Anis Bensaidani :
L’offensive tarifaire menée par Donald Trump depuis son retour à la Maison-Blanche s’est rapidement transformée en un face-à-face avec la Chine.
Au terme d’un cycle d’annonces et de rétorsions, les tarifs supplémentaires appliqués par les Etats-Unis aux biens en provenance de Chine culminent à 145%, hors exemptions, contre 125% dans le sens inverse.
Le choc est d’une ampleur sans précédent, et les deux hyperpuissances sont engagées dans un jeu à somme négative.
Christine Peltier :
En effet, les échanges commerciaux entre la Chine et les Etats-Unis vont s’effondrer - de près de 80%, selon la première estimation de l'Organisation Mondiale du Commerce.
Pour la Chine, la perte d’activité sera énorme. Et ceci même si son exposition directe au marché américain est assez modeste, puisque ses exportations de marchandises vers les Etats-Unis ne représentent que 2,6% de son PIB.
La perte de PIB pourrait dépasser 2 points dans un horizon assez court. Mais cette première estimation exclut les effets positifs de toutes les stratégies et mesures qui seront mises en œuvre par Pékin pour compenser les effets négatifs des droits de douane. Du côté des prix, la baisse des exportations vers les Etats-Unis va entretenir les pressions déflationnistes déjà présentes en Chine.
Anis Bensaidani :
Du côté américain, le risque de récession a fait son retour face aux chocs d’incertitude et tarifaire.
Déjà, un retour de flamme sur les marchés boursiers et surtout obligataires a provoqué le début de volte-face quant aux annonces du 2 avril, et le recentrage stratégique sur la Chine.
Cela n’empêchera pas le tarif effectif moyen sur les importations d’atterrir à un niveau sensiblement au-dessus de ses standards pré-2025, avec les conséquences associées sur l’inflation puis la demande. Selon nos calculs, au 12 avril, seules 18% des importations échappent à des droits de douane supplémentaires.
De plus, les changements erratiques de politique provoquent des conséquences négatives durables sur l’environnement macro et, en 2025, la croissance américaine se dirige, au mieux, vers un net ralentissement.
Christine Peltier : Pourquoi en est-on arrivés là ? Quels sont les objectifs de l'administration Trump ?
Anis Bensaidani :
Au sens large, la stratégie américaine vise à user de sa position dominante pour reconstituer des relations économiques plus à son avantage et favoriser sa production manufacturière.
Dans les faits, cela pourrait passer par des investissements et/ou des relocalisations de production aux Etats-Unis, des abaissements de tarifs douaniers, ou encore des accords sur les Treasuries.
Dans le cas de l’affrontement avec la Chine, il s’agit d’isoler l’adversaire et de pousser son avantage pour obtenir des concessions majeures.
Les Etats-Unis attendront du rival une réduction de ses déséquilibres commerciaux, des politiques favorables à la consommation, qu’il mette un terme aux pratiques de sous-évaluations de sa devise, ou davantage de coopération sur des thèmes comme la propriété intellectuelle, les opioïdes ou TikTok.
5/ De fait, l’administration Trump appelle de façon répétée la Chine à s’asseoir à la table des négociations
Christine Peltier :
Il est pourtant difficile d’imaginer des négociations tant les tensions sont élevées et les positions divergentes.
Du point de vue de Pékin, la Chine a moins à perdre que les Etats-Unis ; elle s’est préparée au choc et les usines chinoises dépendent moins des produits américains que l’inverse.
Cela étant dit, les 2 camps ont tout intérêt à négocier pour, au moins, revenir en arrière sur les dernières mesures tarifaires. Un deal semblable à l’accord de « Phase 1 » passée en 2020 n’est pas impossible. La Chine s’engagerait à acheter certains biens américains, notamment énergétiques et agricoles.
La Chine a des pions à avancer à la table des négociations, par exemple grâce à sa position largement dominante dans le secteur des matériaux critiques.
Sa position concernant son portefeuille de bons du Trésor américain est plus délicate. Vendre des titres pour faire pression sur Washington est peu probable à court terme. Cela pourrait s’avérer être une stratégie déstabilisante et couteuse. En revanche, un découplage financier avec les Etats-Unis devrait se poursuivre progressivement et accompagner le découplage commercial. La Chine a déjà réduit son portefeuille de bons du Trésor américain de plus d’un tiers depuis 10 ans.
Et face aux risques grandissants, quelles mesures peuvent prendre les policymakers des pays respectifs pour absorber le choc à court terme ?
Aux Etats-Unis, sur le plan budgétaire, l’administration Trump attend du Congrès le vote d’un important package de baisses d’impôts.
Cependant, son effet sur l’économie pourrait se révéler contre-productif. Une détérioration des finances publiques pourrait provoquer un sell-off obligataire et un durcissement des conditions financières.
De plus, le sujet est particulièrement sensible dans un contexte d’interrogations croissantes sur le statut de safe-haven des obligations US, alors que les taux à 10 ans se sont apprécis de 50 points de base de base la semaine du 7 avril.
Quant à un soutien de politique monétaire, il s’agit d’une éventualité irréaliste au regard du mandat dual, sans détérioration matérielle des métriques de l’emploi.
Christine Peltier :
En Chine, les autorités ont affuté leurs armes avant l’arrivée au pouvoir de Trump et devraient rapidement lancer de nouvelles mesures de relance.
Du côté monétaire, des baisses de taux d’intérêt et des coefficients de réserves obligatoires sont attendues. Les principales banques étatiques ont récemment bénéficié d’injections de capital pour renforcer leur capacité à faire face aux chocs et soutenir l’activité.
De même, les finances des collectivités locales ont été renforcées. Elles restent fragiles mais les collectivités devraient pouvoir augmenter leurs dépenses et investissements. Le gouvernement central participera également au plan de relance.
En particulier, face au choc externe, il devient encore plus urgent d’adopter des mesures ambitieuses, des réformes structurelles pour renforcer la consommation des ménages chinois.
Enfin, la Chine va chercher à resserrer ses liens avec ses autres partenaires commerciaux, en particulier en Asie et en Europe. Dans le même temps, elle continuera de réorienter ses exportations vers les pays tiers. Ceux-ci vont donc affronter à la fois la hausse des droits de douane aux Etats-Unis et l’affaiblissement de la demande américaine, le ralentissement économique mondial, et l’augmentation de la concurrence des produits chinois.
Le conflit sino-américain pourrait aussi ouvrir de nouveaux débouchés aux exportateurs de substitution vers ces pays, comme cela a pu être le cas lors de la première version de la guerre commerciale.