Souveraineté monétaire : au-delà du discours incantatoire

25/04/2024

Le débat sur la souveraineté monétaire au sein des pays émergents refait surface, avec d’un côté le projet du président argentin Javier Milei de dollariser son économie, et de l’autre la tentation de plusieurs dirigeants de pays d’Afrique de l’Ouest d’abandonner le franc CFA. L’abandon du franc CFA dans le but de recouvrer la flexibilité d’un régime de taux de change sans ancrage et une plus grande autonomie de la politique monétaire, est un argument soit fragile en théorie, soit peu convaincant en pratique.

Transcription

Le débat sur la souveraineté monétaire a récemment refait surface avec d’un côté le projet du président argentin Javier Milei de dollariser son économie et de l’autre la tentation de plusieurs dirigeants de pays d’Afrique de l’Ouest ou centrale d’abandonner le franc CFA, rattaché à l’euro.
Certes les motivations sont de nature très différente ; dans le cas de l’Argentine, elle est purement économique, car selon le président Javier Milei, le remplacement du peso par le dollar américain est le seul moyen de combattre radicalement et durablement une inflation qui a atteint 288% sur un an fin mars.

Dans le cas du franc CFA, la motivation est principalement politique. Elle relève du principe régalien selon lequel la monnaie est un attribut de l'État qui ne saurait être délégué à un autre Etat. Les mesures économiques du président Milei sont particulièrement brutales socialement, mais elles sont économiquement cohérentes avec la dollarisation. En revanche, l'abandon du franc CFA pose nombre de questions. Il y a deux principaux arguments en faveur d'une plus grande flexibilité de changes et de la politique monétaire. Premièrement, la supposée surévaluation du franc CFA et deuxièmement, le frein à la croissance que constitue la contrainte sur la politique monétaire. Mais qu'en est il exactement ? En ce qui concerne la surévaluation du franc CFA, l'observation du taux de change réel depuis la dévaluation de 1994 montre qu'elle n'est pas patente, ni en niveau ni en évolution.

Par ailleurs, les réserves de changes de la Banque centrale des pays d'Afrique de l'Ouest n'ont pas atteint un niveau critique, ce qui était le cas à la fin de 1993. Cette première conclusion sur la surévaluation est la même à l'aide de différents outils de modélisation. Ceux du FMI indiquent soit une modeste surévaluation, soit même une légère sous évaluation.

Alors, il est vrai que dans le cas des pays en développement exportateurs de matières premières, les évolutions parfois violentes des termes de l'échange qui sont le rapport des prix internationaux à l'exportation par rapport au prix à l'importation, militent pour une certaine flexibilité du taux de change. Mais on peut montrer, à partir d'un petit modèle simple d'équilibre général adapté aux données du Sénégal, que l'ampleur de la dégradation des termes de l'échange qui justifierait une dévaluation n'a pas été observée au cours des 20 dernières années.

En ce qui concerne le frein à la croissance, de l'absence de flexibilité monétaire, l'argument nous paraît encore moins fondé. En termes réels, la croissance du crédit au secteur privé dans les pays de l'UEMOA n'a été que très rarement inférieure à 10 % sur un an entre 2013 et 2019, à comparer avec une croissance réelle moyenne du PIB de 6 %.

Elle a même été encore soutenue l'année dernière, malgré le durcissement de la politique monétaire de la BCE. En résumé, les deux principaux arguments économiques qui militerait pour une souveraineté monétaire et de change pour les pays de l'UEMOA sont peu convaincants, soit en théorie, soit en pratique. Aussi légitime soit-elle politiquement, la souveraineté monétaire ne se décrète pas, elle s'acquiert.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE