A l’approche du premier tour des élections générales (présidentielle et parlementaire[1]) le 27 octobre, l’économie argentine continue de s’enfoncer dans la récession. Surtout, confronté à une dégradation des réserves de change de la banque centrale et au non renouvellement des bons du Trésor, le gouvernement a été contraint i/ de suspendre jusqu’à la fin de l’année le remboursement des bons du Trésor détenus par des investisseurs institutionnels locaux, ii/ d’annoncer une restructuration de sa dette obligataire, et iii/ de durcir le contrôle des changes (c.f. encadré). Le FMI a soutenu ces mesures d’urgence et étudie les propositions de restructuration. Les chances de réélection de Mauricio Macri sont très faibles et son principal challenger, Alberto Fernandez, devra gérer une situation d’urgence avec le soutien du FMI.
Crise financière avant les élections
Les élections primaires (PASO) ont donné une large avance à Alberto Fernandez et la vice-présidente Cristina Kirchner sur Mauricio Macri, et déclenché un mouvement de défiance des investisseurs tant étrangers que nationaux. Le taux officiel du peso s’est déprécié jusqu’à USD/ARG 60 et il s’est stabilisé depuis début septembre grâce aux mesures de contrôle des changes. Cette stabilisation reste évidemment très fragile, et, depuis le début de l’année, la dépréciation contre le dollar atteint déjà 35%. Surtout, l’écart avec le principal taux parallèle (Blue Chip swap), qui avait disparu avec la libéralisation du contrôle des changes en 2016, s’est de nouveau élargi à 15%. Pour limiter les sorties de capitaux, la banque centrale (BCRA) a dû relever son taux de référence (le taux des LELIQ) de 60% à 86% avant le durcissement du contrôle des changes, pour le ramener à 73% actuellement (avec un plancher de 68% fixé pour la fin octobre). La banque centrale a été contrainte de suspendre temporairement son objectif de stabilité de la base monétaire. Enfin, dans l’attente du détail sur la proposition de restructuration de la dette obligataire de l’Etat, la prime de risque sur la dette internationale en dollars culmine à plus de 2 000 points de base.
L’effet du durcissement monétaire et du contrôle des changes a réduit l’hémorragie des réserves de change (de USD 20 mds par rapport à la mi-juillet) mais ces dernières ont continué de s’effriter (de USD 120 millions par jour jusqu’au début du mois d’octobre) pour atteindre USD 48 mds. De plus, en termes nets (i.e déduction faite des dépôts en dollars des banques commerciales, des prêts du FMI à la BCRA, de la ligne de swap accordée par la Chine), elles n’étaient que de USD 13 mds mi-septembre. D’après les statistiques mensuelles de la balance des paiments de la BCRA, les achats nets d’actifs extérieurs (très majoritairemet des achats nets de dollars) ont été soutenus jusqu’en août (USD 2,8 mds en moyenne entre mars et août avec un pic à 5,1 mds en août) et se sont probablement poursuivis. En effet, d’après les statitiques monétaires de la BCRA, les dépôts en dollars, qui avaient triplé entre fin 2015 et fin juillet 2019 pour atteindre USD 32 mds, ont diminué d’un tiers jusqu’à début octobre, même après le durcissement du contrôle des changes (mais les plafonds de retrait imposés aux ménages sont assez élevés). La suspension forcée du remboursement des titres de dette en dollars (LETES), afin de préserver la liquidité en dollars des banques et le contrôle des changes, n’a pas permis de rassurer les déposants même si une ruée sur les dépôts a pu être évitée. En cas d’assèchement de leurs réserves de liquidité en dollars, les banques pourront avoir accès à des lignes de swap auprès de la BCRA.
Une détérioration accélérée de la situation
Les tensions financières observées depuis le mois d’août ne peuvent qu’aggraver une situation macroéconomique très dégradée. Au T2 2019, et pour le cinquième trimestre consécutif, le PIB a continué de se contracter (-1,3% en rythme annuel). La baisse cumulée est de 7% depuis le T2 2018 avec une contribution négative de 14 points de pourcentage de la demande intérieure. Toutes les composantes sont en repli, y compris la consommation publique, austérité budgétaire oblige. Malgré la récession, le solde primaire du gouvernement fédéral a été ramené à seulement 1% du PIB en août 2019. La contribution du commerce extérieur est sans surprise fortement positive (+7 p.p. en cumul depuis le T2 2018) en raison de la forte contraction des importations et non du dynamisme des exportations. La conjoncture international n’aide pas. Et si les cours du soja se sont repris par rapport au point bas atteint début mai, en revanche ceux du blé et du maïs restent déprimés.
