L’inflation américaine semble avoir repris le chemin de la baisse au deuxième trimestre 2024, après un premier trimestre de réaccélération des prix qui a conduit la Réserve fédérale (Fed) à revoir, en juin, ses anticipations de baisses de taux pour l’année (passées de trois à une, en ligne avec nos propres prévisions). En parallèle, l’activité économique reste solide bien qu’ayant quelque peu perdu en vigueur.
L’économie américaine a, de façon générale, surpris plutôt négativement en début d’année 2024. Ceci s’est notamment matérialisé par la baisse assez nette du taux de croissance du PIB qui s’établit à +0,3% t/t au T1 (contre des attentes à +0,6%), après avoir atteint +0,8% au T4 2023. Ce chiffre peut, toutefois, être relativisé par les contributions négatives des variations de stocks (-0,1pp) et, sur fond de hausse des importations, du commerce extérieur (-0,2pp). Par ailleurs, la mesure sous-jacente de la demande intérieure (correspondant à la somme de la consommation et de l’investissement fixe privé), qui a constitué le moteur du dynamisme surprenant de 2023, enregistre une hausse de +0,7% dans la lignée de ses standards récents. Une autre évolution négative à relever est le repli de -0,6% t/t des profits des entreprises, résultant des sociétés non-financières (-4,7%), après trois trimestres de progrès.
Plus que l’activité, c’est l’inflation qui a été source d’inquiétude, avec une série de chiffres, plus élevés qu’attendu au T1, qui ont mis un coup d’arrêt à la trajectoire de désinflation. Cependant, les premiers chiffres disponibles pour le T2 ont esquissé un retour à la normale, avec deux décélérations mensuelles de rang sur l’IPC et sur sa partie sous-jacente, les portant respectivement à +3,3% (-0,2pp en deux mois) et +3,6% a/a (-0,4pp). Par ailleurs, nous estimons que l’inflation va poursuivre sa trajectoire descendante pour atteindre +2,8% a/a au T4 2024, avant de tendre davantage vers la cible de 2% en 2025. Quant à la croissance du PIB, nous anticipons un rebond à +0,8% t/t au T2, toujours soutenu par la consommation des ménages et de l’investissement productif.
Un atterrissage en douceur pour le marché du travail ?
La croissance de l’emploi salarié non agricole a réaccéléré en tendance générale lors des premiers mois de 2024. Ainsi, en mai, elle s’est élevée à +255 k en moyenne mobile sur 6 mois, contre +213 k en fin d’année 2023. Ces chiffres indiquent un niveau robuste mais éloigné des standards de 2021 (+604 k de moyenne annuelle) et 2022 (+377 k), qui correspondaient à une situation exceptionnelle de forte tension dans la phase de rebond post-Covid. Ces évolutions s’apparentent, pour l’heure, davantage à un rééquilibrage qu’à une véritable détérioration du marché du travail de nature à provoquer un mouvement anticipé de la Fed sur les taux d’intérêt. Certes, le taux de chômage remonte et s’approche du signal récessif, mais son faible niveau de départ (3,4% en avril 2023) et actuel (4,0%, en deçà de l’estimation du niveau neutre de 4,4% du Congressional Budget Office) relativisent cette remontée.
En revanche, les signes de rééquilibrage se font plus importants sur les données JOLTS, relatives aux emplois vacants et au turnover de la main d’œuvre. De fait, le nombre de postes vacants, dont la tendance est clairement à la baisse depuis plusieurs trimestres, a atteint, à 8,05 millions en avril 2024, un plus bas depuis février 2021. Par conséquent, le rapport entre les emplois vacants et les personnes sans emploi (dit « ratio v/u »), qui constitue une mesure-clé d’appréciation des tensions sur le marché du travail pour la Fed, s’est établi à 1,24 le même mois. Ce chiffre, qui constitue, quant à lui, un plus bas depuis juin 2021 et correspond aux standards prépandémiques de l’économie américaine, permet de mesurer l’ampleur du rétablissement depuis le record de 2,03 atteint en mars 2022, à l’orée du resserrement monétaire.
Une baisse de taux pour clore l’année 2024
La réunion de politique monétaire du FOMC des 11-12 juin a donné lieu, au-delà de la décision unanime et attendue du maintien de la cible de taux d’intérêt (dans une fourchette de +5,25% à +5,5% comme lors des 6 meetings précédents), à la publication du résumé des projections économiques médianes des membres du comité. Celui-ci indique désormais une seule baisse de taux (-25 pb) en 2024, contre trois précédemment, bien que les policymakers soient partagés (8 membres tablent sur une baisse, 7 sur deux, et 4 sur un statu quo). Ceci est en ligne avec nos prévisions, puisque nous anticipons également une baisse de taux unique cette année, qui interviendrait au mois de décembre. La probabilité d’une baisse de taux avant la dernière réunion de l’année est, à notre sens, limitée au regard de la proximité temporelle de l’élection présidentielle (malgré les dénégations des officiels concernant ce facteur) et parce que les progrès de la désinflation ou la détérioration du marché de l’emploi ne sont pas tels qu’un assouplissement s’imposerait à la Fed.
Par ailleurs, au-delà des développements mensuels ou trimestriels, la Réserve fédérale est contrainte par la nécessité de préserver la crédibilité de ses engagements monétaires. Cela l’empêche de déclarer « mission accomplie » ou d’assouplir sa politique en termes réels sans forte certitude quant au retour de l’inflation vers sa cible. Une telle démarche entrerait en contradiction avec son mandat et pourrait, in fine, induire davantage de resserrement si cela devait menacer durablement l’ancrage des anticipations d’inflation (bien que celles-ci soient également influencées par d’autres facteurs, tels que le prix du Brent). À ce titre, il faut souligner que, si les anticipations d’inflation des ménages à court terme, mesurées par le Conference Board, sont mal orientées (5,4%), il n’y a pas eu de dérapage durable sur les mesures de long terme des anticipations de marché. Ainsi, le taux d’inflation breakeven à 10 ans et les swaps d’inflation à 5 ans dans 5 ans se maintiennent entre +2,0% et +2,5%.
Achevé de rédiger le 13 juin 2024