Eco Perspectives

Royaume-Uni | Les freins à l’activité s’accumulent

18/04/2025
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Moins sanctionné que ses voisins européens, le Royaume-Uni n’aura néanmoins pas échappé au tarif plancher de 10% sur les droits de douane américains. Les répercussions négatives sur l’activité s’ajouteront aux freins domestiques préexistants. Le taux d’épargne des ménages remonte dans un contexte d’inflation élevée. L’accroissement des investissements en défense au Royaume-Uni et ailleurs en Europe aura un effet positif sur le PIB, mais qui sera a prioricompensé à court terme par les conséquences de la guerre commerciale. La remontée des taux longs obligataires, qui s’est accentuée après le 2 avril, complique davantage l’équation budgétaire. La baisse des taux directeurs de la Banque d’Angleterre restera progressive compte tenu du ralentissement modéré de l’inflation que nous continuons d’anticiper en 2025.

Activité économique : les freins sont d’abord domestiques

Croissance et inflation

L’effet direct de la hausse des droits de douane américains sur le Royaume-Uni serait contenu autour de 0,1 point de PIB[1]. L’exposition du Royaume-Uni est surtout indirecte et l’activité pâtira du choc de croissance au sein de l’Union européenne et aux États-Unis, dont l’ampleur reste à ce stade très incertaine. Les dépenses militaires, qui passeraient de 2,3% du PIB en 2024 à 2,5% en 2027, apporteront un surcroît d’activité, qui s’ajoutera aux effets induits du réarmement au sein de l’UE et notamment en Allemagne (où cet effort devrait être prononcé). Ce surplus de croissance pour l’UE (+0,5 p.p de PIB à horizon 2027 – voir page zone euro) soutiendra l’activité outre-Manche et permettrait tout juste de compenser le recul des exportations vers les États-Unis[2]. Les marges d’accélération de l’économie britannique resteront donc limitées en 2025 et 2026. La récession industrielle perdure, les enquêtes PMI indiquant même un plongeon des nouvelles commandes à l’exportation en mars[3]. Par ailleurs, le rétablissement du pouvoir d’achat des ménages (+4,2% en 2024) n’alimente pas la consommation mais le taux d’épargne, qui a atteint un record post-Covid au T4 2024, à 12% du revenu disponible brut. Le coût élevé des dépenses contraintes (énergie, logement) pèse sur la situation financière de certains ménages, alimentant la hausse des arriérés de paiements[4].

Marché du travail : des signes de stabilisation à confirmer, mais des disparités grandissantes

Le marché du travail fait en revanche preuve de résistance. L’emploi salarié a enregistré une légère hausse en janvier-février (+0,1%) et les ouvertures de postes se maintiennent à des niveaux comparables à l’avant-Covid. Le mois d’avril, qui a vu l’entrée en vigueur de plusieurs mesures budgétaires (hausse du taux de cotisations employeurs, augmentation de 6,7% du National Living Wage) marquera-t-il un point d’inflexion ? Les enquêtes sont mal orientées (PMI, KPMG-REC) et les destructions d’emploi dans des secteurs déjà fragilisés et plus exposés au risque de tarifs douaniers (industrie, commerce) pourraient s’amplifier. Si la croissance du PIB attendue en 2025 devrait limiter la dégradation de l’emploi, des divergences sectorielles sont probables.

En cinq ans, le nombre d’employés dans l’industrie britannique a reculé de près de 4%, c’est le secteur qui a connu le plus de destruction d’emplois avec le commerce. Moins de 8% des employés évoluent désormais dans l’industrie. Régions les plus affectées, le Pays de Galles, les Midlands et le Nord ont perdu plus de 5% de leurs emplois industriels par rapport à l’avant Covid. Les créations totales d’emploi sont restées plus dynamiques à Londres (+6% en cinq ans), l’écart entre la capitale et le reste du pays s’est donc creusé. Les efforts des autorités britanniques pour réduire les déséquilibres géographiques (le programme « Levelling-up » lancé en juillet 2021 en est la figure de proue) tarde ainsi à porter ses fruits. Ces déséquilibres constituent un frein structurel à l’activité, exacerbant au passage les tensions sur le marché immobilier dans la capitale. L’Irlande du Nord fait toutefois figure d’exception. Les emplois industriels y ont progressé significativement pendant cette période (+4,5%), la région bénéficiant notamment de son statut particulier post-Brexit (traité nord-irlandais), lui conférant un accès privilégié au marché européen.

Inflation : la cible des 2% hors de portée en 2025-2026

Le renforcement attendu de l’inflation sur l’alimentation, les biens d’équipement et l’énergie maintiendra l’inflation headline au-dessus des 3% en 2025. La désinflation dans les services tarde à se manifester en raison du dynamisme des salaires, que le ralentissement du marché du travail échoue pour le moment à juguler. L’enquête de la Banque d’Angleterre[5] projette une modération des salaires en 2025 comprise entre 3% et 4% a/a, insuffisante pour anticiper un retour de l’inflation vers l’objectif des 2% en 2025. Cette cible restera même hors de portée en 2026 selon nos prévisions. L’inflation reste structurellement élevée en raison de contraintes importantes sur l’offre (faiblesses des gains de productivité et coûts élevés de l’énergie, déséquilibre sur le marché immobilier). Le désancrage des anticipations d’inflation à long terme des ménages, constaté par certaines enquêtes (cf. graphique 2), limitera d’autant plus la dynamique de désinflation.

