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Émirats Arabes Unis | Une position solide

24/06/2025
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Les perspectives restent bien orientées malgré les turbulences internationales. Peu touchés directement par le durcissement de la politique douanière américaine, les Émirats arabes unis (EAU) bénéficient de marges de manœuvre pour faire face à la chute des cours du pétrole et au ralentissement du commerce mondial. Leur économie est plus diversifiée que celle des autres pays du Golfe. Elle est aussi portée par sa forte attractivité pour les investissements étrangers et le soutien de la puissance publique. À plus long terme, les EAU pourraient également tirer profit d’une potentielle reconfiguration des flux commerciaux et activer ses leviers pour maintenir sa relation stratégique avec les États-Unis.

Turbulences mondiales : des canaux diffus

À l’instar des autres pays du Golfe, les Émirats arabes unis (EAU) sont globalement épargnés par la politique commerciale de Trump avec le tarif minimum de 10%. Le taux effectif moyen est supérieur, à 11,7%, si l’on tient compte des dernières annonces de la hausse à 50% des droits de douane sur les importations d’aluminium et d’acier. Mais les montants sont marginaux, inférieurs à 1% des exportations totales des EAU, et la mesure concerne des secteurs où les Émirats arabes unis sont très compétitifs. En revanche, avec des exportations de biens et services supérieures à 110% du PIB, l’économie des EAU est de loin la plus sensible de la région au ralentissement du commerce mondial.

Prévisions économiques des E.A.U.

Malgré une économie relativement diversifiée par rapport aux autres pays du Golfe, elle demeure également vulnérable au retournement des cours mondiaux du pétrole. Le Brent était attendu à 65 dollars (USD) en moyenne en 2025-2026 contre 80 USD en 2024 avant le regain de tensions au Moyen-Orient. Le risque est désormais haussier. Mais l’impact sur les cours du Brent est modéré jusqu’à présent, et les fondamentaux du marché mondial du pétrole sont fragiles. La volatilité du dollar ou l’orientation de la politique monétaire américaine sont d’autres facteurs susceptibles d’affecter les EAU. Mais, dans l’ensemble, l’économie est en bonne position pour faire face à ces vents contraires.

Perspectives de croissance toujours solides

Les EAU sont l’économie la plus dynamique de la région. Malgré la politique restrictive de l’OPEP+ en 2023-2024, la croissance est restée solide, à 3,7%, soit 3 points de plus que la moyenne des autres pays du Golfe. Sur la même période, la progression du PIB hors hydrocarbures a atteint 5,5%, un écart également substantiel par rapport au reste de la région mais aussi par rapport aux performances pré-pandémie des EAU (graphique 1). Or, rien n’indique une inflexion majeure de cette dynamique à ce stade.

La plupart des indicateurs conjoncturels restent bien orientés : le nombre d’arrivées de touristes à Dubaï progresse (+7% en g.a. sur les quatre premiers mois de l’année) et l’indice PMI S&P pour le secteur privé hors pétrolier des EAU reste au-dessus de 50 (53,3 au mois de mai), valeur séparant la zone de progression de l’activité de celle de contraction. De fait, les ressorts de la croissance sont multiples et solides, à commencer par la forte attractivité de Dubai pour les investisseurs étrangers, en particulier en période de turbulence mondiale. L’afflux d’expatriés qui en résulte est un élément clés du développement du secteur immobilier résidentiel dont le rythme de construction demeure soutenu.

Engagé dans un plan massif de diversification économique, Abu Dhabi tire également la croissance des EAU vers le haut. Cet émirat compte pour 60% du PIB de la fédération et assure l’essentiel de sa richesse de l’exploitation de son sous-sol. Depuis quatre ans, la croissance hors hydrocarbures y est extrêmement forte, proche des 8% en moyenne, soutenue par les secteurs de la construction, des transports et de la finance. Une grande partie de ces projets sont portés par la puissance publique et sont donc vulnérables à la baisse des recettes pétrolières. Mais les autorités disposent des marges de manoeuvre suffisantes pour amortir le choc sans avoir à ajuster sa politique d’investissement.

Dans ce contexte, la croissance hors hydrocarbures devrait rester robuste, autour de 4,5% en 2025-2026. Si les turbulences mondiales et régionales pèseront sans doute sur des secteurs clés (logistiques, transports, tourisme), la solidité de la demande domestique et le statut de safe haven en limiteront l’impact. L’économie bénéficiera par ailleurs de la hausse de la production pétrolière même si l’ampleur reste encore incertaine.

E.A.U. : croissance des activités hors hydrocarbures

Engagés au départ dans une politique graduelle de réduction des coupes volontaires de production, plusieurs pays de l’alliance OPEP+ (dont les UAE) ont décidé d’accélérer le mouvement depuis avril afin notamment de regagner des parts de marché mondiales. Cette stratégie étant risquée, nous tablons toujours sur une croissance modérée du PIB pétrolier en 2025 (+2,5%) avant un rebond plus marqué en 2026 (+5%). Cela porterait la croissance économique globale des EAU à 4% cette année et 4,6% en 2026. Néanmoins, l’impulsion pourrait être plus forte.

