La Spending Review et le plan décennal d’infrastructures de 725 milliards de livres sterling, dévoilés respectivement les 11 et 19 juin, actent en creux la volonté du gouvernement britannique de s’éloigner d’une consolidation budgétaire à marche forcée. Le redressement des finances publiques reste un défi majeur au Royaume-Uni, contraint par la pression du marché obligataire, et constitue un point de comparaison pour la France. Ce constat s’inscrit dans un contexte de bouleversement structurel majeur et de besoins en investissements croissants. À ce stade, nous pensons que la stratégie de consolidation budgétaire du Royaume-Uni est crédible, mais le gouvernement avance sur une ligne de crête.
Une consolidation nécessaire mais difficile Le défi de la consolidation budgétaire s’est accentué au Royaume-Uni depuis que le déficit public a atteint 5,3% du PIB, en hausse de 0,5 point de PIB au cours de l’année fiscale 2024-25. Si la charge de la dette, rapportée au PIB, a légèrement baissé en raison du recul de l’inflation[1] sur laquelle sont indexées près d’un tiers des obligations d’États[2] , le déficit primaire, en revanche, s’est creusé de 1,8% à 2,3%. Le point de départ étant désormais plus bas, les prévisions de déficit pour 2025 mises en avant par le gouvernement et l’OBR en mars dernier (3,9% du PIB) semblent largement caduques. Le contexte de faible croissance accroît davantage les difficultés du gouvernement britannique à consolider les comptes publics. En outre, il est contraint par un agenda de mesures sociales coûteuses (soutien au pouvoir d’achat, redressement des services publics notamment celui de la santé) que le parti travailliste s’est engagé à prendre dans le but, en partie, d’endiguer l’essor du parti Reform UK.
Un cadre budgétaire mieux calibré aux enjeux actuels À court terme, l’équation consistant à réduire le déficit public et à accroître l’investissement ne sera résolue que par une plus grande maîtrise des dépenses courantes puisque la croissance de l’activité restera limitée (1,2% en 2025 et 1,0% en 2026 selon nos prévisions) et que la charge de la dette, en part de PIB, se maintiendra à un niveau élevé.
La Spending Review [3] du 11 juin dernier pose un premier jalon avec des baisses de dépenses courantes en termes réels (période 2025/26-2029/30) marquées pour le Home Office (-1,7%), le ministère des Affaires étrangères (Foreign , Commonwealth and Development Office ; -6,9%), et le ministère de l’Environnement (DEFRA ; -2,7%). Ces baisses seront contrebalancées par une hausse du plafond d’investissements dans la défense (+7,3% en termes réels), la sécurité énergétique et la neutralité carbone (+2,6%), le transport (+3,9%, hors projet High Speed 2).
Cette stratégie budgétaire peut porter ses fruits. Pour cela, les investissements ciblés par la stratégie décennale d’investissements[4] (construction, infrastructures de transport, armement, et énergie), aux multiplicateurs budgétaires traditionnellement élevés doivent se matérialiser. En outre, ils ne devront pas conduire à des dérapages budgétaires trop importants[5] .
Dans ce cadre, les règles budgétaires mises en place à l’automne dernier revêtent un caractère encore plus important. Les trois principales sont :
1/ Un budget courant au moins à l’équilibre d'ici 2029/30 (règle de stabilité) ;
2/ Une baisse, en part du PIB, de la dette financière nette (PSNFL) dès 2029/30 (règle d’investissement) ;
3/ Certains types de dépenses sociales doivent rester inférieurs à un niveau prédéfini (plafond des dépenses sociales).
Ces règles sont contraignantes car leur aspect procyclique peut agir comme un frein supplémentaire à l’activité. Elles sont néanmoins nécessaires pour garantir un cadre de retour à une trajectoire soutenable des finances publiques à moyen terme, ce qui est indispensable pour rassurer les marchés et attirer plus de financements. La modification à l’automne dernier de la cible d’endettement de dette nette à passifs financiers nets (financial net liabilities ), qui a permis d’intégrer les ressources mobilisables de l’État (afin de mieux évaluer le niveau réel de solvabilité de ce dernier), constitue une mesure plus appropriée pour concilier les objectifs de consolidation budgétaire et d’investissements productifs.
