Eco Conjoncture

Afrique du Sud : à la croisée des chemins

15/10/2024
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En Afrique du Sud, les perspectives macroéconomiques sont moroses. Après une année 2023 marquée par des pénuries d’électricité sans précédent, la croissance économique ne devrait rebondir que très faiblement en 2024. L’entrée de nouvelles forces politiques au gouvernement en juin 2024, à la suite des élections générales de mai, a néanmoins insufflé un regain de confiance chez les investisseurs. En effet, la nouvelle coalition gouvernementale, dont les partis populistes sont les grands absents, laisse espérer une certaine continuité politique, la poursuite de la consolidation budgétaire et la mise en œuvre de réformes visant à accroître le potentiel de croissance économique à moyen terme. Cependant, ce gouvernement d’union nationale repose sur des alliances précaires. Toute paralysie politique qui résulterait d’un désaccord majeur entre les partis pourrait rapidement compromettre la confiance des investisseurs, déjà très fragile. Cela entraînerait une détérioration marquée des comptes extérieurs et des finances publiques, dont la trajectoire est déjà préoccupante.

Fin d'une hégémonie politique pour l'ANC

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 1994, le parti du Congrès national africain (ANC) n’a pas obtenu la majorité absolue au Parlement à l’issue des élections générales de mai 2024. Au lieu d’une coalition avec un seul parti, dont il aurait été fortement tributaire pour se maintenir au pouvoir, l’ANC a choisi de former un gouvernement d’union nationale. Celui-ci, composé d’une dizaine de partis politiques, exclut notamment les formations populistes et laisse espérer une certaine continuité politique. Toutefois, une telle coalition pourrait se révéler fragile à moyen terme et accroître le risque de paralysie politique en cas de profond désaccord.

Perte de popularité de l’ANC

Au cours des dix dernières années, l’ANC n’a pas su répondre aux préoccupations de son électorat. À l’approche des élections générales de mai 2024, les sondages indiquaient que la corruption, la criminalité, le chômage et la détérioration des services publics expliquaient en grande partie la perte de popularité du parti. En 2023, l’Afrique du Sud se plaçait en 83e position (sur 180 pays) dans l’Indice de perception de la corruption de Transparency International, avec un score en baisse de quatre points de pourcentage (pp) comparé à 2016. Des années de corruption généralisée impliquant des cadres du parti, notamment sous l’ancien président Jacob Zuma (2009-2018), ont sévèrement terni la réputation de l’ANC. En outre, le parti n’a pas réussi à réduire la criminalité. En 2023, la Banque mondiale estimait le coût de la criminalité (y compris le vol, les dépenses de sécurité et les pertes indirectes en termes de manque à gagner et d’opportunité de développement) à 10% du PIB. Le bureau national des statistiques, quant à lui, faisait état d’une augmentation des actes criminels par rapport à leur niveau prépandémique, toutes catégories d’actes confondues. En particulier, l’Afrique du Sud présente un taux d’homicide parmi les plus élevés au monde. Avec la hausse du chômage et l’accentuation des pénuries d’électricité, l’ANC a entamé sa campagne électorale dans une position très délicate.

La perte de popularité de l’ANC découle également de dissensions internes. Celles-ci ont conduit à la naissance de partis politiques rivaux qui ont cannibalisé sa base électorale. En 2013 déjà, le soutien populaire à l’ANC avait diminué en partie à cause de la création du parti des Combattants de la liberté économique (EFF), un parti politique issu de la frange radicale de l’ANC. Plus récemment, en décembre 2023, Jacob Zuma a quitté l’ANC et créé le parti dissident uMkhonto we Sizwe (MK). Malgré une enquête publique visant à évaluer la responsabilité de Jacob Zuma dans ce que l’on a appelé la « capture de l’État » durant ses années au pouvoir, et parce qu’aucune inculpation n’a suivi, ce dernier jouit toujours d’une forte popularité, notamment au KwaZulu-Natal, deuxième province la plus peuplée d’Afrique du Sud et berceau de l’ethnie zouloue à laquelle monsieur Zuma appartient. Ensemble, les partis scissionnistes EFF et MK ont récolté 25% du total des voix lors des élections générales de mai 2024.

En conséquence, l’ANC a perdu sa majorité absolue au Parlement pour la première fois depuis la fin du régime d’apartheid et la tenue des premières élections multiraciales, en 1994. Le parti n’a recueilli que 40,2% des voix aux élections de mai dernier, un résultat largement conforme aux prévisions des sondages dans les mois qui ont précédé les élections.

L’ANC dans un gouvernement d’union nationale

Malgré une certaine proximité historique et idéologique avec l’EFF et le MK, l’ANC n’a finalement pas opté pour un gouvernement de coalition avec l’un ou l’autre de ces partis, dont il aurait été alors tributaire pour se maintenir au pouvoir. Au lieu de cela, il a opté pour un gouvernement d’union nationale (GUN) qui lui assure le plus de sièges possible au Parlement. Composé de dix partis, le GUN détient ainsi un peu plus de 70% des sièges du corps législatif. Il repose notamment sur le respect de la Constitution actuelle, un principe qui a immédiatement exclu la participation du MK de Zuma qui avait promis de la réformer. De son côté, le parti des EFF a refusé de rejoindre le GUN en raison de la participation de l’Alliance démocratique (DA) située aux antipodes de ses positions politiques.

