter des «?plans pour la reprise et la résilience?» et, pour le décaissement des tranches additionnelles, les résultats atteints au regard des objectifs fixés. Pour l’évaluation réalisée par la Commission européenne, les critères «?de cohérence avec les recommandations par pays, ainsi que de renforcement du potentiel de croissance, de la création d’emplois et de la résilience économique et sociale de l’État membre, doivent obtenir le score le plus élevé de l’évaluation. Une contribution effective à la transition verte et numérique constitue également une condition préalable à une évaluation positive?»[1]. Cela implique que le pouvoir de supervision de la Commission européenne et de discussion au sein du Conseil européen revêt clairement une dimension de politique structurelle. Reste que le Conseil doit approuver l’évaluation des plans pour la reprise et la résilience en statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission.
Dernière illustration de la portée considérable de l’accord obtenu cette semaine : la nécessité, pour l’UE, de trouver des ressources propres en vue de rembourser la partie des emprunts utilisée pour les subventions[2]. Le document du Conseil mentionne à cet égard une taxe sur les déchets plastiques non recyclés, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, une redevance numérique, un système révisé d’échange de quotas d’émission et, peut-être, une taxe sur les transactions financières. Même s’il reste à déterminer quelles seront ces ressources propres et à hauteur de quels montants, cette nécessité influencera l’agenda de l’UE, un effet positif qui doit être porté au crédit de l’accord.