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Focus | Commerce international : tout ne tourne pas autour des États-Unis

22/09/2025
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Les droits de douane américains ont augmenté massivement en deux étapes : d’abord en avril, puis à la suite des multiples accords commerciaux signés cet été. L’impact du premier palier de ce durcissement tarifaire est connu : les flux vers les États-Unis ont été fortement perturbés. Le commerce mondial reste dynamique, par ailleurs, notamment en Asie (un phénomène structurel) ou en Europe (qui devrait bénéficier d’une dynamique interne avec le rebond de l’économie allemande). La recomposition des flux commerciaux (déjà en cours avec la montée en puissance de la Chine) pourrait, elle, s’accélérer, les différents pays cherchant ailleurs les débouchés perdus aux États-Unis.

Droits de douane américains : un nouveau Monde

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2025, l’administration américaine a augmenté ses droits de douane en deux principales étapes. La première a été marquée par la hausse des tarifs sectoriels (à 25% pour l’automobile et 50% pour l’acier et l’aluminium) et celle des tarifs « réciproques ». Ces derniers ont été ramenés provisoirement à 10% pour la plupart des pays le 9 avril dernier, le temps que la négociation avec les partenaires commerciaux aboutisse. Cette première salve a conduit le tarif effectif moyen imposé aux importations américaines de biens à près de 10% en juillet 2025 contre 2,3% de moyenne en 2024.

ÉVOLUTION DU TARIF EFFECTIF MOYEN SUR LES IMPORTATIONS DE BIENS AUX ÉTATS-UNIS (TOTAL EN %, PAYS EN CONTRIBUTION)

La conclusion de nombreux accords bilatéraux en juillet-août[1] et l’application de tarifs plus élevés pour les pays non-signataires ont marqué la seconde étape, qui a porté le tarif moyen à 17,6% selon nos estimations (graphique 1). Les produits en provenance de Chine continueraient d’y apporter la contribution la plus importante (sur 17,6 points de pourcentage, près de 5,5 sont liés aux tarifs prélevés sur les produits chinois). Toutefois, parmi les partenaires principaux, ce sont l’Union européenne et les pays de l’USMCA qui voient leur contribution à ce tarif augmenter le plus (notamment en raison du poids des échanges de ces deux zones avec les États-Unis).

Cette séquence a introduit une volatilité très forte des importations de biens en volume aux États-Unis. Après une hausse de +11,0% t/t au T1 2025, elles ont fléchi de -10,1% au T2. Toutefois, en glissement annuel, les importations augmentent pour le 4e semestre consécutif au S1 2025, à +4,7% d’un semestre à l’autre (+11,8% a/a). Cela montre que le reflux au T2 (graphique 2) ne compense pas encore totalement la nette augmentation au T1.

ÉVOLUTION DES IMPORTATIONS DEPUIS DÉC. 2024 (VOLUME, %)

La stabilité de la catégorie des biens d’équipement – qui représente 31% des importations en 2024 – au T2 après le bond du T1 (+10,5% t/t) explique cette croissance. Sans surprise (droits de douane portés à 25%), le secteur automobile subit une baisse marquée au S1 2025 (-3,8% par rapport au semestre précédent) après un net repli au S2 2024 (-4,9%). Les importations sont également pénalisées par les subventions accordées aux constructeurs d’automobiles produites aux États-Unis, soutien dont les véhicules importés ne bénéficient pas. À l’heure où les accords commerciaux négociés cet été entrent en vigueur, les flux commerciaux vers les États-Unis pourraient se réduire plus franchement pour les secteurs concernés.

Si les États-Unis importent moins, d’autres zones continuent d’importer plus

Le choc tarifaire américain a mis en exergue la capacité d’adaptation des flux commerciaux mondiaux. Si les importations ont connu un repli au T2 aux États-Unis, elles sont en hausse dans d’autres régions du monde (graphique 2). C’est notamment le cas pour la zone euro, où les importations ont progressé de 2,5% t/t, un rythme similaire au T1. L’Europe constitue l’un des marchés de report les plus importants pour la Chine, la structure du marché européen étant proche de celle des États-Unis. Les importations ont également augmenté en Amérique latine et au Japon (+3,8% t/t chacun au T2). En Chine, les importations ont d’abord diminué, car le pays a augmenté, en rétorsion, ses tarifs sur les États-Unis, mais une grande partie de cette baisse s’est résorbée par la suite.

Le poids des États-Unis dans les importations mondiales reste important (autour de 14%), mais la part de l’Asie (dans ces dernières) a continué de se renforcer, soutenue par une croissance économique toujours élevée et des partenariats commerciaux régionaux efficaces. L'Asie “émergente”[2] qui concentre 10% des importations mondiales (un plus haut historique) a pris le relais de la Chine). Cette dernière s’est engagée dans une politique de substitution de productions locales aux importations.

Les exportations mondiales résistent à la remise en question du débouché américain

Ainsi, l’offensive tarifaire américaine ne concerne qu’une partie mineure du commerce mondial (graphique 3). Les données agrégées du Central Plan Bureau néerlandais (CPB), qui font office de référence en la matière, sont formelles : la tendance croissante du commerce mondial n’a pas été remise en cause (cf. graphique 4).

ILLUSTRATION DE L’OFFENSIVE TARIFAIRE DES ETATS-UNIS PAR RAPPORT À L’ENSEMBLE DU COMMERCE INTERNATIONAL (USD MDS, 2024)

Après leur nette augmentation au T1, les exportations se sont repliées modérément au T2. In fine, le commerce mondial poursuit pour l’heure sa croissance tendancielle à un rythme proche de celui de 2024, à savoir +0,8% t/t. Les tarifs américains ont toutefois été préjudiciables pour les pays pour lesquels les États-Unis constituent un débouché important et qui disposent de peu d’alternatives. C’est le cas du Canada, dont les exportations ont diminué sur l’ensemble du 1er semestre.

En Europe, les évolutions ont été très différentes selon les secteurs. En valeur, le bond des exportations pharmaceutiques (et autres produits chimiques) au T1 n’a pas été totalement effacé au T2. En comparaison avec 2024, la croissance de ces exportations sur le S1 2025 (+31%, soit près de EUR 55 mds) fait plus que compenser la baisse des exportations automobiles (-6,9%, soit EUR 9,7 mds). Cette évolution entraine bien évidemment des effets redistributifs entre pays (nettement positifs pour l’Irlande et la Suisse, plus négatifs pour l’Allemagne). Toutefois, au niveau de l’UE, ces effets se compensent globalement.

Cette résilience du commerce mondial s’explique aussi par l’accélération des échanges d’équipements électroniques à travers le monde. La demande pour ces produits, indispensables dans le cadre des projets d’investissements massifs dans l’intelligence artificielle (IA), provient notamment de Chine, et plus largement d’Asie où ils sont également très largement produits. Cela explique une bonne partie de la solidité des exportations des pays asiatiques et, surtout, la très forte augmentation des exportations de la Corée du sud et de Taiwan, deux pays clés dans la fabrication des équipements nécessaires à l’IA. Les semi-conducteurs n’étant pas actuellement soumis à des tarifs américains, les échanges continuent donc d’augmenter fortement sous l’effet des investissements massifs dans ce domaine, y compris aux États-Unis.

De plus, les États-Unis et la Chine restent encore dépendants l’un de l’autre dans des secteurs hautement stratégiques (métaux rares exportés par la Chine, semi-conducteurs exportés par les États-Unis). Cela permet d’espérer que des barrières douanières ne viendront pas entraver ce développement rapide, à l’image de l’aéronautique qui bénéficie de droits de douane nuls dans l’accord US-UE compte tenu des interdépendances fortes entre les deux acteurs industriels majeurs du secteur.

ÉVOLUTION DES EXPORTATIONS MONDIALES (JAN 2024=100)

Les tarifs américains : un choc gérable à condition qu’ils cessent d’évoluer

Aucune donnée ne permet encore de mesurer l’effet des accords commerciaux signés cet été par les États-Unis. Par ailleurs, il n’est pas certain que les tarifs américains n’évoluent pas de nouveau. Des investigations sont actuellement conduites aux États-Unis dans des secteurs ciblés pour leur importance (notamment le secteur pharmaceutique et celui des semi-conducteurs, aujourd’hui exemptés de tarif supplémentaire), au titre de la Section 232 du Trade Expansion Act. Cette enquête pourrait conduire à une augmentation des tarifs sectoriels (le pays le plus vulnérable pour chaque secteur considéré est représenté dans le tableau ) :

VULNÉRABILITÉ DES PAYS À DE NOUVEAUX TARIFS SECTORIELS SUR LES SEMI-CONDUCTEURS ET LES BIENS PHARMACEUTIQUES

De plus, l’examen de la légalité de la procédure utilisée pour mettre en place les tarifs « réciproques » n’a pas livré son verdict définitif (la Cour suprême devrait se prononcer en novembre). Une condamnation de ces tarifs pourrait ouvrir la voie à une hausse des tarifs sectoriels. Par ailleurs, les discussions entre Washington et Pékin ont permis d’aboutir, le 12 mai, à un accord provisoire permettant de réduire le niveau des tarifs bilatéraux par rapport au niveau élevé atteint en avril. Cet accord provisoire a depuis été reconduit et reste en vigueur faute d’accord définitif pour le moment.