En l’absence des partis populistes au gouvernement, une certaine continuité politique devrait prévaloir à court et moyen terme. Lors de la session d’investiture du nouveau Parlement, le président Cyril Ramaphosa a été réélu pour un second mandat de cinq ans avec 283 voix sur 327 exprimées. En outre, l’entrée au gouvernement de la DA, un parti de centre-droit en faveur du libre-marché, devrait assurer la poursuite, voire l’accélération, des réformes visant à stimuler la croissance économique par une participation accrue du secteur privé dans des secteurs clés (électricité, chemins de fer, ports, eau). La consolidation budgétaire, par le biais de la réduction des dépenses publiques, devrait également être maintenue. De plus, la qualité de la gouvernance pourrait s’améliorer. En effet, l’ANC ayant perdu sa majorité absolue, le parti devrait être davantage tenu pour responsable de ses décisions devant le Parlement.

Cependant, les alliances internes du GUN semblent précaires. Avec 22% des sièges à elle seule, la DA constitue la pierre angulaire du GUN, et sa participation permet au gouvernement de conserver la majorité absolue. Principal parti d’opposition au cours des vingt dernières années, la DA a fréquemment critiqué l’ANC avec véhémence pour son incompétence à gouverner et les scandales de corruption qui l’ont entaché. Sa participation au gouvernement découle plus de sa volonté à barrer la route aux partis populistes que de gouverner avec l’ANC. De plus, ses positions libérales sur les questions économiques vont à l’encontre de la frange la plus à gauche du parti de Ramaphosa. Par conséquent, la coalition du GUN pourrait s’affaiblir, voire se déliter, notamment sur des questions clés telles que la présentation du budget de l’année 2025/26 en février prochain.

En somme, le risque politique s’est réduit à la suite des élections générales de mai 2024, comme en atteste la baisse de la prime de risque souverain sur les obligations d’État sud-africaines depuis mai dernier. Néanmoins, des incertitudes persistent. En effet, un gouvernement d’union nationale dont aucun parti ne détient la majorité absolue est sans précédent pour le pays. À titre d’exemple, les gouvernements de coalition au niveau municipal, à la suite des mauvais résultats de l’ANC aux élections locales de 2021, se sont révélés très instables. En outre, même si la stabilité du GUN se confirmait à moyen terme, il faudrait plusieurs années à l’Afrique du Sud pour redresser durablement son potentiel de croissance économique, tant les réformes à mettre en œuvre sont nombreuses.

Croissance économique : les obstacles structurels se succèdent

PIB RÉEL PAR HABITANT
EN PARITÉ DE POUVOIR D’ACHAT

La très faible croissance économique de l’Afrique du Sud constitue une vulnérabilité majeure du profil de risque du pays. Entre 2015 et 2019, elle est ressortie à seulement 1% par an en moyenne, soit largement en dessous du taux de croissance démographique (1,5%). Le choc de la pandémie n’a fait qu’aggraver des années de quasi-stagnation économique et la modeste reprise qui a suivi, en 2021-2022, a été interrompue par le resserrement de la politique monétaire, le taux directeur de la banque centrale (SARB) ayant été relevé de 425 points de base (pb) entre février 2022 et mai 2023 pour atteindre 8,25%. Le PIB réel par habitant subit une baisse tendancielle depuis 2014 (graphique 1). La croissance est très insuffisante pour faire reculer le chômage et la pauvreté à l’origine des troubles sociaux récurrents. La faiblesse de la croissance contraint aussi fortement la trajectoire des finances publiques. Des réformes visant à augmenter le potentiel de croissance économique à moyen terme sont en cours, mais la lenteur du processus est une source de préoccupation majeure.

Une croissance pénalisée par la pénurie d’énergie…

DÉFAILLANCES DES INFRASTRUCTURES

Après la reprise post-Covid en 2021 et 2022, la croissance économique a fortement ralenti à 0,7% seulement en 2023. La raison principale tient à des infrastructures de plus en plus défaillantes après une décennie de sous-investissement, de mauvaise gestion et de corruption au sein des entreprises publiques qui contrôlent des secteurs clés, notamment l’électricité et les transports. Les coupures d’électricité imposées par l’entreprise publique Eskom ont atteint un record en 2023 avec 335 jours de délestages, dont 199 jours aux niveaux 4 à 6 considérés comme critiques (contre 205 jours de délestages en 2022, dont 93 aux niveaux 4 à 6). Selon la SARB, la pénurie d’électricité a soustrait 1,5pp au taux de croissance du PIB réel. En outre, l’activité a été pénalisée par des goulets d’étranglement logistiques, dus aux vols d’infrastructure ferroviaire et à la congestion portuaire. En moyenne, en 2023, le volume de fret ferroviaire a chuté de 27% par rapport à 2015, tandis que le fret portuaire a fléchi de 11% (graphique 2).

Les efforts déployés pour remédier à la dégradation des infrastructures ont conduit à une reprise de l’investissement en 2022-2023 (4,3% par an en moyenne) après des années de contraction (2014-2019), accentuées en 2020-2021 par la crise de la Covid. Cette reprise, principalement tirée par l’investissement du secteur privé (72% de l’ensemble de l’investissement), a notamment bénéficié de la déréglementation progressive du secteur de l’électricité à partir de 2022, qui a permis d’accroître les capacités de production dans ce secteur. Toutefois, à 15% du PIB, le taux d’investissement total reste inférieur à sa moyenne de 2011-2015 (18% du PIB). Il est surtout deux fois moins élevé que celui des pays à revenu intermédiaire supérieur, dont l’Afrique du Sud fait partie, qui affichent en moyenne un taux d’investissement de 34% du PIB.

