En Chine, l’activité du secteur manufacturier reste dynamique, notamment portée par la croissance vigoureuse des exportations de biens à forte valeur ajoutée. Cependant, les gains de parts de marché des entreprises chinoises, aidées par les subventions publiques, ont aggravé les tensions avec la plupart de ses partenaires commerciaux. La multiplication des mesures protectionnistes pèse dorénavant sur les perspectives d’exportation. Dans le même temps, la demande intérieure reste plombée par la crise sans fin du secteur immobilier et les mesures d’assouplissement monétaire ne parviennent pas à relancer l’activité de crédit. Les autorités devraient donc encore assouplir, de manière prudente, leur politique économique au cours des prochains mois.
Les différentes composantes de la croissance économique chinoise ont affiché des trajectoires variées depuis le début de l’année 2024. La performance d’ensemble est plutôt terne. Après un rebond à +1,6% en rythme trimestriel au T1 2024, la croissance devrait ralentir au T2.
Au cours des derniers mois, l’activité économique a été largement portée par le dynamisme du secteur manufacturier exportateur, lui-même soutenu par la politique industrielle très ambitieuse des autorités.
Bien qu’elle ait légèrement ralenti en mai, la croissance de la production industrielle a atteint +6,2% en glissement annuel (g.a.) sur les cinq premiers mois de 2024 (contre +5,2% au S2 2023).
Ce taux de croissance est proche de ceux enregistrés pendant les années pré-Covid. L’investissement dans le secteur manufacturier s’est quant à lui accru à un rythme soutenu depuis le début de l’année (+9,6% en g.a. contre +6,5% en 2023).
La croissance industrielle a été largement tirée par la production de biens destinés à l’exportation dans les secteurs de haute technologie et de technologie verte. La production de puces électroniques et celle de véhicules électriques (VE) ont par exemple bondi de plus de +30% en g.a. en janvier-mai. Les exportations mesurées en dollars courants ont enregistré une hausse modeste sur les quatre premiers mois de 2024 (+2% en g.a.) puis ont rebondi de +7,6% en g.a. en mai. Surtout, les volumes d’exportations de marchandises ont atteint des niveaux records (+10% en g.a. au T1 2024), les entreprises chinoises gagnant des parts de marché grâce à la baisse de leurs prix de vente. Ces stratégies ont aggravé les tensions entre la Chine et la plupart de ses partenaires commerciaux.
Par conséquent, si les perspectives d’exportation semblent rester bonnes à très court terme, elles pourraient rapidement s’assombrir avec la montée du protectionnisme. Des hausses de droits de douane sont en effet mises en œuvre ou envisagées par l’Union européenne (qui imposera à partir de juillet 2024 des tarifs sur les importations de VE chinois, allant de 17,4% à 38,1% selon le constructeur), les États-Unis (qui ont récemment augmenté leurs droits de douane sur une série de biens chinois tels que VE, semiconducteurs et équipements médicaux – le candidat à l’élection présidentielle Donald Trump menace même d’appliquer une hausse importante des tarifs américains sur l’ensemble des marchandises chinoises), ainsi que plusieurs pays émergents (la Turquie vient par exemple d’annoncer des tarifs supplémentaires sur les importations de véhicules chinois).
Dans les services, l’activité s’est renforcée en mai et s’est accrue de +5% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024 (à comparer à la croissance moyenne de +7,6% pendant les trois années précédant la pandémie). Les secteurs de services ont bénéficié au mois de mai du léger regain des ventes au détail, dont la progression est néanmoins restée modeste (+3,7% en g.a. en valeur). L’inflation est toujours très faible : l’indice des prix à la consommation a augmenté de +0,3% en g.a en avril et en mai, après un trimestre d’inflation nulle au T1 2024.
Cependant, le principal frein à la croissance de la demande intérieure reste puissant, puisque la crise immobilière ne montre pas de signe d’amélioration. Les volumes de ventes de logements continuent de se contracter (-24% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024), de même que les démarrages de chantiers (-25% sur les cinq premiers mois de 2024). L’investissement dans le secteur immobilier a poursuivi sa chute (environ -10% en g.a. sur les cinq premiers mois de 2024). En outre, la baisse des prix immobiliers s’est aggravée (-7,5% en g.a. en moyenne en mai pour les logements anciens dans les 70 principales villes, contre -4,1% en g.a. en décembre 2023).
Le train de nouvelles mesures de soutien annoncé en mai par les autorités (avec un nouvel assouplissement des conditions de prêts hypothécaires et un programme d’achat de logements invendus par les collectivités locales) n’a pas encore pu avoir d’effets positifs sur l’activité du secteur immobilier.
De même, en dépit des mesures d’assouplissement monétaire, la croissance des crédits à l’économie a ralenti depuis le début de l’année. L’encours total des financements domestiques (« Total Aggregate Financing », TAF) a augmenté de 8,4% en g.a. en mai 2024, contre +9,8% en décembre 2023, et l’encours des prêts bancaires en monnaie locale (qui représentent 64% du TAF) a augmenté de +8,9% en g.a. en mai, contre +10,9% en décembre. En revanche, les émissions obligataires par le gouvernement et les collectivités locales ont continué d’augmenter à un rythme soutenu depuis le T4 2023, afin d’accompagner la hausse des dépenses publiques.
Étant donné la persistance de la crise immobilière, le manque de vigueur de l’activité dans les services et l’émergence de nouveaux risques pesant sur les perspectives d’exportation, les autorités devraient encore assouplir leurs politiques monétaire et budgétaire dans les prochains mois. Elles garderont une attitude prudente. Leur marge de manœuvre pour stimuler le crédit est toujours très contrainte par le niveau excessif de l’endettement des entreprises et des collectivités locales, et le gouverneur de la banque centrale a d’ailleurs récemment précisé que le soutien à l’activité devait davantage passer par une meilleure allocation des crédits plutôt que par une hausse plus rapide de leur encours total.
En outre, l’action de la banque centrale est actuellement gênée par les sorties de capitaux et les pressions à la baisse sur le yuan. Celles-ci devraient se réduire une fois le cycle de baisse des taux entamé par la Réserve Fédérale américaine, soit au dernier trimestre de cette année, selon nos prévisions.
Achevé de rédiger le 25 juin 2024