Au cours des deux prochaines années, la croissance espagnole devrait être plus forte qu’anticipé dans notre dernier numéro d’EcoPerspectives. La poursuite de la désinflation et la bonne performance du marché du travail continueraient de porter la demande intérieure, au détriment du commerce extérieur. Malgré les anticipations d’une hausse des dépenses de défense, la forte croissance nominale continuerait de faciliter le rééquilibrage des finances publiques. Cependant, les vulnérabilités structurelles de l’Espagne menacent la poursuite de sa surperformance sur un horizon plus lointain.
Activité économique : des prévisions toujours positives
Croissance et inflationAprès avoir rebondi en 2024 (+3,2%), la croissance espagnole diminuera très légèrement au cours des deux prochaines années. Elle restera néanmoins toujours largement supérieure à la moyenne de la zone euro (+2,6% et +2,1% en 2025 et 2026, contre 1,0% et 1,3%).
La consommation privée devrait continuer de soutenir l’activité économique. La robustesse du marché du travail, la croissance des salaires et le ralentissement de l’inflation tireront à la hausse le pouvoir d’achat des ménages. Le déboursement des fonds du plan de relance de l’Union européenne (NGEU) et l’assouplissement de la politique monétaire menée par la BCE bénéficieront à l’investissement, qui devrait rebondir. Toutefois, le commerce extérieur ne devrait plus contribuer positivement à la croissance, car la progression de la demande intérieure soutiendra davantage les importations que ce n’était le cas au cours des dernières années.
Enfin, la hausse des droits de douane américains, annoncée par Donald Trump, soulève de fortes incertitudes concernant les prévisions de croissance au sein de la zone euro, et ce dès 2025. Bien que les conséquences pour l’Espagne devraient être limitées – en raison de sa forte dépendance au secteur des services et de sa faible exposition aux États-Unis (la part des exportations totales de biens espagnols à destination des États-Unis ne s’élevant qu’à 1,2% du PIB en 2023) – le pays devrait souffrir du ralentissement de la croissance de ses principaux partenaires commerciaux européens (Allemagne, France et Italie), davantage affectés. Selon nos prévisions, ce n’est qu’à partir de 2026 que l’effet positif sur la croissance de la réorientation de la politique budgétaire en Europe, via une hausse attendue des dépenses de défense, dominerait, ce qui devrait in fine jouer positivement sur la croissance espagnole.
Marché du travail : dopé par l’immigration
Le dynamisme du marché du travail ne faiblit pas : le nombre de chômeurs a de nouveau diminué en février (-0,4% m/m[1]), tandis que celui des personnes en emploi continue d’augmenter (+0,3% m/m). La part de travailleurs étrangers dans la main d’œuvre ne cesse de progresser (15,2% au T4 2024 ; +0,6 pp sur un an). La croissance de l’emploi devrait se poursuivre, principalement portée par ces flux migratoires. Ces perspectives positives, associées à la croissance toujours importante des salaires (salaires négociés en hausse de 3% a/a en février, et revalorisation du salaire minimum à EUR 1184 brut en 14 versements [+4,4%]), ainsi qu’à la désinflation, continueront de soutenir la consommation privée. Toutefois, les gains de revenus réels se modéreront au fil du temps, la croissance des salaires négociés ayant déjà commencé à ralentir.
Inflation : tirée par la hausse des prix de l’électricité
Après s’être maintenue à un niveau élevé en février (+2,9% a/a), en raison de la suppression du taux réduit de TVA sur les denrées alimentaires de base et de la hausse des prix de l’électricité (elle-même liée à la suppression des réductions d’impôts en ce début d’année), l’inflation harmonisée a nettement ralenti en mars (+2,2% selon l’estimation de l’INE). L’inflation devrait rester proche de ce niveau au cours des prochains mois du fait du ralentissement anticipé des prix de l’énergie. De son côté, l’inflation sous-jacente freine (2,0% a/a) et se rapproche de l’objectif de la BCE.
Finances publiques : la croissance nominale en soutien des ratios budgétaires
Malgré la fragmentation politique et la hausse attendue des dépenses de défense, la dynamique des finances publiques devrait demeurer positive tant que la croissance nominale restera élevée. Cela permettrait au ratio de dette publique sur PIB de continuer de diminuer (cf. graphique 2). En 2024, il s’était déjà réduit davantage qu’initialement anticipé (101,8% contre 102,5% estimé par la Banque d’Espagne). Il est ainsi possible qu’il se rapproche de la barre des 100%, voire qu’il la franchisse d’ici 2026 (100,6% en 2025 et 99,6% en 2026 selon nos prévisions), nonobstant l’augmentation des dépenses de défense (voir notre focus).
