Conséquence de l’explosion des dettes post-Covid et de la remontée des taux d’intérêt, la charge financière des États s’alourdit. Dans l’OCDE, elle atteint 3,3% du PIB, son plus haut niveau depuis 2010. Pour l’Union européenne, la fin de la période d’argent facile coïncide avec une augmentation substantielle de ses besoins d’emprunt, liée en partie à l’impératif de réarmement. Les finances publiques, déjà aux prises avec le dérèglement climatique et le vieillissement des populations, sont sous pression et ne pourront pas seules répondre à tous les défis.
Dette des pays avancés : la facture s’alourdit
Certains chiffres interpellent. En 2025, les États de l’OCDE[1] emprunteront 17 000 milliards de dollars (USD 17 000 mds), soit le double des montants levés en 2019 et l’équivalent du PIB de la zone euro. Pour l’essentiel (à près de 80%) l’argent ira au refinancement des dettes, dont l’encours a explosé à la suite de l’épidémie de Covid-19 et se rapproche de USD 60 000 mds ou 85% du PIB.
Outre qu’il bat des records, l’appel des gouvernements aux marchés se fait dans des conditions moins favorables. Dans la majorité des cas, les obligations souveraines arrivant prochainement à échéance ont été émises avant le tournant restrictif des politiques monétaires de 2022[2]. Leur remplacement coûte plus cher, ce qui se traduit pour les États par un alourdissement de la charge d’intérêts.
À 3,3% du PIB en 2024 (son plus haut niveau depuis 2010), celle-ci dépasse désormais les budgets consacrés à la défense ou au logement. L’OCDE estime qu’elle devrait encore augmenter en 2025, alors que le retournement à la baisse des taux monétaires n’a pas permis, jusqu’ici, de faire reculer les rendements obligataires à long terme.
Des conditions de financement plus exigeantes qui posent un défi particulier à l’Europe
La question du renchérissement des conditions d’accès aux marchés de la dette prend de l’importance dans l’Union européenne (UE), à un moment crucial de son histoire où les « dividendes de la paix » lui sont comptés.
Traditionnellement faibles (à peine 1,4% du PIB dans les années 2010, contre près de trois fois plus aux États-Unis), les dépenses de l’UE en matière de défense décollent depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. La remise en cause, par le président Trump, de l’Alliance transatlantique (et notamment de son article 5 prévoyant l’engagement mutuel des pays membres en cas d’agression) suivi du retournement de la politique allemande en faveur d’une Europe de la défense, sont en passe de leur conférer une autre dimension.
Depuis le 19 mars dernier et la publication d’un Livre blanc par la Commission européenne, le coût du réarmement se précise : au moins EUR 800 mds de dépenses additionnelles dans les quatre ans, prises en charge (à hauteur de EUR 150 mds) par un véhicule ad hoc de financement ainsi que par les États, qui bénéficieront pour l’occasion d’un assouplissement des règles du Pacte de stabilité[3].
Pour l’Union européenne, la fin de la période d’argent facile coïncide avec une augmentation substantielle de ses besoins d’emprunt, liée en partie à l’impératif de réarmement.
L’objectif — porter les dépenses européennes de défense au-delà de 3% du PIB à horizon 2030 et se rapprocher ainsi des standards américains — est en lui-même ambitieux ; il l’apparait encore plus dès lors que l’on considère que deux des principales contraintes qui pèsent sur les budgets — vieillissement de la population d’un côté, changement climatique de l’autre — ne se desserreront pas.
La Loi climat (qui vise la neutralité carbone à horizon 2050) exigerait de l’UE qu’elle augmente dès à présent et considérablement (de l’ordre de EUR 400 à 500 milliards par an, soit au minimum deux points de PIB) ses investissements dans la transition énergétique [4]. Quant à l’équation démographique — un poids des 65 ans et plus qui a pratiquement doublé depuis quarante ans et dépasse désormais 20% de la population européenne — elle se traduit déjà par une forte pression sur les systèmes publics de retraites : en 2019, les pays de l’UE leur consacraient 11,5% du PIB, un ratio significativement plus élevé que la moyenne OCDE (8,2% du PIB)[5].
Nécessité de mobiliser l’épargne privée
Réarmement, lutte contre le changement climatique, mais aussi développement des technologies du numérique afin de combler le retard pris vis-à-vis des États-Unis : l’Union européenne fait face à un mur d’investissements comme elle en a rarement connu.
En septembre 2024, le rapport « Draghi »[6] sur la compétitivité européenne évaluait à quelque EUR 800 mds par an (soit 4,7% du PIB ou, au minimum, deux plans Marshall) les besoins additionnels de dépense auxquels les Vingt-Sept devaient répondre (des chiffres cohérents avec ceux déjà cités). Dans certains cas, comme en Allemagne, les finances publiques conservent des marges de manœuvre et pourront accompagner le mouvement ; mais eu égard aux contraintes qui pèsent sur elles à l’échelle européenne, elles ne pourront pas tout.
Le rapport « Draghi » ainsi que le rapport « Letta », qui l’a précédé[7], indiquent que l’avenir de l’Europe passe aussi par son aptitude à mobiliser une épargne privée abondante mais trop cloisonnée et insuffisamment tournée vers l’investissement productif [8].
Le projet d’Union de l’épargne et de l’investissement (SIU), récemment dévoilé par la Commission, a précisément pour but de réduire la fragmentation des marchés de capitaux en Europe afin de mieux allouer l’épargne. Ici, les barrières ne sont pas tant financières que politiques et juridiques ; l’UE n’en a pas moins la nécessité de les franchir.
Jean-Luc PROUTAT