Si l’inconnue des résultats des élections européennes est désormais levée, leurs implications, en particulier l'issue des élections législatives anticipées françaises, restent incertaines. Notre scénario central d’un décollage de la zone euro et d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine, caractérisé par une convergence des taux de croissance, pourrait se trouver perturbé par les incertitudes politiques des deux côtés de l’Atlantique. La croissance bénéficie toutefois de facteurs de soutien et de résistance, au premier rang desquels les gains de salaires réels. Le bilan conjoncturel reste, pour l’heure, positif pour la zone euro : notre nowcast estime à +0,3% t/t la croissance du deuxième trimestre. C’est sur la poursuite de cette reprise que pèse une plus grande incertitude.
L’incertitude entourant l’issue des élections européennes, qui se sont tenues du 6 au 9 juin, est désormais levée, le résultat est connu.
Mais l’incertitude sur les implications de ces résultats sur l’agenda de l’Europe reste entière ou en tout cas importante.
De prime abord, la composition du nouveau Parlement européen a, globalement, peu changé, avec les partis centristes, rassemblant le PPE, le groupe S&D et Renew Europe, toujours majoritaires même si c’est dans une moindre mesure.
Mais le premier fait marquant est la forte progression des partis d’extrême-droite (CRE et ID) au détriment du groupe Renew Europe et des Verts.
À ce stade, il est difficile de savoir quelles seront les implications exactes de cette reconfiguration politique sur les priorités de l’agenda européen, à quel point les compromis nécessaires pour continuer de le faire avancer seront faciles ou difficiles à trouver. D’autant plus que le deuxième fait marquant est la répercussion politique de ces élections en France. Si les résultats en eux-mêmes n'ont pas été surprenants (ils sont en ligne avec les sondages), la surprise est venue de l’annonce, dans la foulée, par le Président Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale et donc de la convocation d’élections législatives anticipées (premier tour le 30 juin, second tour le 7 juillet), dont l’issue est hautement incertaine.
C’est dans ce contexte particulier que se situe notre rendez-vous trimestriel d’évaluation de la situation et des perspectives économiques dans les principales économies de l’OCDE[1]. Notre scénario central – qui est celui d’un décollage de la zone euro et d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine et qui se caractérise par la perspective d’une convergence des taux de croissance (en rythme trimestriel à compter du troisième trimestre 2024 et en moyenne annuelle en 2025) – pourrait se trouver perturbé si la reprise en cours de la zone euro faisait finalement faux bond en raison des incertitudes politiques. Deux autres incertitudes importantes continuent de constituer, par ailleurs, un risque baissier sur la croissance américaine, au premier chef, mais aussi sur le reste du monde par effet de ricochet : les conséquences du prolongement du statu quo monétaire de la Fed (jusqu’à, possiblement, une première baisse en décembre seulement) et l’issue de l’élection présidentielle américaine du 5 novembre.
Parallèlement à ces risques baissiers, il existe toutefois des facteurs de soutien et de résistance de la croissance qui sous-tendent notre scénario central actuel. Tout d’abord, les gains de salaires réels à la faveur de la baisse de l’inflation plus rapide que la modération, encore limitée, des salaires. Devraient jouer également favorablement : la dissipation du choc sur les prix de l’énergie (qui a été plus pénalisant pour la zone euro que pour les États-Unis) ; la diminution du degré de restriction monétaire – pour reprendre les termes de Christine Lagarde – qui est entamée dans la zone euro et qui est à venir aux États-Unis ; la bonne tenue, toujours, du marché du travail ; et les besoins d’investissements dans la transition bas-carbone qui sont considérables et urgents. À noter, également, le soutien des politiques publiques (NGEU et toutes ses déclinaisons pour l’Europe[2] ; l’Infrastructure, Investment and Jobs Act, le CHIPS Act et l’Inflation Reduction Act aux États-Unis). Par ailleurs, un élément central de notre scénario de convergence des taux de croissance de la zone euro et des États-Unis est le rebond attendu de la consommation des ménages de ce côté de l’Atlantique (et le potentiel que représente, pour cela, leur épargne accumulée) et la décélération de celle des ménages américains (qui ont déjà largement puisé dans leur épargne).
Face à ces facteurs de soutien de la croissance, la consolidation budgétaire constitue un frein dont il faut tenir compte. Il ne s’agit pas d’un risque : cette consolidation est certaine tant elle est nécessaire et ce, des deux côtés de l’Atlantique. En Europe, les règles de gouvernance et de discipline budgétaire sont de nouveau en vigueur et douze pays ont été identifiés comme ne satisfaisant pas au critère de déficit, ce qui constitue un préalable à l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif[3]. L’incertitude porte sur la nature et l’ampleur de cette consolidation budgétaire à venir et, dans le contexte politique actuel, un autre élément de risque l’accompagne : cette consolidation se fera-t-elle de manière ordonnée ou pas ? On retiendra toutefois, comme le souligne la Banque de France à l’égard de la France, mais cela vaut pour tous les pays, que « la période à venir de reprise progressive et d’assouplissement monétaire n’est pas défavorable au redressement budgétaire nécessaire pour maîtriser la dette publique »[4]. En d’autres termes, c’est le bon moment de procéder à un ajustement budgétaire contra-cyclique mesuré[5].
Les aléas entourant notre scénario central penchent, de notre point de vue, plutôt du côté baissier au moment où nous écrivons ces lignes. Certes, il est communément admis qu’un point ne fait pas une tendance, mais les dernières enquêtes sur le climat des affaires dans la zone euro, pour le mois de juin (estimations flash des PMI et enquêtes INSEE vendredi 21 juin, Ifo lundi 24 juin), ont plutôt soufflé le froid. Après une amélioration continue et significative du PMI composite depuis novembre 2023, celui-ci a, en effet, nettement fléchi en juin (-1,4 point), se maintenant toutefois au-dessus de la ligne des 50 (50,8). Cette baisse concerne, en outre, aussi bien le secteur manufacturier (-1,7 point, à 45,6, pour l’indice composite) que celui des services (-0,6 point, à 52,6) et aussi bien l’Allemagne que la France (baisse, respectivement, du PMI composite de 1,8 point à 50,6 et de 0,7 point à 48,2). Les enquêtes nationales confortent cette fois le signal des PMI. L’indice composite du climat des affaires de l’INSEE ne s’est, certes, pas détérioré, mais c’est son absence d’amélioration (depuis deux mois d’ailleurs) que l’on retiendra (alors qu’il demeure, pour le troisième mois consécutif, juste au-dessous de sa moyenne 100 de longue période). Côté allemand, l’indice Ifo s’est, lui, effrité, décevant les anticipations d’un redressement. Si du côté des États-Unis, il existe aussi des signaux conjoncturels négatifs ou plus mitigés (confiance des consommateurs, ventes au détail, inscriptions hebdomadaires au chômage par exemple), suggérant que le ralentissement économique pourrait devenir plus net, les indices PMI du mois de juin ont été positifs.
Sur la base des indicateurs disponibles, le bilan conjoncturel reste néanmoins, pour l’heure, positif pour la zone euro. Notre nowcast estime à +0,3% t/t la croissance du deuxième trimestre, soit le même rythme qu’au premier trimestre. Si un risque baissier entoure ce chiffre, c’est sur la poursuite de cette reprise, les trimestres suivants, que pèse une plus grande incertitude.