Commerce extérieur : l’excédent des services atteint un record historique
Les comptes extérieurs espagnols restent solides. Au T4 2024, le compte courant a atteint son meilleur niveau depuis 2018 (excédent de EUR 92,7 mds en cumulé sur douze mois). Celui-ci reste soutenu par l’excédent des services qui atteint un niveau historique (EUR 266 mds), porté par les records touristiques de 2024 (93,8 millions d’arrivées de visiteurs, +10,1% a/a).
Défis structurels : entre productivité faible et crise du logement
Espagne : Solde budgétaire et dette publique Les faibles niveaux de productivité observés en Espagne menacent la poursuite de sa surperformance à moyen terme. Durant la dernière décennie, l’évolution de la productivité (mesurée par le ratio de PIB par heures travaillées) montre que le pays se situe toujours derrière la moyenne de la zone euro. Entre 1995 et 2022, la productivité a augmenté de 18,7% en Espagne, contre +29,1% en moyenne dans la zone euro. Cette faiblesse s’explique par le fait qu’une plus large proportion de l’économie repose sur des secteurs à plus faible productivité, comme les services touristiques. Néanmoins, lorsque les dynamiques conjoncturelles positives se seront dissipées, ce manque de productivité pourrait agir comme un frein à la croissance du pays.
L’activité immobilière a rebondi en 2024. Sur un an, la demande de logements a redémarré : les transactions ont enregistré leurs meilleurs chiffres depuis 2008 (avec un total de 642 208 logements vendues [+10% a/a]). Cependant, l’offre de logements ne suit toujours pas, poussant les prix à la hausse (+7,7% a/a en février). Les régions les plus touchées par ces pénuries sont celles ayant une activité économique et touristique plus importante, telles que la Catalogne, la région de Madrid, ou encore l’Andalousie. Par ailleurs, selon la Banque d’Espagne[2], le déficit de logements pourrait grimper à 600 000 unités cette année.
Focus | La hausse des investissements en défense ne devrait pas menacer les finances publiques espagnoles
La trajectoire des finances publiques de l’Espagne est assez favorable. La forte croissance nominale a permis aux ratios de dette publique et de déficit budgétaire sur PIB de diminuer. Ce dernier s’est d’ailleurs davantage réduit qu’anticipé en 2024 (-2,8%), tout comme le ratio de dette (cf. plus haut).
Le pays bénéficie d’une croissance nominale (6,2% en 2024) supérieure au coût moyen de la dette (2,5% du PIB), ce qui permet de la diminuer. Le gouvernement dispose ainsi d’une marge de manœuvre significative pour augmenter ses dépenses sans que cela détériore le ratio de dette publique.
En 2024, les dépenses de l’Espagne en matière de défense ne représentaient que 1,28% du PIB[3], soit l’un des niveaux les plus faibles parmi les pays de l’OTAN. Le Premier ministre s’est récemment engagé à augmenter les investissements publics dans la défense au seuil de 2% d’ici 2029. Néanmoins, la fragmentation politique pourra lui compliquer la tâche. Sans loi de finance, le gouvernement prévoit toutefois de déployer ces dépenses sans le vote du Parlement, en jouant sur les lignes budgétaires au travers de crédits extraordinaires.
Au cours des deux prochaines années, malgré la fin du soutien au secteur privé qui répondait à la hausse des prix de l’énergie, les dépenses publiques devraient augmenter en raison de la hausse des dépenses de défense. Néanmoins, la progression des recettes pourrait contrebalancer cette évolution. Celles-ci augmenteraient sous l’impulsion d’une hausse des cotisations sociales, induite par l’augmentation du nombre de travailleurs, et de la suppression de la réduction de TVA sur les denrées alimentaires de base. Ainsi, le ratio déficit budgétaire sur PIB devrait se réduire à -2,6% en 2025, puis se maintenir à ce niveau en 2026.
Achevé de rédiger le 17 avril 2025
[1] Donnée corrigée des variations saisonnières.
[2] Note d’avril 2024 : The Spanish housing market, Banque d’Espagne.
[3] Selon les estimations de l’OTAN.