Eco Perspectives

Zone euro | Un rebond d’activité menacé par les droits de douane

18/04/2025
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Le scénario économique de la zone euro reste suspendu à l’évolution du conflit commercial et à la mise en œuvre de possibles droits de douane réciproques américains de 20%. La hausse des dépenses militaires soutiendra néanmoins le PIB. Dans ce contexte, et bien que des signaux légèrement positifs émergent dans l’industrie, les difficultés structurelles de secteurs tournés vers l’exportation, comme la chimie, la sidérurgie et l’automobile, pourraient se prolonger. Face au protectionnisme américain, des leviers existent - approfondissement du marché intérieur, accroissement des investissements, renforcement de partenariats commerciaux externes. La désinflation se poursuivant et compte tenu des risques baissiers sur la croissance, deux baisses de taux de 25 pb de la BCE restent attendues d’ici juillet.

Effet croissant des programmes d’investissement

Croissance et inflation

Le taux plancher de 10% des droits de douane américains, en vigueur pour 90 jours à compter du 9 avril 2025, sera de nature à réduire l’activité en zone euro de 0,1 point de pourcentage (pp) de PIB, voire du double en cas de tarif réciproque à 20%[1]. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et le ralentissement de la demande qu’elle induira pour ces économies pèseront également à court terme sur la croissance européenne, outre l’effet d’une incertitude extrêmement élevée. La hausse des dépenses de défense et le plan allemand sur les infrastructures devraient, en revanche, soutenir de plus en plus la croissance en zone euro (à hauteur de +0,3 point de pourcentage (pp) dès 2025 et de +0,5 pp en 2027[2], cf. graphique 1 dans l’édito).

Ce surcroît d’activité se répartira de la façon suivante. Les pays dont la croissance du PIB est soutenue (Espagne, Portugal) sont moins liés économiquement à l’Allemagne. Ils bénéficieront donc moins des effets d’entraînement des plans outre-Rhin et ne projettent pas d’augmenter très fortement leurs dépenses militaires. Par ailleurs, l’impulsion budgétaire sera négligeable en France et en Italie, en raison de situations budgétaires contraintes. C’est en Allemagne que l’impulsion budgétaire sera la plus importante, entraînant le rebond de sa croissance et de celle des pays qui y sont les plus connectés (Europe centrale, petites économies ouvertes limitrophes).

Marché du travail : au beau fixe

La hausse des investissements en zone euro permettra au marché du travail de mieux absorber le choc externe de l’augmentation des droits de douane américains. Malgré la faiblesse de la croissance économique, le taux de chômage dans la zone s’est maintenu à un niveau historiquement bas (6,1% en février), tandis que les dernières données d’enquêtes demeurent assez bien orientées[3]. Cette dynamique est notamment soutenue par une hausse de la part des emplois dans la fonction publique (défense, administration publique, éducation) et la santé. Ces emplois publics représentent désormais plus d’un quart des emplois en zone euro, un record hors période Covid. À court terme, cela limitera l’ampleur des destructions d’emplois s’ils devaient y en avoir sous l’effet du choc tarifaire américain. Toutefois, cela pèse sur les dépenses publiques de certains États membres.

Inflation : pas de rebond attendu en 2025

La cible des 2% d’inflation devrait être atteinte au début du second semestre 2025, alimentée par des pressions à la baisse sur les prix de l’énergie. Une poursuite de la désinflation est probable dans les services, le wage tracker de la BCE confortant le scénario d’une décélération des salaires en 2025. L’ampleur de la riposte commerciale de l’Union européenne à la hausse des droits de douane américains aura des répercussions sur l’inflation importée. Cependant, notre scénario central n’intègre pas, à ce stade, d’effets importants. Plusieurs facteurs seraient de nature à compenser le choc inflationniste initial, dont une redirection d’une partie des exportations asiatiques vers l’Europe (les prix de vente des entreprises chinoises sont plus bas que ceux de leurs concurrents). Le renforcement modéré de l’EUR/USD, que nous anticipons en 2025, ne devrait agir que marginalement sur les dynamiques d’inflation, la transmission aux prix à la consommation hors énergie étant faible en moyenne[4].

Politique monétaire : d’un instrument à l’autre ?

La voie semble dégagée pour que la BCE procède à deux nouvelles baisses de taux en juin et en juillet, portant le taux de dépôt à 1,75, soit la fourchette basse de notre intervalle d’estimation du taux neutre (1,5-2,5%). À terme, la BCE souhaite introduire un portefeuille « structurel » de titres pour préserver suffisamment de liquidités pour le système bancaire. Depuis le début du resserrement quantitatif, en mars 2023, la part des titres souverains détenus par l’Eurosystème a baissé de 41% à 33% (mars 2025), un chiffre supérieur à l’avant-Covid et à la mise en place du programme PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme). La BCE ne réinvestit plus, depuis janvier 2025, les actifs détenus au titre du PEPP arrivés à échéance.