En 2024, la croissance économique devrait accélérer légèrement pour atteindre 1%. Néanmoins, la mauvaise qualité des infrastructures continue de peser sur le PIB, qui n’a progressé que de 0,4% au S1 2024 par rapport au premier semestre 2023. Certes, les coupures d’électricité ont cessé récemment, grâce au déploiement d’installations privées de production et au retour en exploitation de plusieurs centrales électriques d’Eskom, ce dernier ayant interrompu les délestages électriques depuis fin mars 2024. Toutefois, les goulets d’étranglement logistiques persistent, en partie en raison de retards dans l’ouverture du secteur des transports aux acteurs privés. En juillet 2023, Transnet a choisi la société philippine ICTSI pour la privatisation partielle du terminal à conteneurs du port de Durban, à l’issue d’un processus de sélection qui avait débuté en 2021. Le terminal de Durban, qui traite 46% du fret portuaire du pays, est régulièrement confronté à des problèmes de congestion. ICTSI était censée lancer ses activités dans le port de Durban en avril 2024, mais des obstacles juridiques retardent le processus jusqu’à présent. Cette privatisation devait créer un précédent pour la privatisation d’autres segments logistiques dans le pays, mais sa mise en œuvre difficile pourrait dissuader les investisseurs privés potentiels. Selon toute vraisemblance, le manque d’infrastructures et leur vétusté continueront de freiner la reprise de la croissance, en particulier dans le secteur minier (6% du PIB) et les exportations de marchandises (29% du PIB).

UN ASSOUPLISSEMENT MONÉTAIRE RETARDÉ

Par ailleurs, les pressions inflationnistes restent une contrainte forte pour la banque centrale. Certes, la hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) est revenue dans la fourchette cible de la SARB (3-6% en glissement annuel) depuis juin 2023. Néanmoins, la persistance des pressions inflationnistes au premier semestre 2024 et le retard de l’assouplissement monétaire aux États-Unis ont incité la SARB à rester l’arme au pied. En août 2024, la croissance de l’IPC est néanmoins retombée à 4,4% en g.a., soit légèrement en dessous de la cible préférentielle de 4,5% de la SARB (graphique 3). La banque centrale a ainsi pu procéder à une première baisse de son taux directeur, de 8,25% à 8%, lors de son comité de politique monétaire de septembre dernier.

Cependant, son gouverneur a indiqué en avril dernier que la cible d’inflation pourrait être abaissée d’ici 2025 dans le but de rendre l’économie sud-africaine plus compétitive. Si elle se confirmait, cette décision pourrait réduire l’ampleur du cycle d’assouplissement monétaire.

… et la lenteur des réformes structurelles

En octobre 2020, le gouvernement Ramaphosa a lancé un ensemble de réformes structurelles, appelé Opération Vulindlela, visant à dynamiser l’activité économique. Poussif les premières années, le rythme des réformes s’est accéléré en 2023 avec des succès tangibles dans le secteur de l’électricité (relance des investissements et dérégulation du secteur). Mais la réforme du secteur doit être poursuivie. Le processus de division d’Eskom en trois entités légales distinctes (afin de gérer séparément la production, la transmission et la distribution d’électricité) est crucial pour accroître la concurrence et l’efficacité du secteur.

Au-delà du secteur de l’électricité, d’autres réformes sont en cours. Dans le domaine de la logistique et du transport, le nouveau conseil d’administration de l’autorité portuaire nationale Transnet devrait avaliser la création d’une entité portuaire indépendante de Transnet, ici aussi dans le but de promouvoir la concurrence au sein du secteur. Dans le secteur minier, un nouveau système cadastral approuvé en février 2024 devrait améliorer les perspectives d’exploration et stimuler de futurs investissements à moyen terme. Dans le secteur du traitement et de la distribution de l’eau, le gouvernement a déposé un projet de loi créant une agence nationale indépendante chargée de la gestion et du financement des infrastructures et des ressources en eau (NWRIA). Enfin, une loi a été adoptée pour accélérer le déploiement des infrastructures de télécommunications.

Lever les freins au développement du capital humain

Alors que l’Afrique du Sud était déjà le pays avec le coefficient de Gini le plus élevé au monde (0,63 en 2014, selon la Banque mondiale), les inégalités se sont accentuées depuis 2020. En 2024, le ministère des Finances prévoit que neuf millions de Sud-Africains, soit 15% de la population, bénéficieront de l’aide Social Relief of Distress (SRD), introduite en 2020 afin de protéger les ménages de l’impact de la pandémie de Covid-19. Compte tenu du climat social tendu, l’allocation est reconduite chaque année jusqu’à présent, et il est question qu’elle soit transformée en revenu universel de base. Plus généralement, 50% des ménages reçoivent au moins une allocation de l’agence sud-africaine de sécurité sociale (Sassa), et pour 25% d’entre eux, les allocations constituent la principale source de revenus.

DES TAUX DE CHÔMAGE TRÈS ÉLEVÉS

En effet, la croissance économique est très largement insuffisante pour équilibrer le marché du travail. Au T2 2024, le taux de chômage a atteint 33,5% de la population, soit 4pp de plus qu’en 2019. Le taux de chômage élargi, qui prend en compte les demandeurs d’emploi découragés, s’élève à 42,6%, et chez les jeunes (15-24 ans), il dépasse même 60% (graphique 4).

En l’absence d’un rebond soutenu de l’activité économique dans les prochaines années, le taux de chômage devrait se maintenir à un niveau élevé. Un tel scénario pourrait sur le long terme avoir des conséquences délétères sur le niveau de qualification des travailleurs, voire sur le taux de population active. À 65,6% au T2 2024, celui-ci demeure en deçà de son niveau prépandémique (66,3% au T4 2019).

