Edito

Sur le marché du pétrole, jusqu’où va la convergence d’intérêts entre l’OPEP+ et Trump ?

15/04/2025
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En accélérant la baisse des prix du pétrole, la synchronisation – entre la décision de l’OPEP+ d’accélérer le desserrement des quotas et l’annonce par l’administration Trump du déclenchement d’une guerre tarifaire – pourrait limiter les pressions inflationnistes pour le consommateur américain et faire pression sur les membres indisciplinés du cartel. La convergence d’intérêts entre les poids lourds du marché du pétrole risque cependant d’être de courte durée. En effet, cette politique devrait compliquer l’équation économique pour les producteurs américains. Parallèlement, en pesant sur les finances publiques, elle présente un risque pour la cohésion du cartel.

La synchronisation entre la décision de l’OPEP+, le 3 avril, d’accélérer le desserrement de ses quotas de production de pétrole et l’annonce, le 2 avril, par l’administration Trump du déclenchement d’une guerre tarifaire mondiale n’est pas le fruit du hasard. Dans un marché pétrolier en situation de surcapacités, il n’y avait pas de bon moment pour l’OPEP+ de revenir sur le marché. La synchronisation avec la décision américaine permet au cartel de bénéficier d’un effet d’aspiration et de « booster » l’efficacité de sa décision. Aussi, on peut se demander combien de temps durera la convergence d’intérêts entre les deux poids lourds du marché mondial du pétrole.

Des alliés objectifs à court terme…

Pour l’administration Trump, le repli des prix du pétrole autour de 60 USD/baril procure un bénéfice politique évident à court terme. Cette baisse pourrait, en effet, compenser au moins partiellement les pressions inflationnistes liées au renchérissement des importations pour le consommateur américain. Du côté de l’OPEP+, même si l’accélération du rythme de relâchement des quotas obéit à des objectifs multiples, la pression exercée sur les membres indisciplinés du cartel (Kazakhstan et Iraq principalement) en est l’un des principaux. Le cartel, et en premier lieu l’Arabie saoudite, espère, en pesant sur les prix, contraindre ces deux pays à réduire leur production.

… au risque de rendre rapidement obsolète le « drill, baby, drill »

Cette politique qui vise à peser sur les prix comporte des risques significatifs pour les deux acteurs. Le plus évident concerne le secteur pétrolier américain et se traduit par l’obsolescence du « drill, baby, drill » présidentiel. En effet, les producteurs américains de pétrole de schiste sont doublement impactés par les conséquences de la guerre commerciale. D’une part, les perspectives d’un ralentissement de la demande de pétrole au niveau mondial entrainent une révision à la baisse les prévisions des cours du pétrole pour les deux prochaines années. Ce sont les économies asiatiques (hors Chine) qui dynamisent la demande de pétrole au niveau mondial, or celles-ci pourraient être les plus affectées par la hausse des droits de douanes états-uniens.

ÉVOLUTION DU COURS DU BRENT

Au cours actuel (60-65 USD/baril référence Brent), nous sommes certes loin du seuil de rentabilité des exploitants américain. Selon la Réserve fédérale de Dallas, celui-ci se situe un peu au-dessus de 40 USD/baril (référence WTI inférieure de quelques dollars par rapport au Brent). Néanmoins, la production de pétrole de schiste nécessite un flux continu d’investissements pour maintenir la production (proportionnellement davantage que pour le pétrole conventionnel) et, selon cette même source, le baril doit atteindre en moyenne 65 USD pour rentabiliser un investissement dans de nouvelles capacités de production. D’autre part, même si une grande partie des biens d’équipement de l’industrie pétrolière est produite localement, elle a besoin d’acier, dont les importations sont pour le moment taxées à 25%. Ce double impact – ralentissement de la demande et hausse des coûts d’investissement – pourrait donc porter un coup d’arrêt au développement de la production états-uniennes, au moins à court terme.

Efficacité incertaine de la politique du cartel

Concernant l’OPEP+, la situation est plus complexe. Pour comprendre la sensibilité des producteurs récalcitrants à la baisse des prix du baril, il convient d’examiner les dynamiques budgétaires. Malgré le niveau très élevé du prix du baril équilibrant le budget du Kazakhstan (supérieur à 100 USD/baril selon le FMI), sa vulnérabilité à une baisse des prix est à relativiser. Ce prix d’équilibre élevé est lié à la part assez faible des recettes pétrolières dans les recettes budgétaires totales et à un « taux de rente » (la part de recettes totales d’exportations de pétrole, qui revient effectivement au budget sous forme de redevance, royalties, dividendes, etc.). Par ailleurs, les déficits budgétaires sont contenus (quelques pourcentages de PIB ces dernières années) et facilement financés par des retraits du fonds souverain.