Politique budgétaire : une consolidation difficile à poursuivre en 2025

Zone euro : rendement des obligations à 10 ans

En moyenne, le déficit budgétaire des pays de la zone euro devrait, en 2024, s’être rapproché du seuil des 3% du PIB, ce qui, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt, est remarquable. Cependant, les performances diffèrent entre les pays à l’épicentre de la crise des dettes souveraines (Italie, Espagne), qui continuent d’assainir leurs comptes publics, et d’autres pays, comme la France, qui ont des trajectoires moins favorables. À l’inverse, les pays avec une dette faible (Allemagne, Pays-Bas) devraient s’orienter vers un déficit budgétaire un peu plus significatif, sans que cela ne remette en cause la soutenabilité de leurs finances publiques. La hausse des dépenses militaires et le besoin probable de soutenir les industries touchées par l’offensive protectionniste américaine s’ajoutent aux défis structurels de la zone euro (transition écologique et vieillissement de la population). Cela impliquera des besoins de financement accrus (voir notre focus[5]). Toutefois, la consolidation budgétaire post-crise souveraine européenne de 2010-2012 offre, au moins à l’ensemble du bloc monétaire, quelques marges de manœuvre.

L’approfondissement du marché commun, objectif nécessaire et désiré

L’Union européenne reste le marché commun le plus intégré au monde. L’approfondissement du marché intérieur n’en constituera pas moins l’un des principaux leviers de croissance face à la montée du protectionnisme et à la fragmentation de l’économie mondiale. Le FMI évalue que les restrictions sur les échanges de biens et de services intra-UE équivalent, respectivement, à 45% et 110% de droits de douane[6]. Par ses multiples initiatives, qui reposent principalement sur les recommandations du rapport Draghi, la Commission européenne entend renforcer le marché commun à la fois dans le domaine économique (assouplissement des politiques de concurrence, préférence européenne), financier (renforcement de la titrisation et de l’Union des marchés de capitaux) et énergétique.

Appréciation contenue de l’euro face au dollar américain

Le resserrement anticipé des taux de croissance entre la zone euro et les États-Unis devrait conduire, selon nos prévisions, à une appréciation de l’EUR/USD en 2025, même si elle pourrait être limitée par une politique monétaire plus restrictive de la Réserve fédérale américaine. L’excédent du compte courant de la zone euro reste par ailleurs important, soutenu par la forte hausse des exportations de services (+8,2% en valeur en 2024). Les exportations en technologies de l'information/communication et « autres services professionnels »[7] ont, chacune, progressé de plus de 10% en 2024[8]. Ces deux secteurs représentent désormais près de la moitié des exportations européennes de services et devrait continuer de progresser avec la numérisation de plus en plus poussée des activités.

Focus : quelles solutions pour répondre à la hausse des besoins de financement ?

Les besoins de financement accrus des États européens, dans un contexte de taux obligataires élevés, devraient conduire à un renchérissement de leurs charges d’intérêt. Selon nos calculs, une hausse supplémentaire et pérenne de 100 points de base des taux souverains en zone euro (par rapport à notre scénario central) augmenterait le service de la dette des pays de la zone euro de 0,2 pp de PIB en 2025 et 0,4 pp en 2026 en moyenne (avec des effets plus importants en France, Italie, Espagne et Finlande). Le processus de rallongement des maturités, employé durant la période pré-Covid (et qui a permis d’accroître la maturité moyenne des titres échangeables sur les marchés à 8 ans et 3 mois en février 2025, contre 6 ans et 5 mois dix ans auparavant), permet de contenir à court terme les effets de la remontée des taux à long terme sur la charge d’intérêts.

Le plan ReArm Europe, qui intègre EUR150 mds de prêts européens financés par des émissions de titres sur les marchés, pourrait limiter la hausse du taux d’intérêt apparent. Ces émissions de dettes supranationales, dont les rendements sont proches de ceux du Bund allemand (cf. graphique 2), offrent à la quasi-totalité des États membres des conditions de financement plus favorables que celles qu’ils obtiendraient individuellement. L’idée d’un nouvel emprunt commun européen fait également son chemin dans certains pays, dont la France.

Achevé de rédiger le 17 avril 2025


[1] La part des exportations de biens de la zone euro vers les États-Unis s’élevait à 3,2% du PIB en 2024. En faisant l’hypothèse d’une élasticité prix à l’importation de 0,3, une hausse des tarifs douaniers de 10% entrainerait une baisse des exportations de 0,1 point de PIB.

[2] Nous estimons l’impact d’une hausse des dépenses militaires dans tous les pays de la zone, ainsi que celui des dépenses d’infrastructure en Allemagne sur la croissance au travers d’un effet direct (conséquences en termes de consommation et d’investissement public) et d’un effet indirect principalement lié à un accroissement du commerce intra-zone.

[3] Le PMI composite emploi est repassé en mars au-dessus de la zone d’expansion (50,1).

[4] Voir par exemple E. Ortega, C. Osbat, Exchange rate pass-through in the euro area and EU countries, April 2020.

[5] Lire également JL Proutat Grands chantiers européens : l’équation financière se complique, BNP Paribas Ecoweek 31 mars 2025.

[6] Voir FMI Regional Economic Outlook : Europe, Octobre 2024, page 19.

[7] Cette catégorie regroupe principalement les services en recherche-développement, conseil en gestion, ingénierie-architecture.

[8] Source : Eurostat.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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