Des réformes d’ampleur seront nécessaires pour rééquilibrer le marché du travail qui est caractérisé par une forte inadéquation entre l’offre de compétences des travailleurs et la demande des entreprises. Le rapport Skills supply and demand in South Africa, publié en 2022, montre que les diplômes délivrés par le système éducatif sud-africain sont de moins en moins pertinents pour le marché du travail, en particulier pour les emplois hautement qualifiés. Selon l’OCDE, en 2022 seuls 50% des 25-34 ans étaient titulaires d’un diplôme d’enseignement secondaire supérieur, et 1% seulement détenaient un master (ou équivalent). La part des dépenses publiques d’éducation rapportées au PIB est pourtant l’une des plus élevées au monde (6,2% en 2022), mais le manque de coordination politique et d’intervention de la part du gouvernement atténue l’efficacité du système éducatif.

Finances publiques : une trajectoire à corriger

La dette publique a augmenté rapidement ces dernières années. En cause : d’importants déficits budgétaires primaires jusqu’en 2021, l’alourdissement de la charge d’intérêts sur la dette et de multiples sauvetages financiers d’entreprises publiques. Néanmoins, depuis l’année budgétaire 2022/23, le solde primaire n’est plus en déficit. Avec la reconduction d’Enoch Godongwana à la tête du ministère des Finances et la participation de la DA au gouvernement, la consolidation budgétaire devrait être maintenue dans les prochaines années. Toutefois, compte tenu de la faible croissance économique, le défi sera de taille. Le ratio de dette publique, déjà élevé (74% du PIB fin 2023), devrait continuer d’augmenter dans les prochaines années selon le FMI.

Une consolidation budgétaire fragile

UNE CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE DIFFICILE

Au cours de l’année budgétaire (AB) 2023, le déficit s’est établi à 4,6% du PIB, soit le même niveau que l’année précédente. Néanmoins, le gouvernement a réussi à dégager un excédent primaire de 0,4% du PIB (graphique 5).

Pourtant, les pressions étaient multiples. Les recettes budgétaires ont été plus faibles qu’espéré en raison notamment de la contraction de l’impôt sur le revenu des sociétés (-11%). Celui-ci avait atteint un niveau record en 2022, soutenu par la performance exceptionnelle du secteur minier qui bénéficiait alors des cours mondiaux élevés des minéraux et des métaux. En 2023, les prix des matières premières se sont orientés à la baisse, entraînant une diminution de 0,9pp de PIB des recettes publiques, à 24,2% du PIB.

Du côté des dépenses, malgré une année électorale difficile pour l’ANC, le gouvernement n’a pas cédé à la tentation d’une politique budgétaire expansionniste. Au contraire, les dépenses des administrations publiques (hors paiement des intérêts sur la dette) ont diminué de 1,3pp de PIB à 23,9% du PIB. En particulier, le poste des dépenses publiques de la comptabilité nationale, qui inclut la masse salariale et la consommation de biens et services, a enregistré une croissance de 1% seulement en termes nominaux pour une inflation de 5,9%. En parallèle, les transferts sociaux et les subventions ont augmenté plus fortement (+4,5% en valeur nominale) mais moins que l’inflation. Ils représentaient 38% du total des dépenses publiques, une part stable sur les dernières années.

À partir de l’AB 2024, la présence de la DA au sein du gouvernement, si elle se maintenait dans le temps, devrait aider le gouvernement à tenir ses cibles budgétaires et de trajectoire de dette, qui ont été dépassées à maintes reprises au cours des dernières années. Le ministère des Finances prévoit ainsi que le déficit budgétaire se résorbe graduellement pour passer sous la barre des 4% de PIB durant l’AB 2026. Cependant, ces prévisions n’incorporent pas la reprise partielle de la dette de l’entreprise publique Eskom, qui s’élève à 0,9% du PIB en AB 2024, puis à 1,4% du PIB au cours de l’AB 2025. Si l’on en tient compte, comme le fait le FMI dans ses prévisions publiées au début du mois de septembre, le déficit devrait atteindre 6,2% du PIB en AB24 avant de se creuser à 6,5% au cours de l’AB 2025.

En outre, les risques de dérapage budgétaire sont nombreux. Durant la campagne électorale, l’ANC a notamment promis de transformer l’aide SRD en un revenu universel de base au cours des deux prochaines années. Une telle promesse nécessite des sources de financement supplémentaires qui n’ont pas été prises en considération dans le budget de février 2024. Par ailleurs, mi-mai 2024, le président Ramaphosa a signé un projet de loi sur le nouveau régime national d’assurance maladie. Ce projet, qui prévoit la création d’un fonds public pour couvrir les dépenses de santé, ne dispose pourtant pas de financement désigné et a suscité une forte opposition de la part de la DA. Avec la proposition d’un revenu universel de base, ces deux réformes pourraient devenir des pierres d’achoppement pour les alliances au sein du GUN en amont de la présentation du budget de l’année prochaine en février 2025.

Le gouvernement disposera d’une nouvelle ressource financière sur les trois prochaines années budgétaires. En juin dernier, le Trésor national a en effet réformé la gestion des profits accumulés depuis des années sur son compte de réserve de contingence pour l’or et les devises (GFECRA) auprès de la SARB. Après plusieurs mois de débat, il a finalement été décidé que les profits comptabilisés mais non distribués du GFECRA (ZAR 524 mds) seraient utilisés pour réduire les besoins de financement du gouvernement et rembourser en avance une partie de sa dette. Afin que le Trésor puisse utiliser ses profits accumulés sans vendre d’actifs de réserve, la SARB monétisera une partie des profits du GFECRA, à hauteur de ZAR 150 mds (2% du PIB), qui seront transférés au Trésor. Pour atténuer l’impact inflationniste de cette monétisation, la SARB a autorisé les banques commerciales du pays à augmenter leurs réserves de liquidité au-delà du minimum règlementaire. Ces réserves excédentaires étant rémunérées au taux repo, un montant supplémentaire de ZAR 100 mds sera transféré du GFECRA à un autre compte de la SARB pour payer les intérêts. L’utilisation des profits du GFECRA contribuera à réduire les besoins de financement du gouvernement de 1,4% du PIB au cours de l’année budgétaire 2024 et de 0,3% du PIB sur chacune des deux années budgétaires suivantes.