Politique budgétaire : la très étroite ligne de crête

La remontée des taux long obligataires, dans un contexte de croissance faible, contraindra le gouvernement à plus de consolidation budgétaire pour redresser les finances publiques, avec le risque de peser sur l’activité. La marge budgétaire estimée par l’OBR (GBP9,9 mds) est très faible et la prévision de croissance de l’organisme public pour 2026 (+1,9%) nettement supérieure à notre estimation actuelle (0,8%). Le déficit public, qui s’établissait à 5,6% du PIB sur l’année fiscale 2023, devrait rester proche de 5,5% en 2024. Le solde primaire restant sensiblement plus dégradé que le seuil nécessaire pour stabiliser le ratio de dette sur PIB, ce dernier restera sur une pente ascendante en 2025 et 2026, pour se rapprocher des 105% du PIB[6].

Politique monétaire : poursuite de l’assouplissement

Notre scénario central reste celui d’un assouplissement modéré des taux directeurs de la BoE – au rythme d’une baisse par trimestre – s’étalant jusqu’en 2026. Malgré la persistance d’une inflation élevée, une accélération des baisses de taux en 2025 est un scénario alternatif envisageable compte tenu des risques d’un décrochage de l’activité, et du fait que la politique monétaire reste encore très restrictive. L’autre voie d’assouplissement pour la BoE passerait par un resserrement quantitatif moins drastique. Contrairement à la Réserve fédérale américaine et à la BCE, qui adoptent une approche passive de réduction de leurs bilans, la BoE vend activement une partie des Gilts de son portefeuille APF (Asset Purchase Facility). Face aux chocs éventuels sur le marché obligataire, la BoE pourrait décider de manière préventive de limiter ou d’arrêter ses ventes de titres, dans le but de stabiliser les taux longs.

Position extérieure : des évolutions diamétralement opposées entre biens et services

Royaume-Uni : Anticipations médianes d’inflation à long terme des ménages (5-10 ans)

Le Royaume-Uni est très présent sur les échanges de services. Malgré le Brexit, le pays conserve un vrai dynamisme dans les secteurs technologiques, qui a permis une forte progression des exportations de services de 7,7% en valeur en 2024 (cf. graphique) et d’accroître l’excédent commercial sur ce segment a 6,8% du PIB. À l’inverse, les exportations de biens ont reculé de 7,5% en 2024 et le déficit commercial s’est creusé à 7,9% du PIB. La part des exportations de biens dans le PIB a ainsi plongé à 13,2% au T4 2024, tandis que celle des services a atteint un record à 18,6%. Les ramifications commerciales sont significatives : si les tensions commerciales avec les États-Unis s’étendaient aux services, le Royaume-Uni serait l’un des pays les plus exposés.

Focus | Des risques de refinancement assez limités à court terme

Les besoins de financement du Trésor britannique s’élèveraient, selon nos prévisions, à hauteur de 8,4% du PIB par an en moyenne sur la période 2025-2027 ; il s’agit néanmoins d’un niveau relativement limité, qui s’explique par une maturité moyenne de la dette élevée (supérieure à 13 ans). Cette dernière permet de fortement lisser dans le temps les effets, sur la charge d’intérêts, des refinancements à des taux plus élevés. Par ailleurs, près d’un quart des encours de titres souverains étant indexés sur l’inflation, la baisse de cette dernière a été un facteur important du recul de la charge d’intérêts de l’État en 2024. Celle-ci devrait rester assez stable autour de 3% du PIB en 2025-2026. La remontée importante des taux longs crée un risque haussier non négligeable sur ces prévisions. Néanmoins, le suivi des règles budgétaires permet au gouvernement de conserver une crédibilité indispensable pour contenir la pression à la hausse sur les taux obligataires et limiter les effets collatéraux sur le marché immobilier.

Achevé de rédiger le 17 avril 2025


[1] Résultat basé sur la part des exportations de biens vers les États-Unis rapportée au PIB (2,1% en 2024) et l’hypothèse d’une baisse de 3% des importations liée à la hausse de 10% des tarifs américains (élasticité-prix à l’importation de 0,3).

[2] La part des exportations britanniques vers l’UE rapportée au PIB s’élevant à 6,1% en 2024, une hausse du PIB de l’UE de 0,5p.p. soutiendrait la croissance du Royaume-Uni, à hauteur de 0,2-0,3 point de PIB en estimation haute.

[3] L’indice a baissé de 5,7 points à 39,1 en mars, son plus bas niveau depuis août 2023.

[4] La part des arriérés de paiement sur les crédits à l’habitat est remontée à 1,32% des encours totaux au T4 2024 (source : Financial Conduct Authority). Le montant moyen des arriérés sur les factures de gaz et d’électricité a atteint respectivement GBP1376 et GBP1616 au T4 2024 (source : Ofgem).

[5] Banque d’Angleterre, Decision Maker Panel, mars 2025.

[6] Dettes des administrations centrales et locales (au sens de Maastricht).

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