Nouveau ralentissement de la croissance
Après une croissance de 2,7% en 2018, le PIB réel a nettement ralenti au premier semestre 2019 (+1,9% en g.a.). L’investissement hors construction a reculé de 6,5% en moyenne au cours des deux premiers trimestres de 2019 et les dépenses en biens d’équipement ont reculé de plus de 17% sur la même période, conséquence directe des difficultés rencontrées dans le secteur des semi-conducteurs et du conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis. Par ailleurs, les règles macroprudentielles mises en place par le gouvernement depuis fin 2017 (destinées notamment à contenir la progression de la dette des ménages) ont pesé sur l’investissement dans la construction.
Au total, l’investissement a reculé pour le cinquième trimestre consécutif de 3,4% (en g.a.) au T2 (graphique 2). Dans le même temps, la consommation privée s’est stabilisée à 1,0% au premier semestre 2019, après avoir décéléré tout au long de 2018. L’ensemble des chiffres disponibles pour le troisième trimestre (ventes au détail, production industrielle et indice PMI) indiquent un nouveau ralentissement au troisième trimestre.
Surtout, les exportations s’effondrent (-11,7% en g.a. en septembre, après -13,8% en août). Sur les neuf premiers mois de l’année, elles ont reculé de près de 10% en g.a. alors qu’elles avaient progressé de 6% en 2018. Les exportations à destination de la Chine en particulier ont lourdement chuté, reflétant à la fois la faiblesse de la demande mondiale – la Chine reste au centre de la chaîne de valeur asiatique, même si sa structure évolue – et le ralentissement de l’économie chinoise, celle-ci devenant une source de demande finale de plus en plus importante. Par secteur, ce sont les exportations de semi-conducteurs et de biens électroniques qui ont le plus lourdement chuté. Et les perspectives ne sont pas favorables : la croissance chinoise devrait ralentir davantage, et les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis persistent. Par ailleurs, le secteur exportateur coréen sera de nouveau mis à l’épreuve au cours des prochains trimestres : depuis le début de l’été, le conflit diplomatique entre le Japon et la Corée s’est envenimé, occasionnant des mesures commerciales des deux pays.
Tensions avec le Japon
Les tensions entre la Corée et le Japon témoignent d’un conflit historique et politique courant sur plusieurs décennies[1]. Récemment, la réapparition d’un désaccord lié aux réparations coloniales a ravivé les tensions entre les deux pays.
Le 1er juillet dernier, le Premier ministre japonais a annoncé des restrictions concernant l’exportation vers la Corée d’un ensemble de produits - dont trois produits chimiques nécessaires à la fabrication de semi-conducteurs, écrans de smartphones et de télévision, industries de pointe coréennes. Puis, le 2 août, le gouvernement japonais a signalé avoir retiré la Corée du Sud de la liste des pays avec lesquels le Japon entretient des relations commerciales privilégiées. Les pays figurant sur cette liste sont considérés comme des partenaires commerciaux « fiables » et bénéficient, entre autres choses, de facilités relatives à l’importation de produits « stratégiques » (matériel militaire, produits chimiques sensibles).
A l’inverse, les pays ne figurant pas sur la liste doivent demander une autorisation spéciale pour chaque produit, tous les 6 mois, et le délai d’obtention de cette autorisation peut s’étendre à 90 jours. Concernant la Corée, des autorisations devront être obtenues pour plus de 1 000 produits, et la liste des produits nécessitant une autorisation spéciale pourrait être étendue à tout moment par le gouvernement japonais.
Mi-septembre, le gouvernement coréen a pris une décision similaire, en retirant le Japon des partenaires commerciaux « amis ». Cette décision intervient un mois après que la Corée a décidé de ne pas reconduire un accord de partage de renseignements militaires, en vigueur depuis 2016.
Répercussions sur le secteur exportateur
A première vue, les conséquences pour l’économie coréenne devraient être relativement limitées : les importations en provenance du Japon représentaient en 2018 moins de 10% du total (alors que les Etats-Unis et la Chine représentaient respectivement 12% et 21%) et les exportations vers le Japon ne représentaient que 5% du total (alors que la Chine et les Etats Unis représentaient respectivement 25% et 12%). En outre, en termes de valeur ajoutée, la montée en gamme de l’industrie coréenne observée au cours de la dernière décennie s’est traduite par une nette diminution de la part d’intrants japonais dans le processus de production coréen.
Cela dit, en 2018, les importations de biens en provenance du Japon étaient composées à 90% de biens intermédiaires et de biens d’investissement. Elles étaient très majoritairement composées de biens chimiques, biens intermédiaires liés au secteur des semi-conducteurs et métaux de base, précisément les produits visés par les restrictions. Enfin, les entreprises japonaises qui fournissent l’ensemble de ces biens occupent une position largement dominante sur le marché mondial, rendant toute alternative difficile d’accès pour les entreprises coréennes.
D’après le ministère du Commerce coréen, au début du mois d’octobre, soit trois mois après l’annonce de ces mesures, les demandes d’autorisation pour plusieurs produits entrant dans le processus de fabrication des semi-conducteurs n’avaient pas abouti. Le secteur des semi-conducteurs en particulier (mais potentiellement une part bien plus large de l’industrie coréenne) pourrait se retrouver structurellement fragilisé si les délais d’approvisionnement (ou les ruptures, dans un scénario extrême) venaient à durer. Plus largement, compte tenu de la forte intégration des différentes économies de la région, l’ensemble de la chaîne de valeur asiatique pourrait se retrouver pénalisée par les délais d’approvisionnement. Enfin, les craintes des investisseurs pourraient s’amplifier et peser davantage sur l’investissement dans les trimestres à venir.
Soutien à l’investissement
La Corée dispose de solides fondamentaux macroéconomiques et de marges de manœuvre lui permettant de soutenir l’activité. L’inflation est basse, ce qui laisse la possibilité à la banque centrale de baisser davantage les taux d’intérêt (actuellement à 1,25%) au cours des prochains trimestres.
Surtout la dette publique est modérée, autour de 40% du PIB. A l’occasion de la présentation du budget pour l’année 2020, le gouvernement coréen a présenté un ensemble de mesures destinées à soutenir la croissance, et en particulier l’investissement. Dans le cadre du programme « La croissance par l’innovation », le gouvernement envisage de réduire la dépendance du pays à l’importation, d’augmenter la compétitivité locale et d’accélérer la montée en gamme de l’industrie coréenne. Les trois industries privilégiées par le programme (semi-conducteurs, biochimie et santé, véhicules innovants) devraient bénéficier d’un soutien accru. Par ailleurs, les dépenses de recherche et développement devraient augmenter de près de 20%, et celles concernant le secteur manufacturier et les PME de près de 30% par rapport à 2019. La politique budgétaire est expansionniste depuis plusieurs années. D’après les prévisions gouvernementales, en prenant en compte l’excédent du fonds de sécurité sociale, le solde public devrait être en déficit en 2020 (-1,6% du PIB, après un excédent de 0,3% en 2019) pour la première fois depuis 2015. Hors excédent de la sécurité sociale, le déficit devrait atteindre 3,6% du PIB (après 2,0% en 2019).
Au total, compte tenu des perspectives franchement défavorables pour le secteur exportateur, les mesures de relance devraient être insuffisantes pour permettre une forte ré-accélération de la croissance. La croissance du PIB réel devrait rester contenue à 2,0% en moyenne en 2019-2020.