Le durcissement tarifaire américain place le Brésil face à de nombreux défis : choc sur la croissance et les matières premières, défense de ses parts de marché à l’export et pression concurrentielle accrue dans certains secteurs. Mais cette nouvelle donne lui offre aussi des leviers de repositionnement lui permettant de tirer parti de la reconfiguration des flux commerciaux et des chaînes de valeurs mondiales. Cette nouvelle géographie pourrait aussi agir comme un catalyseur pour accélérer son intégration commerciale (Mercosur, UE, Canada, Mexique). À court terme, les défis les plus pressants seront toutefois domestiques. Malgré le maintien d’une politique monétaire très restrictive, les signes de modération de l’économie brésilienne tardent à venir. De plus, les autorités peinent toujours à combler le déficit de crédibilité du nouveau cadre budgétaire.
Croissance résiliente, inflation résistante Le tableau macroéconomique brésilien constitue un casse-tête pour les autorités monétaires. Malgré un environnement sous fortes contraintes, l’activité économique résiste bien et l’inflation tarde à se replier vers sa cible (+3%). Bien que, pour la première fois en quatre mois, l’inflation ait légèrement reflué en mai – portée notamment par une détente des prix alimentaires – elle demeure alimentée par la demande. Le marché du travail reste sous tension, le crédit peine à décélérer – notamment du fait de la progression de lignes de crédit subventionnées – et l’économie continue de ressentir les effets de la forte progression des salaires réels (+4,8% g,a. en 2024). Ces facteurs participent à soutenir les dépenses de consommation – principal levier d’activité au T1 – avec une contribution de moitié à l’expansion de 1,4% du PIB (t/t).
Prévisions économiques du Brésil
À court terme, même si certains éléments devraient freiner l’inflation (modération de l’activité industrielle très contrainte par l’environnement de taux, ralentissement mondial, détente de l’inflation importée sur fond d’appréciation du réal), les tensions inflationnistes pourraient perdurer sous l’effet combiné de facteurs de demande et d’offre.
Certaines mesures annoncées par le gouvernement devraient, en effet, soutenir le revenu disponible des ménages : versement de precatorios (règlement de créances d’État dues à des particuliers), assouplissement des règles de déblocage des dépôts du fonds de garantie (FGTS), élargissement du programme de logement social Minha Casa Minha Vida, aide financière pour l’achat de gaz ménager et progression du nouveau programme de crédits aux travailleurs (Credito do Trabalhador ) lancé en mars. Du côté de l’offre, des niveaux de précipitations inférieurs à la normale et une escalade des tensions au Moyen-Orient pourraient renchérir les prix de l’électricité et du pétrole.
Les autorités monétaires et budgétaires sur la corde raide La vigueur de l’activité économique et plus encore la résilience de l’investissement (+3,1% t/t au T1) étonnent au regard de la dégradation généralisée des enquêtes de confiance (cf . graphique 1) et de la politique monétaire très restrictive menée par la Banque centrale (BCB). Le taux directeur SELIC – désormais à 15% – a été relevé de 450 points de base depuis août 2024, atteignant en valeur nominale et réelle des niveaux inédits depuis près de 20 ans.
Brésil : indices de confiance
La BCB demeure préoccupée par le désancrage persistant des anticipations d’inflation, largement attribué au déficit de crédibilité du nouveau cadre budgétaire (2023). Celui-ci peine à être comblé (i) faute de réformes touchant la rigidité des dépenses obligatoires et (ii) du fait de l’enchaînement de contraintes auxquelles le gouvernement est confronté (hausse des taux, ralentissement économique, blocages politiques pour accroître les recettes [1] ). L’effort budgétaire consenti par le gouvernement central – avec un déficit primaire (hors intérêts) réduit de 2,4% du PIB en janvier 2024 à 0,1% début mai 2025 – a ainsi été en partie neutralisé sur la période par une hausse d’un point de PIB des charges d’intérêts (6,9% du PIB sur 12 mois glissants en mai).
Pour atteindre sa cible de déficit primaire nul en 2025, le gouvernement pourrait être contraint de procéder à un nouveau gel budgétaire (après juillet et novembre 2024 et mai 2025). Pour stabiliser le ratio d’endettement public, les autorités auraient besoin de dégager un excédent primaire d’au moins 2,4% du PIB, en supposant une croissance réelle du PIB de 2% et un taux d’intérêt réel implicite proche de 6,5%. En 2025, la dette publique dépassera le seuil de 80% du PIB.
Un tournant tarifaire …. Le Brésil n’est pas dans le viseur du programme protectionniste de l’administration Trump malgré (a) le déséquilibre structurel qui existe entre les taux de droits de douane effectifs appliqués par les deux pays sur leurs marchandises respectives (5,8% sur les produits américains contre 1,3% sur les produits brésiliens[2] ) et (b) la proportion des importations soumises à des barrières non tarifaires au Brésil (86%) vs aux États-Unis (77%).