Le FMI estime que les besoins de financement du gouvernement devraient s’élever à 15,4% du PIB en 2024 avant de remonter à 16,2% du PIB en 2025. Sur cette période, le gouvernement devrait couvrir ses besoins de financement sans difficulté majeure, principalement via l’émission de dette domestique, mais également, dans une moindre mesure, via l’émission de dette en devises et des prélèvements sur ses réserves de liquidités. Cela étant, avec la hausse de l’endettement, le risque de refinancement a augmenté au cours de ces dernières années.

Endettement et obligations contingentes : un fardeau lourd à porter

LA DETTE PUBLIQUE ET LE PAIEMENT
DES INTÉRÊTS AUGMENTENT

La dette publique restera élevée dans les prochaines années. Au cours de la dernière décennie, le ratio de dette publique rapportée au PIB a augmenté progressivement mais continûment, passant de 32% en AB 2010 à 57% en AB 2019 (graphique 6).

Avec l’impact de la pandémie, ce ratio a bondi à 70% de PIB en AB 2020, et la faiblesse de la reprise depuis 2021 n’a pas permis de le stabiliser : il atteignait 74,1% de PIB en mars 2024.

Malgré la consolidation budgétaire attendue, la dette publique devrait continuer de croître, atteignant 79% de PIB en AB 2026, et 84% de PIB en AB 2029, selon le FMI. L’effet boule de neige sur la dette, généré par un taux d’emprunt supérieur au taux de croissance nominale du PIB, en est la raison principale.

Au cours de la dernière décennie, le paiement des intérêts sur la dette publique n’a cessé d’augmenter ; il absorbait ainsi 23% des recettes budgétaires au cours de l’AB 2023 contre seulement 15% en AB 2019 et 12% en AB 2015.

DES COÛTS D’EMPRUNT PLUS ÉLEVÉS

Depuis la mi-2023, l’État sud-africain se refinance à des taux d’intérêt réels plus élevés du fait du resserrement monétaire de la SARB, du ralentissement de l’inflation ainsi que de l’augmentation de la prime de risque sur les obligations d’État. En 2023, le rendement moyen des obligations d’État d’une maturité de dix ans et plus a atteint son niveau le plus haut sur la décennie passée, pour se fixer à 11,6%, en hausse de 0,8pp par rapport à 2022 et de 1,8pp par rapport à 2021 (graphique 7). En conséquence, l’écart entre ce rendement et l’inflation atteignait un niveau historiquement élevé de 700 points de base, en avril-mai 2024. À partir du T4 2024, les coûts d’emprunt du gouvernement pourraient diminuer sur les maturités les plus courtes grâce au début du cycle d’assouplissement monétaire de la SARB.

En outre, le gouvernement pourrait continuer de bénéficier de la baisse récente de la prime de risque souverain à la suite de la formation du GUN. Toutefois, une baisse durable de la prime de risque souverain dépendra de l’unité au sein du nouveau gouvernement et la capacité de celui-ci à poursuivre le cycle de réformes structurelles et la consolidation budgétaire.

Si la solvabilité de l’État s’est dégradée, la soutenabilité de la dette publique n’est pas encore un motif d’inquiétude, du moins à court terme. En effet, le profil de la dette publique reste satisfaisant, et le risque de refinancement est faible à court terme. En avril 2024, seuls 11% de la dette publique étaient libellés en devises, et au cours des dernières années, cette part est restée stable. La faible part de dette libellée en devises atténue fortement l’impact d’une dépréciation du rand (ZAR) sur le risque souverain. En outre, la maturité moyenne de la dette publique est confortable, à 12,6 ans. Elle baisse néanmoins depuis 2018 du fait de la stratégie du gouvernement visant à réduire le coût de son endettement en s’appuyant davantage sur des instruments de courte maturité. De plus, l’appétit des investisseurs étrangers pour les obligations domestiques s’est maintenu malgré la série de chocs de ces dernières années. En effet, bien que la part des investisseurs étrangers sur le marché domestique des obligations d’État a chuté de 37% en décembre 2019 à 25% en juillet 2024, en valeur absolue, les investisseurs étrangers ont augmenté leur exposition aux obligations d’État de ZAR 142 mds sur la même période.

Les entreprises publiques continuent de peser sur les finances de l’État. Le total des obligations contingentes du gouvernement s’élevait à 16% du PIB en AB 2023, dont près de la moitié était constitué de garanties sur la dette d’entreprises publiques, et plus précisément d’Eskom. Au-delà du processus d’allègement de dette dont Eskom bénéficie actuellement, un nouveau sauvetage financier de l’entreprise publique d’électricité n’est pas à exclure, étant donné le niveau élevé de sa dette (elle devrait encore s’élever à 3% du PIB même après la dernière étape de l’allègement de dette, prévue pour l’AB 2025) et ses piètres performances. Au cours de l’AB qui s’est terminée en mars 2024, et malgré une hausse de 18% des tarifs de l’électricité, Eskom devrait enregistrer une nouvelle perte de 0,2% du PIB (ZAR 15 mds, contre ZAR 23 mds au cours de l’AB22). La rentabilité de cette entreprise est mise à mal par des coûts de production de plus en plus élevés, dont les hausses ne sont que partiellement répercutées sur les tarifs de l’électricité fixés par le régulateur de l’énergie (NERSA). Fin août 2024, le gouvernement a annoncé que la méthodologie de tarification serait prochainement réformée pour mieux refléter les coûts. D’autres entreprises publiques affichent également des pertes financières récurrentes. Mais la stratégie du gouvernement consistant à se délester des entreprises non rentables est ralentie par des obstacles juridiques et par la difficulté à trouver des partenaires privés. Dans le cas de la compagnie aérienne publique South African Airways (SAA), un accord avec un consortium privé portant sur 51% des actions de l’entreprise a été abandonné en mars 2024 en raison d’un désaccord sur la valeur des actions. Aucun autre accord n’est prévu dans l’immédiat.

