La Réserve fédérale américaine a, depuis juin 2022, très largement réduit sa détention de titres de dette du Trésor américain dans le cadre de son programme de resserrement quantitatif, ou QT, après l’avoir massivement élargie, entre mars 2020 et mai 2022, à l’occasion de son programme d’assouplissement quantitatif, ou QE. Le graphique que nous commentons ici montre quels secteurs institutionnels se sont substitués à la Fed pour absorber le papier émis par le Trésor.
Les histogrammes illustrent l’évolution du poids relatif de chacun des créanciers du Trésor américain pendant la phase du QE puis pendant la phase du QT. Puisque l’encours de dette négociable a augmenté tout au long de la période, le recul du poids relatif de l’un de ces secteurs ne traduit pas nécessairement des ventes nettes. En réalité, depuis le début du QT, l’ensemble des secteurs institutionnels ont acheté des titres, à l’exception de la Fed, mais certains secteurs en ont acheté moins que d’autres de sorte que leur part relative a reculé.
D’après les comptes financiers, ce sont principalement les ménages et les fonds monétaires qui se sont substitués à la Fed depuis le début du QT. Le poids des autres secteurs a peu varié, à l’exception de celui des investisseurs étrangers qui a reculé sur toute la période.
D’après les données de la balance des paiements, ce repli est exclusivement le fait du secteur officiel étranger. Soucieux de diversifier leurs réserves de change, les banques centrales, États et fonds souverains étrangers se sont partiellement détournés de la dette fédérale américaine tandis que les investisseurs privés étrangers, comme les assureurs, fonds de pension et fonds à effet de levier ont accru leur exposition.
Des données complémentaires sur les positions des fonds à effet de levier sur les marchés fermes et dérivés des titres du Trésor permettent d’affiner cette ventilation. La très grande majorité des hedge funds sont domiciliés à l’étranger, principalement dans les îles Cayman, au Luxembourg, en Irlande ou dans les Iles Vierges et, selon nos estimations, depuis le début du QT, le poids de ces hedge funds parmi les créanciers du Trésor a sensiblement progressé contrairement aux autres investisseurs privés étrangers.
A la fin de l’année 2024, la Fed, comme les investisseurs officiels étrangers, détenaient un peu moins de 15% de la dette fédérale américaine, devancés par les investisseurs privés étrangers qui en détenaient 18%. Les hedge funds résidents et étrangers en détenaient à eux seuls 7%.
Les turbulences provoquées par l’annonce des droits de douane américains le 2 avril dernier n’ont pas épargné le marché des titres du Trésor américains. Si le statut de valeur refuge de la dette fédérale américaine a été confortée aux premiers jours du choc, sa plus grande sensibilité aux épisodes de tensions nous a été rappelée les jours suivants. Les investisseurs privés ont un modèle d’investissement très différent de celui des investisseurs officiels, notamment en matière d’horizon temporel et de profil de risque, et il n’est pas surprenant que leur poids croissant s’accompagne d’une plus grande volatilité des taux d’intérêt. Mais l’imprévisibilité de l’administration américaine et sa remise en cause du multilatéralisme risquent aussi d’abîmer la confiance d’un plus grand nombre d’investisseurs. Dans ce contexte, et compte tenu de l’ampleur de la dette fédérale à financer, la Fed pourrait très prochainement mettre un terme à son QT.