Alors que la croissance française a atteint 1,1% en 2023 et 2024, les incertitudes, notamment de nature politique, devraient la conduire un peu en deçà en 2025 (0,7% selon nos prévisions). La différence s’explique en premier lieu par la faiblesse de l’acquis de croissance après le 4e trimestre 2024 et le 1er trimestre 2025. Toutefois, le pire est probablement derrière nous et la croissance devrait se raffermir à partir du 2e trimestre. En effet, la mise en œuvre du budget 2025 devrait restaurer la confiance et permettre une augmentation de la consommation publique par rapport au T1 (où elle avait été pénalisée par la reconduction du budget 2024). Fondamentalement, nous considérons que la dynamique de transition vers les services, qui s’accompagne de fortes créations d’entreprises, n’est pas altérée. En conséquence, les fondamentaux de la croissance française sont préservés.
Les événements passés laissent des traces
La France dispose d’un vrai budget et il ne s’agit pas d’une simple reconduction de celui de 2024. Ainsi, l’économie devrait sortir d’une période de trois trimestres durant laquelle des effets adverses ont empêché la France d’atteindre ce que l’Insee estime être son rythme tendanciel de croissance (0,2% t/t par trimestre, hors effets exceptionnels).
Au 3e trimestre 2024, hors J.O. point de salut. Selon l’estimation de l’Insee, si les Jeux Olympiques (J.O.) ont apporté près de 0,3 point à la croissance française, les effets d’éviction (réduction de l’activité de travaux publics, activités commerciale et touristique plutôt décevantes hors J.O., etc.) lui auraient retiré près de 0,1 point : 0,2%+0,3%-0,1% = 0,4%.
Au 4e trimestre 2024, l’effet de la censure. Bis repetita du T3, mais pour une autre raison : l’incertitude portée à son paroxysme à l’issue d’une discussion sur le budget qui a conduit à la censure du gouvernement Barnier. Si les effets exceptionnels liés aux J.O. jouent en sens inverse sur le PIB du T4 (effet direct et effet d’éviction), et partant d’une croissance tendancielle toujours à 0,2%, aboutir à une croissance du PIB de -0,1% (selon la première estimation) suggère un coût lié à cette incertitude de l’ordre de 0,1 point : 0,2% - 0,3% + 0,1% - 0,1% = -0,1 %.
Au 1er trimestre 2025, la reconduction du budget 2024 a très probablement pesé sur la croissance. Le choc serait de nouveau de 0,1 point (d’après nos estimations), maintenant une croissance faible de +0,1% t/t selon nos prévisions, de nouveau en deçà de la croissance tendancielle (0,2% - 0,1% = 0,1%). La France a, en effet, débuté l’année sans pouvoir mettre en œuvre une partie de ses politiques publiques. Cela a retardé l’augmentation des crédits dédiés aux domaines régaliens (défense, sécurité, justice) et les décaissements des programmes d’aide (tant qu’aucun budget ne spécifiait formellement le périmètre de la nouvelle enveloppe pour 2025), comme par exemple MaPrimeRenov’.
Bilan : une croissance du PIB qui s’affaiblit en 2025. Notre prévision pour 2025 est de +0,7% en moyenne annuelle. La croissance devrait donc être inférieure à celles de 2023 et 2024, à chaque fois 1,1%, principalement en raison d’un acquis de croissance plus bas (0,4% à la sortie du 1er trimestre en 2025, contre 0,7% un an plus tôt). La différence peut s’expliquer par l’impact du budget 2025, au travers des effets d’acquis négatifs (incertitude, mise en œuvre tardive) pour 0,2 point, et de ses conséquences pour la croissance une fois adopté, pour 0,2 point, en raison de la hausse de la fiscalité et de la baisse des dépenses (effets sur la dépense publique, et donc sur l’investissement et la consommation publique ; sur l’investissement privé, en raison d’une diminution des aides).
Des éléments conjoncturels négatifs mais des éléments structurels plus positifs
À notre sens, la mouture du gouvernement Bayrou paraît plus crédible que celle du gouvernement Barnier, notamment en matière de prévisions de croissance (0,9%, abaissée de 0,2 point par rapport à celle du gouvernement Barnier) et de déficit public (5,4% du PIB, versus 5% pour le gouvernement Barnier). La réduction de ce dernier ne s’appuie plus sur une diminution du déficit de la sécurité sociale, et moins sur la baisse des dépenses des collectivités locales qu’auparavant (EUR 2,2 mds contre 5 mds initialement), laissant au budget de l’État la charge de réaliser l’essentiel des coupes à réaliser dans les dépenses (EUR 8,8 mds). Un effort moins réparti mais plus susceptible d’aboutir, le gouvernement ayant par nature davantage la main sur ses dépenses que sur celles des collectivités locales ou de la sécurité sociale.
Ce sur quoi le budget devrait peser. Pour parvenir à une cible de déficit public plus crédible, des choix en matière de réduction des dépenses ont été fait :
- Réduction du soutien à l’emploi (près de 4 mds de coupes budgétaires), alors même que le momentum sur le marché du travail s’est nettement affaibli (50 000 destructions nettes de postes dans le secteur privé au T4 2024). Nous prévoyons une destruction nette de 100 000 emplois en 2025 (la première hors Covid) et une remontée du chômage autour de 8,5%. Or, la peur du chômage fragilise l’hypothèse d’une baisse du taux d’épargne des ménages.