En résumé, les finances publiques se sont détériorées dans un contexte de croissance économique très faible, qui a aggravé l’effet boule de neige de la dette. Le profil de la dette limite toutefois fortement le risque de liquidité. Pour autant, il est nécessaire de réduire les déficits budgétaires, d’accroître la rentabilité des entreprises publiques et de poursuivre les réformes visant à redresser le potentiel de croissance économique afin de réduire le risque souverain au sens large. En ce sens, la stabilité du GUN et sa capacité à gouverner seront des facteurs de risque clés à moyen et long terme.

Comptes extérieurs : un solde courant de pays émergent, un compte financier de pays développé

Les comptes extérieurs de l’Afrique du Sud sont structurellement une source potentielle d’instabilité financière. D’une part, les minéraux et les métaux représentant plus de 40% des exportations de marchandises, la balance courante est vulnérable aux chocs extérieurs économiques comme géopolitiques qui affectent les prix des matières premières. D’autre part, au cours de la décennie passée, l’équilibre de la balance des paiements a largement reposé sur des sources de financements de court terme. Très volatils, ceux-ci dépendent des conditions financières internationales et du sentiment des investisseurs étrangers vis-à-vis des pays émergents. Ainsi, sur la période 2020-2022, le compte financier a enregistré d’importantes sorties de capitaux, conséquence des chocs successifs enregistrés depuis la pandémie. Ensuite, à compter de la fin 2022, en l’absence de forte reprise des entrées de capitaux étrangers, le retour à une balance courante déficitaire a contribué à maintenir une forte pression sur la balance des paiements. À moyen terme, la capacité du pays à attirer des capitaux étrangers et à combler les besoins de financements externes dépendra largement de la dynamique budgétaire et des réformes engagées.

Un solde courant tributaire de l’évolution des termes de l’échange

BALANCE COURANTE

En 2023, malgré la faiblesse de la croissance, le déficit du compte courant s’est creusé pour atteindre 1,6% du PIB, contre 0,4% en 2022. L’excédent de la balance commerciale s’est fortement contracté de 3,3% du PIB en 2022 à 1,4% en 2023 (graphique 8).

D’une part, les termes de l’échange, qui avaient atteint des niveaux exceptionnellement élevés en 2021-2022 à la faveur de la reprise mondiale postpandémique, se sont fortement modérés en 2023. Les prix à l’exportation des matières premières sud-africaines ont diminué, tandis que le prix des importations de pétrole (21% des importations) est resté élevé.

D’autre part, le volume des exportations, en hausse de 3% seulement, a été fortement contraint par les coupures d’électricité et la défaillance des infrastructures du pays. Dans le même temps, le taux de pénétration des importations (i.e. le ratio des importations sur la demande intérieure) a augmenté en 2022 et 2023 pour atteindre 33%, contre 27% en moyenne sur 2015-2019.

La baisse de l’excédent commercial a été atténuée par un moindre déficit de la balance des revenus et de celle des services. Au cours de la dernière décennie, la balance des revenus a affiché un déficit structurel, en raison de la présence locale de grands groupes étrangers, rapatriant tout ou partie de leurs bénéfices, ainsi que de la forte présence d‘investisseurs non-résidents sur les marchés financiers domestiques. Cependant, avec le retrait des investisseurs étrangers et la détérioration de l’activité économique, les revenus versés aux non-résidents ont diminué. En 2023, le déficit de la balance des revenus s’est réduit, atteignant USD 7,4 mds, un niveau plancher sur la dernière décennie. Le déficit de la balance des services s’est aussi réduit en 2023. Toutefois, depuis la pandémie, la balance des services est devenue déficitaire en raison de la baisse d’activité dans le secteur du tourisme. En 2023, les recettes tirées du tourisme ont augmenté pour la troisième année consécutive mais sont restées inférieurs de 24% à leur niveau de 2019.

Forte dépendance aux investissements de portefeuille

COMPTE FINANCIER

La dépendance de l’Afrique du Sud aux financements étrangers de court terme constitue une deuxième vulnérabilité pour ses comptes extérieurs. Au cours des années 2010, les entrées nettes d’investissements directs étrangers (IDE) ont été négatives la plupart du temps et, dans le cas contraire, elles n’ont représenté qu’une faible part des entrées nettes de capitaux (graphique 9).

À la place, le pays s’est principalement appuyé sur les entrées nettes d’investissement de portefeuille, qui ont couvert 90% des déficits de compte courant en moyenne sur 2011-2019. L’accès à cette source de financement volatil a été facilité par les conditions financières accommodantes d’alors, ainsi que par la liquidité des marchés domestiques sud-africains et le rendement élevé des actifs locaux.

En conséquence, le stock d’investissements de portefeuille a augmenté progressivement : après un pic en 2017, il s’est maintenu à un niveau très élevé au cours des deux années qui ont suivi, atteignant USD 249 mds (64% du PIB) en 2019.

