Edito

Les économies d'Europe centrale résistent au choc tarifaire

12/05/2025
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Ces dernières années, les économies d’Europe centrale ont déjoué les pronostics pessimistes sur leur capacité à résister aux chocs. Ainsi, en 2020, le PIB de la région s’est moins contracté que celui des pays avancés de l’Union européenne. En 2022, au début de la guerre en Ukraine, la région était considérée comme la plus exposée d’Europe, en raison de sa forte dépendance énergétique à l’égard de la Russie. Mais la récession attendue n’a pas eu lieu grâce à de généreuses mesures de relance budgétaire. L’Europe centrale est maintenant confrontée au choc que constitue la hausse des tarifs douaniers américains. La situation sera-t-elle différente cette fois-ci compte tenu de l’importante exposition indirecte de la région (via l’Allemagne) aux droits de douane américains ? De plus, la plupart des pays de la région font l’objet d’une procédure pour déficit excessif et disposent d’une capacité limitée à augmenter leurs dépenses. Les économies d’Europe centrale devraient faire preuve de résilience cette année. 2025 pourrait même constituer un tournant avec, pour la région, l’opportunité de développer le nearshoring et de monter en gamme dans les chaines de valeurs. En outre, ces pays devraient bénéficier, à moyen terme, du vaste plan allemand d’investissement.

Les économies d'Europe centrale (EC)[1] affichent un déficit commercial bilatéral faible vis-à-vis des États-Unis. Elles n'ont pas été épargnées, pour autant, par les hausses de tarifs douaniers annoncées le 2 avril dernier (« jour de la libération ») par Donald Trump. Depuis, les annonces fluctuent. Globalement, un taux de droit de douane supplémentaire de 10% s’ajoute aux droits existants pour les exportations à destination des États-Unis[2]. Le secteur automobile, quant à lui, est soumis à des tarifs douaniers de 25% ; le même taux tarifaire est imposé aux pièces automobiles depuis le 3 mai. Récemment, des exemptions sur l'acier et l'aluminium ont été accordées aux constructeurs automobiles, ainsi que des baisses de tarifs douaniers sur les pièces détachées pour une période de trois ans. Enfin, le taux tarifaire réciproque initial de 20%, annoncé le 2 avril, a été suspendu pendant 90 jours, mais Donald Trump pourrait de revenir sur cette décision à court terme.

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De meilleures perspectives de croissance en 2025 malgré les vents contraires tarifaires

Dans les dernières prévisions de printemps du FMI, les projections de croissance du PIB des économies d'Europe centrale en 2025 ont été revues nettement à la baisse, comme pour beaucoup d’autres pays. Les révisions pour la Hongrie et de la Roumanie (-1,5 pp pour la Hongrie en 2025 et -1,7 pp pour la Roumanie par rapport aux prévisions WEO 2024 d'octobre), notamment, sont dues aux vents contraires tarifaires et aux effets d'entraînement d'une croissance plus faible du PIB en 2024. Toutefois, l'Europe centrale sort du lot. En effet, de meilleures perspectives de croissance sont attendues pour la région en 2025 par rapport à 2024, ce qui contraste fortement avec les autres pays émergents et les économies avancées.

L'amélioration des perspectives de croissance en 2025 peut surprendre à première vue. En effet, les pays d'Europe centrale sont des économies très ouvertes, et donc particulièrement exposées aux chocs commerciaux mondiaux. La Slovaquie, la République tchèque et la Hongrie sont ceux dont la part des exportations dans le PIB était la plus élevée en 2024 (82,2 %, 76,2 %, 52% respectivement), suivies de la Pologne et la Roumanie (33,4 % et 21,5 %). En outre, le poids important du secteur automobile dans l'économie ajoute aux défis de la région (graphique 1). Sur le plan politique, la marge de manœuvre des autorités est désormais plus réduite qu’en 2020 et 2022. Tous ces pays, à l'exception de la République tchèque, font l’objet d’une procédure de déficit excessif de l'Union européenne depuis l'été dernier.

L’impact direct des tarifs douaniers américains est faible pour la plupart des pays

Les récents chocs tarifaires semblent gérables pour les économies d'Europe centrale. Tout d'abord, l'effet direct est limité car les exportations à destination des États-Unis représentent une part très faible des exportations totales (République tchèque : 2,7 %, Roumanie : 3,0 %, Pologne : 3,7 % et Slovaquie : 4,2 %) et du PIB (graphique 2) de ces pays. Afin d’évaluer l'impact direct des droits de douane sur le PIB en 2025, nous prenons en compte des taux tarifaires différenciés (25% sur les exportations d'automobiles vers les États-Unis et 10% sur le reste des exportations). D’après nos estimations, l’impact sera faible sauf pour la Slovaquie. Il convient, ensuite, de prendre en compte l'effet indirect de l’offensive tarifaire américaine via l’économie allemande. En effet, les liens commerciaux de l'Europe centrale avec ce partenaire sont très étroits (les exportations vers l'Allemagne s'élèvent à 30,8% du total). Si les exportations totales des économies d'Europe centrale vers l'Allemagne diminuaient de 1% en 2025[3], nos estimations indiquent toujours un impact négatif modéré dans l'ensemble.

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Soutien de la politique monétaire

Les incertitudes tarifaires ont également un impact sur la demande intérieure car elles pèsent sur l'investissement, plusieurs projets étant probablement suspendus. Dans le même temps, la croissance des salaires reste forte et constituera un soutien essentiel à la consommation.

La politique monétaire pourrait également apporter son soutien, l'inflation s'étant atténuée plus rapidement que prévu récemment. La dépréciation des monnaies des pays d'Europe centrale, largement anticipée pour l'Europe centrale, ne s’est pas produite jusqu'à présent, ce qui offre une certaine flexibilité à la banque centrale de ces pays. En raison de la faiblesse actuelle du dollar[4], les monnaies d'Europe centrale sont celles qui se sont le plus appréciées face au dollar en avril (CZK : + 4,99% en avril, RON : + 4,95%, HUF : + 4,31%, PLN : + 2,67%), parmi les devises émergentes. En revanche, elles se sont légèrement dépréciées par rapport à l'euro. Les effets désinflationnistes des tarifs douaniers pourraient jouer plus tard dans l'année. Cela donnerait aux autorités monétaires une marge de manœuvre encore plus grande pour abaisser les taux directeurs malgré la persistance des pressions salariales en Europe centrale.

Des marges de manœuvre budgétaires limitées

En ce qui concerne la politique budgétaire, les autorités disposent actuellement d'une marge de manœuvre plus réduite qu'en 2020 et 2022. En 2024, le déficit budgétaire était élevé dans la région — de -4,9% du PIB pour la Hongrie à -9,3% pour la Roumanie — bien au-delà de l'objectif de -3%, sauf en République tchèque (-2,2% du PIB). Une procédure pour déficit excessif a ainsi été ouverte en 2024 à l’encontre de tous les pays d'Europe centrale, à l'exception de la République tchèque. En cause : le non-respect des règles budgétaires, après la suppression de la clause de sauvegarde en décembre 2023. Les pays concernés sont tenus d'ajuster leurs comptes publics dans un délai de 4 ans (7 ans pour la Roumanie), ce qui limite la capacité des gouvernements à augmenter significativement les dépenses à court terme. Toutefois, l'ajustement sera graduel à court terme à en juger par le budget pour 2025. Les projections de déficit budgétaire pour 2025 ne laissent ainsi entrevoir qu'une légère réduction du déficit public.

Récemment, la Commission européenne a proposé aux pays membres de l’UE d'activer, s’ils le souhaitaient, la clause de sauvegarde relative aux dépenses de défense (sous réserve de son approbation). La Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie ont déposé une demande en ce sens. Si elle était activée, cette clause leur apporterait un certain soulagement et augmenterait leur marge de manœuvre.