La situation sociale est alarmante. Le taux d’inflation mensuel qui était revenu à 2% en juillet a réaccéléré à 4% en août et devrait se maintenir dans une fourchette de 4% à 6% d’ici la fin de l’année, de sorte que, sur un an, le taux d’inflation pourrait atteindre 60% en décembre. Fin juillet, la perte cumulée de pouvoir d’achat des salaires depuis début 2018 était déjà de 15% et, dans le même temps, les prestations sociales ont été réduites de 12% en termes réels. Le taux de chômage officiel était de 10,6% au T2 2019 contre 8,5% en moyenne en 2017. Une grande partie de la classe moyenne s’est ainsi paupérisée au cours de l’année écoulée.
Même si la restructuration de la dette s’effectue en bon ordre et le FMI se montre flexible eu égard à la gravité de la situation économique et sociale, l’économie argentine enregistrera selon toute vraisemlance une deuxième année consécutive de récession.
Gérer les priorités
L’Etat argentin est surendetté alors même que la politique budgétaire a été restrictive. Les efforts budgétaires consentis au cours des dernières années (le déficit primaire était encore de 4,2% fin 2016) n’ont pas permis de stabiliser le ratio de dette sur PIB du gouvernement fédéral qui devrait atteindre environ 95% fin 2019 contre 52,6% fin 2015. Certes la charge nette d’intérêts a doublé de 1,3% fin 2015 à 2,7% du PIB fin 2018 mais c’est surtout le surendettement en devises qui est en cause (80% de la dette du gouvernement fédéral est libellée en devises). Jusqu’à présent, les autorités veulent éviter d’avoir à demander une réduction de dette, synonyme des litiges judiciaires potentiels avec des créanciers récalcitrants. Par conséquent, la restructuration accordera un répit mais le problème de la stabilisation de la dette restera entier.
A court terme, l’urgence est d’alléger le service de la dette en dollars et de stabiliser l’inflation. Or cela peut générer un conflit d’objectif pour la politique monétaire. En effet, le gouvernement a légalement la possibilité de rembourser en pesos le service de la dette en dollars sous loi argentine et pourrait être tenté (ou obligé) d’avoir recours à un financement monétaire. Même si le FMI accepte d’assouplir le contrôle quantitatif de la base monétaire, il est peu probable qu’il accepte cette solution potentiellement inflationniste.
Par ailleurs, l’urgence sociale va très probablement conduire Alberto Fernandez à revenir sur certaines mesures de libéralisation du gouvernement Macri. Cela passera, a minima, par un gel des tarifs de l’énergie et des transports voire la réintroduction des subventions pour les plus démunis. Parallèlement, pour contenir les effets inflationnistes de la dépréciation du change et sauvegarder la liquidité en dollars, il faut s’attendre à une augmentation des taxes à l’exportation, des mesures de restriction des importations, voire à des mesures de contrôle des prix.
Le risque le plus immédiat serait que le futur gouvernement prenne ses distances avec le FMI comme ceux de E. Duhalde et N. Kirchner l’avaient fait durant la période 2002-2007. Une telle éventualité est très peu probable, notamment parce que l’Etat argentin doit USD 44 mds au FMI. Surtout la situation actuelle est très différente et bien moins favorable que celle de la période 2002-2007 : la marge de manœuvre budgétaire est bien plus limitée (à un peu plus de 20% du PIB, les dépenses primaires ont doublé par rapport à 2003 et le déficit des retraites atteint 4% du PIB contre 2,5% en 2003), l’inflation structurelle est difficile à réduire en raison, notamment, de l’indexation légale des prestations sociales et retraite sur l’inflation passée et, enfin, l’environnement extérieur est beaucoup moins porteur (le cycle haussier des prix des matières premières de 2003-2007 ne se reproduira pas).