La pandémie, la guerre en Ukraine combinée à la position de neutralité de l’Afrique du Sud, le cycle de resserrement monétaire mondial et la détérioration de la confiance des investisseurs ont entraîné des sorties massives d’investissement de portefeuille depuis le T3 2020 (USD 72 mds en cumul). Ces sorties n’ont été que partiellement compensées par la hausse des entrées nettes d’IDE (1,5% de PIB sur 2020-2023)[1].

ENGAGEMENTS EXTÉRIEURS À COURT TERME

Après quatre années de sorties nettes d’investissements de portefeuille, l’Afrique du Sud reste fortement exposée au risque de nouvelles fuites de capitaux étrangers. Fin 2023, les engagements extérieurs à court terme (i.e. les capitaux étrangers qui peuvent sortir rapidement du pays) s’élevaient encore à USD 211 mds. Malgré l’augmentation continue des réserves de change de la banque centrale depuis 2015, celles-ci ne suffisent pas à elles seules à amortir les chocs extérieurs. En effet, fin 2023, les engagements extérieurs à court terme, qui regroupent les investissements de portefeuille en actions et en obligations ainsi que la dette extérieure de court terme, représentaient encore 342% des réserves de change, contre 552% fin 2019 (graphique 10).

La flexibilité du change comme seule variable d’ajustement

Les besoins de financement extérieur vont s’alourdir dans les prochaines années. D’une part, le déficit de la balance courante devrait se creuser pour atteindre 2,5% du PIB en moyenne sur 2025-2026. Cette évolution découlera notamment de la normalisation des termes de l’échange, qui devrait en effet se poursuivre avec la poursuite attendue de la baisse des prix des métaux. D’autre part, l’amortissement de la dette extérieure sera plus élevé.

En ce qui concerne les sources de financement extérieur, les flux de capitaux étrangers seront fortement corrélés au succès ou à l’échec du GUN ainsi qu’au rythme des réformes structurelles mises en œuvre. Les signaux à court terme depuis sa formation à la mi-juin 2024 indiquent une amélioration du sentiment des investisseurs jusqu’à présent. Le rand sud-africain s’est apprécié de 8,4% entre la mi-juin et la fin-septembre 2024, tandis que le rendement moyen des obligations d’État d’une maturité de dix ans ou plus a chuté de 180pb. Cependant, tout désaccord majeur entre l’ANC et la DA, qui entraînerait une paralysie politique sans précédent, pourrait avoir un impact négatif conséquent sur la confiance des investisseurs étrangers et déclencher de nouveaux épisodes de fuite de capitaux.

TAUX DE CHANGE ET COURS DES MÉTAUX

Néanmoins, l’Afrique du Sud bénéficie de plusieurs facteurs qui atténuent l’impact des chocs sur les comptes extérieurs et qui permettent de préserver le stock de réserves de change.

En premier lieu, grâce au régime de change flottant, la flexibilité du change permet en théorie de corriger une trop forte détérioration des comptes extérieurs en jouant le rôle de variable d’ajustement.

De fait, le rand sud-africain s’est fortement déprécié depuis la pandémie : -22% contre le dollar américain entre 2019 et 2023 (graphique 11). Il s’est ensuite stabilisé sur les cinq premiers mois de 2024 puis s’est apprécié à la suite de la formation du GUN.

En second lieu, l’exposition des agents économiques (principalement l’État et les banques commerciales) au risque de change est modérée. Au quatrième trimestre 2023, la dette extérieure totale s’élevait à 41,1% du PIB (graphique 12). Mais celle libellée en devises représentait 57% du total et était donc modérée, à 23,3% du PIB. Par ailleurs, la dette de court terme ne représente que 20% de la dette extérieure totale. En outre, l’Afrique du Sud bénéficie d’une position extérieure nette positive, bien que volatile (28% du PIB au T4 2023). Elle est principalement constituée d’investissements à court terme qui peuvent être rapatriés facilement en cas de besoin.

EXPOSITION MODÉRÉE AU RISQUE DE CHANGE

De plus, des réglementations prudentielles sur les actifs étrangers détenus par les investisseurs locaux jouent un rôle d’amortisseur automatique en cas de choc. Si les contrôles de capitaux pour les non-résidents ont été totalement supprimés depuis longtemps, certains subsistent pour les résidents, bien qu’ils aient été progressivement allégés au fil des ans. Ainsi, les investisseurs institutionnels locaux (assurances, fonds de pension et d’épargne) peuvent investir à l’étranger jusqu’à 45% de leurs actifs totaux. En outre, les IDE des sociétés sud-africaines sont également limités à ZAR 5 mds. En cas de dépréciation du ZAR, la valeur des actifs étrangers détenus croît automatiquement relativement aux actifs domestiques, ce qui augmente la part des actifs étrangers dans le portefeuille d’actifs total. La dépréciation du ZAR peut donc déclencher un rapatriement de capitaux.

Enfin, l’Afrique du Sud bénéficie d’une large base d’investisseurs nationaux et de marchés domestiques liquides. Or, les investisseurs nationaux peuvent jouer le rôle d’amortisseurs en cas de fuites de capitaux des non-résidents.

Secteur bancaire : résilience face à la montée du risque

L’Afrique du Sud dispose d’un secteur financier vaste et sophistiqué, dominé par les banques, les fonds de pension et les assureurs (dont les actifs représentent 110%, 70% et 60% du PIB, respectivement). Le secteur bancaire est bien supervisé et présente des ratios de liquidité et des niveaux de fonds propres adéquats. Toutefois, l’environnement opérationnel s’est détérioré au cours de ces dernières années, en raison de la faiblesse de l’activité économique, de l’augmentation du risque souverain, de la volatilité financière accrue et de l’inscription de l’Afrique du Sud sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI). Le risque de crédit a atteint des niveaux sans précédent au cours de la dernière décennie et son impact sur les fonds propres et la liquidité des banques a commencé à se matérialiser.

