Nous sommes à près d’une semaine d’un vote qui pourrait changer la face de l’Allemagne. Le 18 mars, le Bundestag décidera de l’adoption de deux projets structurants portant sur la défense et les infrastructures. Un plan budgétaire massif qui pourrait dépasser les EUR 1 000 Mds[1] sur les 10 prochaines années et relancer la croissance allemande, aux abonnés absents depuis près de 3 ans.
1. Quoi ? Der Plan. L’Allemagne est en passe de devenir le pays européen à l’impulsion budgétaire la plus conséquente dans les années à venir. Annoncé le 4 mars, l’accord entre la CDU/CSU et le SPD prévoit d’exempter du frein à l’endettement les dépenses de défense supérieures à 1 point de PIB. Un fonds dédié aux infrastructures, hors budget, à hauteur de EUR 500 Mds sur 10 ans (50 Mds par an, dont 10 pour les Länder) devrait également être constitué. Dans cette optique, le déficit structurel autorisé des Länder devrait être relevé de 0 à 0,35 point de PIB. Ce virage budgétaire a été autorisé par le résultat des législatives du 23 février et accéléré par le spectre d’un désengagement des États-Unis dans la défense européenne.
2. Vers une mise en œuvre rapide ? Le parlement sortant discutera de ces projets le 13 et le 18 mars (jour du vote solennel), avant l’entrée en fonction du parlement issu des élections le 25 mars. L’adoption nécessitera la majorité des deux tiers au Bundestag et au Bundesrat, impliquant le soutien des Verts ou du FDP — ce dernier n’étant favorable qu’à la partie défense. Le texte ne fixe aucune limite au budget de la défense, ce qui donne au prochain gouvernement d’importantes marges de manœuvre. La mise en œuvre devrait être rapide, avec un exécutif attendu pour Pâques. L’accord intervenu le 8 mars entre la CDU/CSU et le SPD sur les grands axes de leur programme de coalition est en adéquation avec cette échéance rapprochée.
3. Croissance : fin de la léthargie ? Selon nos calculs, Der Plan pourrait engendrer près de EUR 120 Mds de dépenses annuelles additionnelles, dont 50 Mds pour les infrastructures et 70 Mds pour la défense potentiellement dès 2026, si son budget était porté de 2 à 3,5% du PIB (dont 30 et 40 Mds respectivement dès 2025, selon nos hypothèses). Ces dépenses stimuleraient directement la consommation et l’investissement publics et indirectement l’ensemble de l’économie par effets d’entraînement. En considérant un effet multiplicateur de 1,3[2], la croissance allemande pourrait ainsi atteindre +0,9% en 2025 et en 2026 (nos prévisions actuelles sont de +0,2% pour 2025 et de +0,5% pour 2026), après -0,2% en 2024. À plus moyen terme, le PIB potentiel serait supérieur de 2% en 2029 à son niveau hors Der Plan et de 1,6% en 2027 (compensant donc l’impact négatif de tarifs douaniers américains additionnels potentiels tel qu’estimé par la Bundesbank à 1,5 point de PIB en 2027[3]).
Allemagne : prévision de croissance sans et avec “Der Plan”
4. Plus de dette publique synonyme de taux d’intérêt plus élevés ? Der Plan ressemble à un « quoi qu’il en coûte ». La dette publique pourrait atteindre 71,5% du PIB en 2029 en tenant compte d’un PIB plus élevé (contre 60% en l’absence de ce plan, selon notre scénario), une augmentation voisine de 2020 (+9pp). Contrairement à la dette Covid, qui avait diminué dès 2021 et qui s’était accompagnée d’achats massifs de titres par la BCE, cette fois, la dette augmenterait de manière plus durable. Les taux longs, qui ont déjà brutalement augmenté à la suite de l’annonce (+40 pb entre le 4 et le 12 mars pour les taux à dix ans), pourraient aussi rester durablement plus élevés.
5. L’Allemagne de nouveau motrice dans la croissance européenne ? 1/ L’effort allemand pourrait avoir un effet positif notable sur la croissance des autres pays européens et notamment sur la France, deuxième exportateur mondial d’armement, à l’opposé de l’année 2024, où la baisse des exportations vers l’Allemagne a retiré près de 0,1 point à sa croissance. 2/ Le plan allemand pourrait également donner du fil à retordre à la BCE. Notre scénario actuel à court terme, qui anticipe deux baisses de taux résiduelles, en avril et en juin 2025, n’est pas remis en cause. Toutefois, d’un côté, une hausse des taux longs aurait pour effet de réduire la transmission des baisses de taux de la BCE au reste de l’économie. De l’autre, à plus moyen terme, l’augmentation brutale de l’effort de défense pourrait avoir des conséquences inflationnistes en cas de contraintes d’offre.