Edito

À quelque chose malheur (européen) est bon

12/11/2024
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Les nouvelles de la semaine dernière ont été déprimantes pour beaucoup en Europe. D'abord, nos amis américains ont choisi de faire revenir à la Maison Blanche un homme qui a déclaré, il y a seulement quelques semaines, que l'Union européenne devrait « payer un prix fort » s'il gagnait. Ensuite, en Allemagne, la coalition au pouvoir s'est effondrée, Volkswagen a annoncé la fermeture de certaines de ses usines puis, une semaine plus tard, les deux plus grandes banques allemandes ont communiqué une augmentation massive de leurs provisions pour créances douteuses. En France, des licenciements ont été annoncés par des entreprises de premier plan liées à l'industrie automobile, dont les difficultés actuelles sont connues, mais aussi dans la grande distribution, secteur jusque-là considéré comme bien-portant. En parallèle, les indicateurs trimestriels de confiance de la Commission européenne ont montré une détérioration du climat économique et des attentes en matière d'emploi en France et en Allemagne, où par ailleurs l'utilisation des capacités dans l'industrie est à son plus bas niveau depuis juin 2020.

Néanmoins, en y regardant de plus près, le tableau n'est pas uniformément sombre. En dehors de l'Allemagne et de la France, de nombreuses économies de l'UE se portent très bien. Dans 22 des 28 économies de la zone, l'indice des attentes en matière d'emploi est supérieur à sa moyenne de long terme et/ou se redresse. En outre, même dans les deux plus grandes économies, certains domaines connaissent une amélioration, notamment les services. Après tout, c'est une force de l'économie de l'UE que de reposer sur des moteurs de croissance différents sur le plan sectoriel comme géographique. Cette hétérogénéité, qui complique tant la recherche du consensus, constitue donc aussi une source de résilience. Par ailleurs, la zone euro peut compter sur une banque centrale qui a de la latitude pour assouplir sa politique monétaire autant que nécessaire.

En outre, l'élection de Donald Trump pourrait bien s'avérer être le choc qui sauvera l'Europe de la tergiversation sur les mesures à prendre pour préserver sa place dans le monde. La relative apathie des décideurs politiques européens après la publication des rapports Letta et Draghi commençait à en déconcerter, voire désespérer, beaucoup au sein du monde des affaires et de la société civile, pour qui il y avait urgence à s'attaquer à leurs recommandations. Un suivi audacieux semblait improbable au moins pendant un an pour trois raisons s’ajoutant à la lourdeur habituelle de la prise de décision : la paralysie politique en Allemagne – due à une coalition dysfonctionnelle –, l’instabilité du gouvernement en France, et les relations plus mauvaises que jamais entre les deux moteurs supposés de l'intégration européenne. Aujourd'hui, le sentiment d'urgence est de retour.

L'Allemagne semble maintenant en mesure de constituer un nouveau gouvernement peu après le début de l'administration Trump. Bien sûr, il est trop tôt pour prédire le résultat des élections allemandes, mais les sondages suggèrent une coalition dirigée par Friedrich Merz de la CDU, pro-business et fin connaisseur de l’Europe. Surtout, il apparait que l'opinion publique et le monde de l'entreprise soutiennent de plus en plus l’idée de trouver des moyens de contourner le tristement célèbre « frein à l'endettement » inscrit dans la Constitution allemande de 2009. Cette règle, qui limite strictement la taille des déficits budgétaires structurels, a permis de ramener le ratio dette/PIB à 63%, soit l'un des plus bas de la zone euro, mais elle a également empêché l’Allemagne de réaliser les investissements nécessaires pour maintenir - et encore moins améliorer - ses infrastructures et ses capacités de défense qui en ont tant besoin. L'investissement public a ainsi été inférieur de 0,5 % de PIB à la moyenne de la zone euro au cours des 10 dernières années. Une Allemagne avec un gouvernement suffisamment fort pour négocier courageusement avec ses partenaires, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Europe, sera indubitablement un atout pour toute l’Europe. Une Allemagne prête à investir beaucoup plus à l'appui d'objectifs communs, tels que la transition énergétique et la sécurité militaire et économique de l'Europe, le serait encore bien plus.

Les dirigeants de l'UE ont enfin reconnu que « le maintien du statu quo n'est plus une option ». C'est ce qu'indique la déclaration adoptée à l'issue de la réunion informelle du Conseil de l'UE du 8 novembre. « Nous avons bien entendu leur signal d'alarme » y lit-on en référence aux rapports Letta et Draghi. Bien sûr, passer des paroles aux actes peut durer indéfiniment, mais les dirigeants européens n'ont jamais semblé aussi déterminés ou unis depuis la pandémie de COVID-19 et, à l’époque, les actions avaient suivi. De fait, ils ont chargé la Commission européenne de revenir dans un délai relativement court – d'ici à la mi-2025 – avec des plans concrets visant à approfondir le marché unique et à alléger les formalités administratives. Or, l’absence de taille critique pour permettre des économies d’échelle et le fardeau réglementaire sont parmi les principaux freins à l’investissement privé, d’où devra venir l’essentiel du financement nécessaire. Il est également bienvenu que les dirigeants de l'UE se soient expressément engagés à «défendre une économie ouverte et à établir des partenariats internationaux». En effet, plus les États-Unis s'éloigneront de cet objectif et des politiques industrielles de neutralité carbone, plus l’opportunité pour l'Europe de s’emparer du leadership mondial dans ces domaines sera grande. Il lui faut maintenant se donner les moyens de ses ambitions, moyens qui ont été identifiés dans leurs grandes lignes dans les rapports de Draghi et Letta.

La géopolitique intra-européenne pourrait également bénéficier d’un redémarrage. Même si la France et l'Allemagne restent trop entravées par leurs difficultés économiques pour assumer un leadership actif, la paralysie n'est pas une fatalité. Ce rôle pourrait être repris par un groupe d'économies plus petites et plus dynamiques, comme l'a récemment soutenu Martin Sandbu du Financial Times, sans en exclure les très dynamiques économies du Sud. Enfin, avec l'élection de Donald Trump il est difficile d'ignorer plus longtemps les points communs que partagent l'UE et le Royaume-Uni en matière de défis à relever, de modèles sociaux et de vision du monde. Personne ne veut rouvrir les cicatrices du Brexit, mais en matière de sécurité, d'intelligence artificielle et de transition énergétique, les deux parties gagneraient à unir leurs efforts, au moins en partie. Or, la probabilité qu’elles y parviennent n’a jamais été aussi élevée depuis 2016.

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