Des facteurs de soutien à moyen terme

Des opportunités de délocalisation et de montée en gamme dans la chaîne de valeur

La hausse du protectionnisme aux États-Unis pourrait inciter les pays à délocaliser davantage d’activités en Europe centrale, tant dans le secteur manufacturier que dans les services nécessitant un fort niveau de qualification. Cela constitue, pour les économies d'Europe centrale, une opportunité de monter dans la chaîne de valeur[5] et d'accélérer leur convergence vers les pays développés. La tendance au nearshoring s'est déjà accélérée depuis 2018 en Europe centrale. Les économies européennes développées souhaitent de plus en plus réorganiser les chaînes de production afin de se rapprocher de leurs fournisseurs, dans un contexte de hausse du protectionnisme entre la Chine et les États-Unis. Les chocs d'approvisionnement majeurs auxquels elles ont été confrontées, lors de la crise du Covid-19, ont également pesé dans la balance.

L'Europe centrale dispose de nombreux atouts pour attirer les investissements, notamment son appartenance à l'Union européenne (UE) et sa proximité géographique avec les pays membres avancés. En outre, ces économies disposent d'une base manufacturière solide — même si la part de cette dernière dans la valeur ajoutée totale a légèrement diminué en République tchèque et en Hongrie en 2023 par rapport à 2000. Elle a quelque peu augmenté en Pologne et en Slovaquie. Les salaires restent compétitifs par rapport aux économies avancées de l'UE, même s'ils ont augmenté rapidement ces dernières années. En outre, la forte proportion de travailleurs qualifiés est également un atout. La part de l'emploi total dans les secteurs de moyenne/haute technologie et les services à haute intensité de connaissances est proche de la moyenne de l'UE, sauf en Roumanie.

Les investissements directs étrangers dans la région ont été important ces dernières années. Le stock d'IDE entrants dans cinq économies d'Europe centrale a ainsi atteint USD 857 milliards en 2023 (46% du PIB) et a été multiplié par 1,6 entre 2010 et 2023. L'Europe centrale restera à l’avenir une destination attrayante pour les investissements étrangers à court et à moyen terme.

Renforcement des liens économiques avec la Chine et mesures de soutien massif de l'Allemagne

Les tensions commerciales croissantes entre les États-Unis et la Chine pourraient favoriser les flux d'investissement chinois en Europe centrale. Jusqu'à présent, la Hongrie a été le principal bénéficiaire des flux en provenance d'Asie, principalement de Chine[6]. Ces investissements sont concentrés dans le secteur automobile, conformément à la stratégie hongroise visant à devenir à moyen terme un acteur clé de l'industrie des batteries. La Pologne a également bénéficié de ces flux, mais dans une moindre mesure.

Les économies des pays d'Europe centrale et orientale bénéficieront à moyen terme du vaste plan d'investissement dans les infrastructures et la défense de l'Allemagne. Les exportations de matériaux de construction, de machines et d'équipements électriques à destination de ce partenaire devraient ainsi augmenter. Enfin, il convient de rappeler que les pays d’Europe centrale sont des bénéficiaires nets des fonds européens, qui sont cruciaux pour leurs économies. Ces fonds leur permettent de lancer des réformes dans divers secteurs, de développer l’innovation et de progresser dans les chaînes de valeur. L’Union européenne a ainsi versé aux pays de la région un total de EUR 382 milliards entre 2004 et 2023 (22,4% du PIB de la région).


[1] Dans notre note, les économies d'Europe centrale font référence à la République tchèque, à la Slovaquie, à la Hongrie, à la Pologne et à la Roumanie.

[2] Les droits de douane imposés par les États-Unis, sur une base pondérée en fonction des échanges, sont compris entre 1,43 % pour la Hongrie et 2,4 % pour la Slovaquie.

[3] Une baisse de 1% des exportations a été prise en compte dans les calculs. Les pays d’Europe centrale ont généralement enregistré une croissance de leurs exportations vers l'Allemagne ces dernières années.

[4] La question de la chute du dollar : Qu'est-ce qui est différent cette fois-ci ? Isabelle Mateos y Lago.

[5] Graphique de la semaine : Europe centrale : Montée en gamme dans la chaîne de valeur.

[6] Hongrie - Investissement : une stratégie pour relancer la croissance - novembre 2024.

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