Inflation contenue mais sensible aux aléas extérieurs

Le maintien d’un environnement monétaire restrictif ne devrait pas trop peser sur l’activité économique. Malgré une inflation contenue à moins de 2% en 2024, la Banque centrale doit conserver son taux directeur élevé en lien avec les décisions de la Réserve fédérale américaine, dont la monnaie sert de point ancrage au dirham émirati.

Si le taux d’intérêt réel a commencé à baisser à partir de septembre 2024, il avoisine encore les 3%. Dans le même temps, la progression du crédit bancaire est restée forte, en particulier pour le secteur privé (+8,3% en février 2025), et devrait le demeurer au regard des perspectives solides de la croissance hors hydrocarbures. Au final, la principale menace conjoncturelle, induite par la politique économique américaine, pourrait être l’impact inflationniste d’une dépréciation du dollar.

Mais le risque apparait également limité. D’un côté, l’inflation globale des EAU masque des dynamiques divergentes entre émirats, qui pourraient être exacerbées en cas de renchérissement des prix des importations. En particulier, Dubaï doit faire face à des tensions latentes en raison de la forte progression des prix des loyers. D’un autre côté, les EAU étant les seuls pays du Golfe où les prix de l’essence sont déterminés par les conditions de marché, le retournement des cours du pétrole (même après le pic récent de tensions) permet de limiter la pression sur les prix. Par ailleurs, un affaiblissement significatif du dollar n’aurait pas que des conséquences négatives pour une économie qui cherche à se diversifier, et dont le taux de change effectif nominal s’est apprécié de plus de 50% depuis 2010.

Maintien des excédents budgétaires et extérieurs

La solidité des finances publiques et externes rassurent également. Il faudrait en effet que le prix du baril de pétrole passe sous 50 USD pour que les finances publiques des émirats dans leur ensemble basculent dans le rouge. Dans le scénario actuel, les excédents budgétaires resteront donc confortables ( entre 2% et 3% du PIB), ce qui s’explique en grande partie par le poids relativement important des recettes hors hydrocarbures : 48% aux EAU en 2024 contre 72% en moyenne pour les autres pays du Golfe. L’assainissement des finances publiques de Dubaï contribue également à la solidité de l’ensemble. De 78% du PIB en 2020, la dette du gouvernement de cet émirat est tombée à 34% en 2024 grâce aux excédents dégagés et à la monétisation de ses avoirs publics.

Pour l’ensemble des Émirats arabes unis, le mouvement de désendettement est moins marqué en raison de leur volonté de développer le marché des capitaux. La dette consolidée reste modérée (32% du PIB) et sa dynamique est sous contrôle. En outre, la dette contingente des entreprises publiques ne représente plus un risque de nature systémique même si elle demeure encore élevée (36% du PIB de Dubaï et 20% du PIB d’Abu Dhabi).

E.A.U. : prix du pétrole qui équilibre les finances publiques et extérieures

Avec un cours du pétrole de seulement 34 USD par baril (USD/b) pour équilibrer sa balance des transactions courantes et des flux de capitaux robustes (essentiellement des investissements directs étrangers), la position extérieure des EAU est encore plus confortable. Malgré le tassement des exportations pétrolières, les réserves de change devraient donc continuer de s’étoffer. Surtout, les EAU vont pouvoir maintenir leur stratégie d’acquisition d’actifs à l’étranger et consolider ainsi une position déjà très solide (les actifs des fonds souverains dépassent 200% du PIB contre une dette extérieure de 87% du PIB).

Réorganisation des flux commerciaux : un potentiel à amplifier

Au-delà des conséquences de court terme, le changement de politique économique aux États-Unis devrait entraîner un profond bouleversement du commerce international. Les EAU sont bien positionnés pour en tirer parti.

Depuis 2022, les EAU multiplient les accords de partenariats économiques afin de renforcer leur positionnement en tant que plate-forme commerciale et d’attirer des investissements étrangers pour accélérer la transition vers une économie moins dépendante au pétrole. Certes, les résultats plutôt probants jusqu’à présent demandent à être confirmés dans la durée. L’annonce du lancement de négociations avec l’Union européenne pourrait permettre aux EAU, dont les exportations restent majoritairement tournées vers l’Asie, de franchir un nouveau palier. Des discussions sont également en cours avec le Japon. Elles pourraient aboutir d’ici la fin de l’année après celles déjà conclues avec l’Inde (premier pays signataire en 2022) ou encore l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

Enfin, la récente visite de Trump dans le Golfe a confirmé que les EAU conservaient également une relation solide avec les États-Unis. De prime abord, les engagements apparaissent plutôt en faveur de l’économie américaine. Cependant, les projets d’investissements conjoints aux EAU dans le secteur de l’IA répondent à des besoins stratégiques dont le développement était jusqu’à peu entravé par le contexte de défiance vis-à-vis de la Chine.

En projetant leur puissance financière à l’extérieur et en multipliant les partenariats économiques, les EAU semblent ainsi se prémunir contre le risque de fragmentation géo-économique. Ils pourraient aussi saisir des opportunités, notamment en cas de renforcement des relations entre l’Europe et l’Inde.

Achevé de rédiger le 16 juin 2025

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