- Baisse du soutien à l’investissement et à la décarbonation en 2025 : les dépenses au titre de France 2030 et de MaPrimeRénov vont baisser. De plus, la ponction de EUR 1,6 md de cotisations patronales supplémentaires devrait contribuer à la détérioration des marges des entreprises (vers 30% en moyenne en 2025 contre un niveau que nous estimons à 31% au 4e trimestre 2024), élément qui devrait lui aussi conduire les entreprises à revoir à la baisse leurs perspectives d’investissement cette année encore (-1,3%, après déjà -1,6% en 2024).
L’incertitude change de nature mais elle demeure. Au regard de ces éléments, d’autres freins pourraient peser, notamment le contexte international. L’incertitude est élevée car tout dépend des décisions politiques américaines, directement (politique commerciale) et indirectement (impact sur l’inflation américaine et donc sur les taux d’intérêt globaux). Ces hypothèques pourraient peser sur les perspectives d’investissement (en sus des causes déjà abordées).
Structurellement, le socle de croissance est préservé. Pour faire face aux vents contraires et aux incertitudes (passés, présents et futurs), la croissance française dispose d’atouts. Ils procèdent de plusieurs dynamiques et ne lui sont pas propres (innovations servicielles, décarbonation) mais, dans ce contexte, la France tire son épingle du jeu :
- La France sait créer des entreprises, avec une hausse des créations qui ne s’est pas démentie en 2024 (+5,4%).
- Elle a largement amélioré le fonctionnement de son marché du travail : la vigueur des créations d’emplois au sortir du Covid le démontre, ainsi que le développement de l’apprentissage et de l’emploi indépendant qui ont apporté davantage de flexibilité aux entreprises.
- Elle dispose d’un avantage comparatif dans les services, notamment dans ceux liés à la propriété intellectuelle et à la technologie (l’investissement dans ce domaine a représenté près de 5,5% du PIB en 2024, nettement plus que dans les autres grands pays de la zone euro).
- L’aéronautique et l’agriculture, dont les productions ont été affectées en 2024 (en raison de contraintes d’offre pour la première et de contraintes climatiques pour la seconde), devraient retrouver leur poids habituel dans la croissance française en 2025.
- Les dépenses publiques dans les domaines régaliens devraient augmenter (avec notamment EUR +3 mds de dépenses militaires en 2025), ce qui soutiendrait la consommation publique. Un effort appelé à se renforcer puisque Ursula Von Der Leyen a évoqué, lors de la Conférence de Munich, la perspective d’augmenter les dépenses de défense de l’Europe pour atteindre à terme les 3% du PIB.
Les données récentes montrent que, nonobstant une conjoncture moins favorable qui devrait peser sur la capacité du marché du travail à créer des emplois en 2025, ces équilibres ne sont pas altérés.
Si ce socle devrait générer moins de croissance en 2025 (de l’activité, de l’investissement et de l’emploi), la balance des risques est peut-être un peu plus équilibrée qu’on pourrait le penser à première vue (bonne nouvelle de l’adoption du budget, impacts de la baisse des taux et de la désinflation en France et en Europe), en espérant que le prochain processus budgétaire entraîne moins de perturbations. Toutefois, cela ne devrait pas se traduire par un franc rebond en 2026 (prévision de croissance à 0,9%).
Et si un scénario plus positif se matérialisait ?
La trajectoire pour matérialiser la prévision de croissance du gouvernement existe. En comparaison des hypothèses que nous retenons dans notre prévision, elle supposerait que l’adoption du budget favorise un choc de confiance positif (annihilant le coût de sa non-adoption au 4e trimestre 2024 et au 1er trimestre 2025). En d’autres termes, que l’impact négatif, lié aux coupes dans les dépenses et à la hausse de la fiscalité (dont + EUR 12 mds pour les entreprises), soit compensé par une baisse du taux d’épargne des ménages et par un impact favorable de la baisse des primes de risque.
L’adoption du budget 2025 a retranché près de 10 pb au spread entre l’Allemagne et la France, mais ce dernier reste, avec près de 70 pb, supérieur de 20 pb à son niveau pré-dissolution. Le taux allemand à 10 ans est inférieur de 20 pb à son niveau du 7 juin 2024, alors que le taux français est proche du sien (3,1%). Or, des taux plus bas peuvent soutenir l’investissement (ménages et entreprises) et, s’il ne permet pas un rebond, au moins limiter sa contraction. Lorsque l’on observe l’économie allemande, qui a vu ses taux baisser davantage qu’en France, le rebond des nouvelles commandes à l’industrie (+4% entre août et décembre 2024, mesurées en moyenne mobile 6 mois), qu’expliquent les nouvelles commandes de biens d’équipement, pourrait constituer l’un des premiers signes d’une amélioration sur le front de l’investissement.
En France, cela pourrait se traduire par des exportations mieux orientées qu’en 2024 pour les machines et équipements, ainsi que pour les intrants industriels. On peut également s’attendre à un rebond des transactions dans l’immobilier ancien : les taux sont un peu plus bas qu’à leur pic et la baisse des prix parait derrière nous. Il est donc moins pertinent qu’avant d’attendre pour acheter.