Du côté irakien, la situation est complexe et la visibilité faible. Des dynamiques contradictoires sont à l’œuvre entre la volonté du gouvernement central de maximiser sa principale source de revenu, le retour incertain des exportations de pétrole de la région kurde et la politique de sanctions états-uniennes vis-à-vis de l’Iran, qui pourrait affecter le secteur pétrolier irakien. La sensibilité budgétaire irakienne à la baisse des prix est donc incertaine.

L’OPEP+ pourrait regagner des parts de marché…

On peut penser qu’au-delà du très court terme, les intérêts des États-Unis et de l’OPEP+ divergeront. En effet, toutes choses égales par ailleurs, la poursuite de la mise sur le marché de quantités supplémentaires de pétrole, même limitées, par le cartel, poussera les prix à la baisse. Avant le déclenchement de la guerre tarifaire, le prix du baril était orienté à la baisse, à production OPEP+ stable. Donc, un accroissement du surplus d’offre sur le marché ne ferait, en conséquence, qu’accélérer cette tendance baissière et mettrait en difficulté une partie du secteur pétrolier états-uniens. On en déduit assez logiquement qu’avec l’augmentation de sa part de marché induite, l’OPEP+ sortirait gagnant de cet épisode. Néanmoins, cet argument atteint vite certaines limites, notamment budgétaires.

… mais perdre en cohésion

Une trop forte baisse des prix ferait peser un risque sur la cohésion du cartel. La Russie, qui en est le premier producteur, mais pas le plus discipliné, est de plus en plus vulnérable à une baisse des prix du baril. On estime que le budget russe s’équilibre avec 70 USD/baril et que le gouvernement ne dispose que d’un montant limité d’actifs liquides pour financer son déficit. La volonté de la Russie de sortir de la discipline des quotas pourrait créer une brèche dans la cohésion du cartel. Le deuxième producteur de l’OPEP+, l’Arabie saoudite, a aussi besoin de prix élevés pour financer la réforme de son économie. Même en tenant compte des efforts de rationalisation de certaines dépenses, le prix du baril d’équilibre se situe autour de 90 USD/baril, et au-delà de 100 USD/baril si l’on intègre les dépenses d’investissement du fonds d’investissement public (PIF).

Une voie étroite pour l’OPEP+

Les États-Unis et l’OPEP+ ont un intérêt commun à une baisse des prix à court terme. Au-delà, il semble que seuls les membres de l’OPEP+, en récupérant des parts de marché, puissent sortir gagnants des bouleversements actuels du marché du pétrole. Les producteurs américains, qui sont soumis à un double choc de demande et de coûts, seront mis en difficulté. Cependant, même pour l’OPEP+, la voie est étroite et une grande partie de son succès repose sur la flexibilité dont le cartel fera preuve dans sa politique de desserrement des quotas. Néanmoins, la principale menace qui pèse actuellement sur l’ensemble des producteurs de pétrole, et qui pourrait ne faire que des perdants, demeure le risque d’une récession économique mondiale qui ferait plonger durablement les prix du pétrole.

Des prévisions de prix revues en baisse, mais des forces de rappel existent

Dans ce contexte, une politique de l’OPEP+ mesurée (i.e. le cartel n’inonde pas le marché de son pétrole) et un ralentissement économique limité géographiquement et dans la durée devraient permettre au prix du pétrole d’évoluer dans un intervalle de 65 à 70 USD/baril en 2025, puis 60 à 65 USD/baril en 2026. Dans ce scénario médian, la tendance baissière actuelle est freinée par les forces de rappel que constituent le ralentissement de la production états-unienne (il y a habituellement un délai de 6 à 9 mois entre le signal prix et sa traduction en volume) et les sanctions (directes et secondaires) des États-Unis à l’encontre de certains producteurs.

Un scénario haussier, peu probable à ce stade, serait lié à une escalade des tensions géopolitiques (notamment des États-Unis vis-à-vis de l’Iran) et pousserait temporairement les prix au-delà de 90 USD/baril. Il faut souligner que, jusqu’à maintenant, la prime de risque liée à la forte hausse des tensions au Moyen-Orient, depuis fin 2023, a été contenue. A contrario, une récession économique mondiale, ou une politique incontrôlée d’augmentation de la production de la part des membres de l’OPEP+ (qui disposent d’importantes capacités de production inemployées et rapidement mobilisables) ferait plonger le prix du baril. En éliminant de nombreux producteurs hors OPEP+, dans un tel scenario, 40 USD/baril semble un premier niveau de support.

Les États-Unis et l’OPEP+ ont un intérêt commun à une baisse des prix à court terme. Au-delà, les membres de l’OPEP+, en récupérant des parts de marché, pourraient sortir gagnants des bouleversements actuels du marché du pétrole. Mais une trop forte baisse des prix ferait peser un risque sur la cohésion du cartel.

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