Des banques bien préparées face à la montée du risque de crédit…

À l’exception d’une courte et timide reprise entre la mi-2022 et la mi-2023, la croissance du crédit au secteur privé est négative depuis 2021. La part du crédit bancaire aux entreprises et aux ménages a sensiblement diminué pour atteindre respectivement 46% et 39% du total du crédit bancaire, contre 51% et 41% en 2019 respectivement.

Pour autant, depuis fin 2022, les banques sont confrontées à la montée du risque de crédit au secteur privé. Les sévères pénuries d’électricité et la faible croissance économique en 2023 ont coïncidé avec le cycle de resserrement monétaire de la SARB. Le ratio de créances douteuses rapportées aux prêts bruts, qui avait chuté à 4,5% au S1 2022, est remonté à 5,5% en mai 2024, un record sur la décennie passée. De plus, le ratio de créances douteuses est nettement plus élevé pour les ménages (10% mi-2023) que pour les entreprises (3%).

Cela étant, les banques sont bien préparées pour absorber une détérioration de la qualité de leurs actifs. Au cours de la décennie passée, les banques sud-africaines ont continuellement présenté des ratios de fonds propres et de liquidité supérieurs aux minimums requis. Si ces ratios ont commencé à se détériorer au premier semestre 2024, ils restaient néanmoins à des niveaux historiquement élevés en mars (tableau 1).

RATIOS MACROPRUDENTIELS DU SECTEUR BANCAIRE

La SARB, qui supervise le secteur bancaire, est reconnue comme une autorité indépendante et crédible, avec des normes conformes aux conventions internationales. En 2023, un stress test conduit par cette dernière a montré que les six banques considérées comme systémiques (détenant à elles seules 92% des actifs bancaires totaux) résisteraient aux différents scénarios de chocs envisagés et continueraient d’afficher des ratios de fonds propres adéquats.

En revanche, l’endettement des ménages sud-africains reste élevé. En 2023, la dette des ménages atteignait 41% du PIB et 62% de leur revenu disponible. Bien que ces deux ratios soient relativement stables depuis 2016, ils sont désormais légèrement supérieurs à leur niveau prépandémique. En outre, ces ratios agrégés cachent de fortes inégalités de revenus entre les ménages.

… mais des défauts de gouvernance à surveiller

En février 2023, le GAFI a inscrit l’Afrique du Sud sur sa liste grise de pays qui n’appliquent pas les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. En juin 2023, l’Union européenne lui a emboité le pas. Ces décisions ont entraîné d’importants délais et des coûts de transactions supplémentaires pour les banques sud-africaines, en raison du renforcement des contrôles obligatoires. Pour sortir de la liste grise, quatorze des vingt-deux actions requises par le GAFI doivent encore être mises en œuvre avant janvier 2025. Or, début juillet 2024, le Trésor national a reconnu qu’il était peu probable qu’il atteigne tous les objectifs à temps. Bien que les six premières banques sud-africaines jouissent d’une solide réputation internationale et de nombreuses connexions avec les systèmes financiers mondiaux, ce qui a quelque peu atténué l’impact de la décision du GAFI jusqu’à présent, rester sur liste grise à long terme pourrait avoir des conséquences délétères sur l’ensemble du secteur. Outre la hausse des coûts de transaction et son impact sur la profitabilité des banques, cela pourrait à terme entamer la confiance des investisseurs, réduire l’accès au financement en devises et accroître le coût d’emprunt.

EXPOSITION DES BANQUES
AU RISQUE SOUVERAIN

Un autre risque propre au secteur bancaire sud-africain est son exposition croissante au risque souverain. Fin 2023, les obligations et les bons du Trésor détenus par les banques représentaient près de 17% du total des actifs bancaires, contre 13% fin 2019 et seulement 9% en 2015 (graphique 13). Des années de stagnation économique, l’aversion des banques pour le risque, les besoins de financement élevés du gouvernement ainsi que le retrait des investisseurs étrangers sur les marchés domestiques sont autant de facteurs qui ont conduit à l’exposition croissante des banques au risque souverain. La dépendance croissante des banques à l’égard des obligations du Trésor a pour effet d’évincer le crédit alloué au secteur privé, en atteste la part décroissante du secteur privé dans le total du crédit bancaire.

Conclusion

Les élections générales de mai 2024 ont conduit l’Afrique du Sud à la croisée des chemins. L’entrée de partis de centre-droit dans un gouvernement dirigé depuis trente ans par l’ANC a insufflé un regain de confiance quant à la capacité des autorités à poursuivre leur ambitieux programme de réformes et de consolidation budgétaire. Toutefois, pour élever significativement le potentiel de croissance économique et contenir la trajectoire de la dette publique, les réformes seront nombreuses et lentes à mettre en œuvre. Le gouvernement d’union nationale devra donc prouver sa stabilité dans le temps et dépasser les clivages internes pour atteindre ses objectifs. Dans le cas contraire, il existe un risque que la perte de majorité absolue de l’ANC au Parlement entraîne un ralentissement du processus réformateur, avec un impact délétère sur la confiance des investisseurs, les finances publiques ainsi que les comptes extérieurs.

Achevé de rédiger le 7 octobre 2024


[1] Exception faite de 2021, lorsque l’entreprise Prosus a acquis 45% de sa société-mère sud-africaine Naspers. Cette opération a entraîné un réajustement comptable qui s’est traduit par des entrées d’IDE substantielles, compensées par des sorties d’investissements de portefeuille du même ordre de grandeur.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE