Alors que la croissance trimestrielle et l’inflation sont attendues en hausse au second trimestre, la Banque du Japon avance prudemment après avoir décidé, en mars, de la fin des taux d’intérêt négatifs. Ainsi, un nouveau plan relatif au rythme d’achat d’obligations sera présenté en juillet, tandis que nous anticipons une seule hausse de taux supplémentaire cette année, probablement en septembre. Par ailleurs, la devise nationale continue de se détériorer, ce qui a amené les autorités à intervenir sur le marché des changes et nourrit les craintes d’inflation importée.
Conformément à nos attentes, l’activité japonaise est repartie à la baisse au premier trimestre 2024, le PIB se contractant de -0,5% t/t.
Des évènements ponctuels ont contribué à ce recul, à savoir le séisme du jour de l’an sur la péninsule de Noto et les perturbations sur la production automobile, ces dernières ayant conduit à un affaissement de 5,2% t/t de l’indice de production industrielle, dont 17,1% pour la composante des véhicules à moteur. Néanmoins, au-delà de ces éléments, l’économie nippone continue de se caractériser par une atonie prolongée depuis le T2 2023.
Un rebond technique devrait permettre une avancée notable au deuxième trimestre (+0,7% t/t), avant que la croissance ne décélère à nouveau, pour aboutir à une moyenne annuelle de seulement +0,3% en 2024 (-1,6pp par rapport à 2023).
Étape par étape
Les dernières données d’inflation rapportent un repli assez net de l’inflation sous-jacente (indice excluant la nourriture non-transformée) de +2,6% à +2,2% a/a au mois d’avril. Ce résultat devrait toutefois être suivi d’une réaccélération dans les prochains mois, due aux mesures gouvernementales relatives aux tarifs énergétiques et au cercle, dit « vertueux », entre les salaires et l’inflation (au fur et à mesure de la diffusion des augmentations salariales record depuis les années 1990 annoncées en début d’année dans le cadre du Shunto). Ainsi, nous prévoyons une inflation sous-jacente à +2,8% a/a au T4 2024 et un retour à +2,0% lors du second semestre 2025.
Consécutivement à la décision de mettre un terme à la politique de taux d’intérêt négatif lors de sa réunion du mois de mars, la Banque du Japon a maintenu sa cible pour leuncollateralized overnight call rate dans la fourchette +0,0% - +0,1% lors des deux réunions qui ont suivi. Notre scénario central demeure celui d’un relèvement très graduel, avec un prochain mouvement (+0,15pp) en septembre, qui serait le dernier de l’année. Par ailleurs, la banque centrale a fait savoir qu’elle dévoilerait, lors de sa réunion de juillet, un plan détaillé pour une réduction de son rythme d’achat d’obligations à 1 ou 2 an(s). Cette étape doit rapprocher la politique monétaire japonaise de la normalisation, entendue comme l’usage de la cible de taux d’intérêt (non-négatif) comme outil principal d’ajustement.
La situation est ambivalente à plusieurs égards pour la BoJ. Celle-ci doit composer avec une inflation durablement située au-dessus de la cible de 2%, appelant potentiellement à agir à la hausse sur les taux, et des anticipations d’inflation, mesurées par le taux breakeven à 10 ans, en augmentation (1,53% au 14 juin) mais toujours en deçà de la cible. D’autre part, le rythme d’inflation pèse sur la demande en l’absence de rattrapage des revenus réels, mais accélérer le resserrement pourrait encore la pénaliser.
Peur sur le yen
Le yen a connu un nouvel épisode de dépréciation marquée au premier semestre 2024. Au 14 juin 2024, 1 dollar américain équivalait à 157,33 JPY, contre 141,13 le 1er janvier : la monnaie japonaise évolue ainsi à ses niveaux les plus faibles depuis 34 ans face au billet vert. De même, les données les plus récentes, publiées par la Banque des règlements internationaux, rapportent un recul du taux de change effectif réel japonais, de -4,6% YTD en avril 2024. Pour une partie non-négligeable, les variations récentes sont le fait de facteurs externes. Notamment, les développements états-uniens en matière d’inflation ont conduit les marchés à surseoir à leurs anticipations de baisses des taux de la Fed ; or, le différentiel de taux d’intérêt constitue un facteur explicatif de premier ordre de la valeur relative des monnaies.
L’affaiblissement du yen peut être favorable à l’économie du Japon. Aussi, en 2023, elle a permis une profitabilité record pour les entreprises nationales (moyenne trimestrielle de 26,1 trillions de yen), tandis que les exportations ont constitué le premier moteur de croissance. À l’inverse, la détérioration de la devise nourrit les craintes d’inflation importée, au moins de façon transitoire, l’approvisionnement énergétique japonais étant dépendant de l’extérieur et libellé en dollar américain. Il s’agit, dès lors, d’évaluer la capacité d’une hausse de l’inflation énergétique à entraîner dans son sillage l’inflation sous-jacente, par effets de second tour.
Le Japon dispose, au regard de l’importance de ses réserves de change (1,3 trillion de dollars américains au 5 avril 2024, deuxième rang mondial), de la possibilité d’intervenir sur les marchés pour protéger sa monnaie. Les données du ministère des Finances suggèrent d’ailleurs des interventions, à hauteur de 62 milliards de dollars américains, les 29 avril et 2 mai face au décrochage du yen. La portée de ce type d’actions est toutefois incertaine, pour ne pas dire limitée, les mouvements de changes étant fondamentalement fonction des dynamiques relatives en matière d’attractivité des devises (liées par exemple au différentiel de taux d’intérêt, de taux de croissance ou à des facteurs géopolitiques). Notre scénario central suggère un rétablissement relatif du yen, qui s’apprécierait à 1 USD = 148 JPY à horizon du T4 2025, mais serait globalement stable face à l’euro. Par ailleurs, à terme, la normalisation des politiques monétaires doit, théoriquement, soutenir la devise japonaise du fait de la réduction associée du différentiel de taux d’intérêt entre des politiques récemment desserrées (États-Unis, zone euro) et le point de départ ultra-accommodant de la BoJ.
Achevé de rédiger le 14 juin 2024