C’est finalement l'excédent commercial bilatéral des États-Unis (environ USD 7 mds en 2024 selon Comtrade[3] ) depuis 2009 qui a justifié l'inclusion du Brésil dans la liste des pays soumis au taux plancher de droits de douane « réciproques » de 10% dès le 2 avril. À ce taux s’ajoutent des droits spécifiques sur l’acier et l’aluminium, taxés depuis début juin à 50%. Le taux effectif moyen (pondéré) des droits appliqués par les États-Unis sur les importations de produits brésiliens est désormais proche de 9% contre environ 1,3% précédemment.
À ce stade, aucune mesure de rétorsion n’a été annoncée par Brasilia pour contrer la politique commerciale des États-Unis – actuellement 2e fournisseur du pays (~15% des importations) et 3e débouché à l’exportation après la Chine et l’Union européenne (12% des exportations). Le Congrès brésilien a cependant adopté une loi sur la réciprocité, début avril, permettant au pays de répondre aux barrières commerciales imposées par d'autres pays.
…source de risques…. Cette nouvelle donne tarifaire présente plusieurs risques pour le Brésil. D’abord, ses échanges avec les États-Unis risquent de ralentir. Outre l’effet du ralentissement de l’économie américaine à court terme, le durcissement tarifaire devrait pénaliser la sidérurgie du fait de la forte concentration des exportations d’acier et d’aluminium à destination du marché américain (respectivement 60% et 15% des exportations totales d’acier et d’aluminium brésilien en 2024). Le Brésil est en effet le deuxième fournisseur d’acier des États-Unis après le Canada.
Trois facteurs devraient toutefois atténuer le ralentissement des échanges :
(i) l’exemption des droits de douane sur le pétrole (1er poste d’achat américain représentant 14,3% des exportations totales vers les États-Unis en 2024),
(ii) la plus faible élasticité-prix des produits à forte valeur ajoutée exportés par le Brésil (notamment les machines et équipements ainsi que l’aéronautique)
(iii) un droit de douane appliqué par Washington inférieur à celui imposé à la Chine (les gains de compétitivité relatifs en comparaison aux producteurs asiatiques pourraient aussi s’accroître si les tarifs « réciproques », tels qu’annoncés le 2 avril, étaient introduits en juillet).
L’exposition du Brésil à un afflux de produits étrangers à bas coût (en provenance de Chine ou d’autres grands exportateurs asiatiques) constitue, ensuite, un autre risque même si elle pourrait favoriser, toutes choses égales par ailleurs, un mouvement désinflationniste plutôt salutaire dans le contexte actuel. La réorientation des excédents asiatiques, notamment chinois, vers le marché brésilien pourrait en revanche intensifier la concurrence sur certains segments industriels sensibles, en particulier le textile et l'habillement, l’électroménager et la sidérurgie[4] .
En raison des effets de compensation, de la forte sous-évaluation du real brésilien en termes réels et du poids relativement limité des exportations brésiliennes vers les États-Unis (~2% du PIB contre plus de 25% du PIB dans le cas du Mexique), les pertes d’activité directes liées au choc tarifaire américain devraient rester modérées. Mais il faut compter aussi sur les effets indirects via le ralentissement mondial, dont le tassement des cours des matières premières. L’incertitude globale risque également d’accentuer la volatilité du réal et des flux de capitaux. Enfin, la proximité stratégique entre le Brésil et la Chine pourrait attiser de nouvelles tensions à l’avenir avec Washington.
…et d’opportunités Ce nouvel ordre commercial est également porteur d’opportunités pour le Brésil. Depuis avril, les changements dans les flux commerciaux profitent au pays. La Chine a déjà reporté une partie de ses achats de soja, de viande, de pétrole et, dans une moindre mesure, de maïs des États-Unis vers le Brésil. Ce dernier assure aujourd’hui plus de 70% des importations chinoises de soja pour combler la demande des éleveurs de porcs et de poulets, et la Chine achète plus de 45% du pétrole brésilien.
Le choc tarifaire américain devrait aussi inciter le Brésil et ses partenaires régionaux à renforcer leur intégration au sein du Mercosur et à accélérer la conclusion de l’accord de libre-échange avec l’UE. Lula s’efforce aussi de faire avancer les négociations avec le Mexique et le Canada.
Brésil : un des gagnants de la première guerre commerciale sino-américaine (2018-2020)
Le Brésil pourrait également tirer parti de la reconfiguration des chaînes de valeur mondiales à moyen terme, en bénéficiant de relocalisations d’entreprises cherchant à accéder au marché américain à moindre coût. Le pays dispose d’atouts significatifs : un accès direct à des matières premières stratégiques et un mix énergétique faiblement carboné. Si cette dynamique se confirmait, elle pourrait favoriser des transferts de technologie et soutenir une montée en gamme progressive de l’appareil productif brésilien.
Achevé de rédiger le 23 juin 2025