Toutefois, d’après les données d’enquête sur le climat des affaires, la majeure partie du choc d’incertitude, créé par l’administration américaine en avril, s’est dissipée, en particulier en Europe. L’indice PMI des nouvelles commandes à l’export s’est, en effet, redressé dans la plupart des pays (cf. graphique 5) : là où les chiffres sont disponibles pour juillet (France), les exportations outre-Rhin rebondissent ; ce phénomène devrait se renforcer au 2e semestre 2025.

INDICES PMI MANUFACTURIERS DES NOUVELLES COMMANDES À L’EXPORT (Z-SCORE)

En effet, les droits de douane imposés aux importations américaines en provenance de l’UE ont été portés à 15%, mais ils incluent les droits de douane préexistants. L’appréciation de l’euro est un second frein à la compétitivité (près de 10%). Le choc global est de l’ordre de celui subi par les entreprises en 2007-08 (lié uniquement à l’époque à la forte dépréciation du dollar). Si celui-ci était resté gérable en termes de volumes (relativement résilients), il avait davantage affecté les prix et les marges des entreprises. Cette fois, l’Europe n’est pas la seule zone à subir une augmentation des droits de douane (alors que le choc de l’euro fort lui était propre en 2007-08), ce qui pourrait une nouvelle fois limiter l’impact in fine sur les volumes échangés.

Les pays les plus proches des États-Unis ne pouvant espérer trouver d’alternative commerciale à leurs échanges, seront les plus durement touchés par la hausse des tarifs. L’évolution de l’indice des nouvelles commandes à l’export du Canada est, à ce titre, marquante.

Du point de vue des secteurs industriels, d’après les enquêtes PMI, les perspectives sont bonnes pour les biens d’équipement (technologie, machines et équipement) et s’améliorent pour le secteur automobile, désormais moins taxé. Ce n’est pas le cas pour la chimie, secteur au sein duquel les matériaux de base (dont les métaux) sont à la fois davantage taxés et de plus en plus concurrencés, notamment par la Chine.

Ce que l’on ne sait pas encore mais qui sera décisif : vers une accélération de la recomposition des flux commerciaux ?

Les flux commerciaux étaient déjà en train d’évoluer avant la hausse des droits de douane américains. Cette recomposition va-t-elle s’accélérer en raison de la perte relative du débouché américain ? C’est possible, mais pas certain :

- En Asie, la Chine apparaît comme un gagnant paradoxal, puisqu’elle voit ses proches voisins de l’ASEAN subir un choc tarifaire plus élevé. Toutefois, cela réduit ses possibilités d’utiliser ces pays « connecteurs » pour réexporter ses productions et ainsi contourner les tarifs américains, comme elle le faisait auparavant.

- Concernant l’Europe, la concurrence croissante est un sujet qui n'a pas débuté avec l’introduction des tarifs américains. C’est le cas notamment des échanges entre l’Allemagne et la Chine, cette dernière étant passée progressivement (et singulièrement après l’épidémie de la Covid-19) d’un débouché à un concurrent. Cet appétit devrait même se renforcer et s’étendre à d’autres secteurs, avec plus d’exportations et plus d’investissements dans l’UE, afin de contourner les barrières à l’entrée. Ce phénomène pourrait s’accroître avec le recul du débouché américain, sachant que la Chine, en surproduction structurelle, n’a pas d’autre choix que de trouver de nouveaux débouchés, alors que son marché domestique ne prend pas suffisamment le relais (voir édito d’Ecoweek à ce sujet).

Par ailleurs, le monde ne s’arrêtera pas de tourner. L’accélération des négociations entre États, dans le but de sceller ou de renforcer les accords commerciaux, montre que le libre-échange, s’il est attaqué par la stratégie protectionniste américaine, conserve de solides fondations. Et l’Europe ne s’arrêtera pas de tourner non plus. Si la réforme du marché intérieur prend du temps, la mise en œuvre d’un effort de défense commun devrait permettre d’engager une nouvelle dynamique. Plus largement, la relance de l’investissement en Allemagne devrait rapidement produire ses premiers effets sur le commerce intra-zone. Enfin, même s’il est vain d’espérer remplacer les parts de marché perdues aux États-Unis ou en Chine, cela devrait inciter l’Union européenne à redoubler d’efforts pour gagner de nouveaux marchés (accord UE-Mercosur).

Achevé de rédigé le 16 septembre 2025

[1] Notamment avec l’Union européenne (tarifs à 15%), le Japon (15%), la Corée du Sud (15%), Taiwan et les pays de l’Asean (19%-20%), principaux partenaires des États-Unis, tandis que la « trêve » avec la Chine a été prolongée.

[2] Terminologie du FMI et qui regroupe 18 pays d’Asie (hors Chine, Japon, Corée du sud).

[3] Vert = moins de USD 10 mds, jaune = USD 10 à 20 mds, orange = USD 20 à 50 mds, rouge = au-delà de USD 50 mds.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE
Equipe : Économies avancées

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