Quels points de comparaison avec le cas français ? Comme pour le Royaume-Uni, l’effort budgétaire à fournir par la France est conséquent.[6] Les soldes primaires restent, en effet, bien en dessous des niveaux nécessaires pour stabiliser les ratios d’endettement. Nous plaçons ce niveau en 2025 à -0,4% du PIB au Royaume-Uni, soit un écart d’environ 1,5 point de PIB par rapport au déficit primaire attendu. En France, l’écart est plus important, de 2,8 pp. Ainsi, le ratio d’endettement continuera de croître dans les deux pays avec une perspective de stabilisation, à horizon 2028, pour le Royaume-Uni : le ratio d’endettement serait alors autour de 108% du PIB contre 101,2% en 2024. En France, la dette se stabiliserait en 2030 à hauteur de 120% du PIB, selon nos prévisions, contre 113,2% en 2024.
Si une plus grande maîtrise des dépenses courantes est indispensable, une consolidation à marche forcée pourrait s’avérer contre-productive si elle sape la croissance potentielle et la compétitivité. Or, préserver ces aspects est primordial du fait des évolutions technologiques, climatiques et géopolitiques majeures à l’œuvre aujourd’hui, et de la concurrence accrue des acteurs asiatiques, surtout chinois.
La dernière phase de consolidation budgétaire menée au Royaume-Uni, conduite par George Osborne à la suite de la crise financière de 2008, a bien permis de réduire drastiquement le déficit structurel (de 6,4% du PIB [potentiel] à 2,3% entre 2010 et 2016[7] ). Néanmoins, l’ampleur de cette consolidation dans un temps assez réduit a contribué aux défis sociaux que le gouvernement travailliste tente aujourd’hui, pour partie, de corriger (pénurie de logements, baisse des salaires réels, rétablissement des services publics). Tout sera donc question de calibrage.
Néanmoins, la France dispose de quelques atouts que le Royaume-Uni ne possède pas. La politique monétaire est, à ce jour, plus accommodante en zone euro qu’outre-Manche et devrait le rester en 2025-26. Le Royaume-Uni souffre de contraintes structurelles particulières (forte hausse des salaires, prix de l’énergie plus important, Brexit). La France bénéficie également de son intégration à l’UE et du renforcement des financements supra-européens, notamment dans la défense du programme SAFE, qui pourrait s’étendre à d’autres domaines dans le futur. Le marché obligataire britannique est aussi traditionnellement plus exposé aux fluctuations des marchés américains que les pays de la zone euro ce qui entraîne des répercussions plus importantes sur les coûts d’emprunts britanniques.
DÉTENTION DE TITRES DE DETTE PUBLIQUE PAR LA BANQUE CENTRALE Des marges de manœuvre pour adapter le policy mix Le Royaume-Uni n’est néanmoins pas dépourvu de marges de manœuvre pour mieux adapter son policy mix au contexte actuel :
Levier monétaire : la vitesse et l’ampleur du resserrement quantitatif au Royaume-Uni a été bien plus drastique qu’en zone euro[8] en raison notamment de la politique de ventes actives de la BoE (cf. graphique 1). Or, de telles politiques contribueraient, selon certaines études, à amplifier la hausse des rendements obligataires[9] , ce qui pourrait conduire la BoE à revoir le rythme de réduction de son bilan, actuellement établi à GBP 100 mds par an (ventes actives et passives comprises). La Banque du Japon vient notamment de prendre une décision dans ce sens.
Levier gestion de passif : le Debt Management Office (équivalent de l’Agence France Trésor) pourrait recentrer, temporairement, ses émissions de dette sur des titres de plus courte échéance, pour réduire les intérêts sur sa dette émise et limiter les pressions à la hausse sur les taux longs. À ce stade, les besoins de financement du Royaume-Uni sont largement gérables à court terme, avec des tombées de dette très étalées dans le temps (la maturité moyenne s’élève à 13,7 ans en juin 2025, contre 8,5 ans en France, 7 ans en Italie et 7,7 ans en Espagne).
Sur une ligne de crête Alors qu’à son arrivée au pouvoir, l’urgence à redresser les comptes publics s’imposait, la stratégie budgétaire du gouvernement britannique s’est assouplie afin de mieux concilier les objectifs de consolidation budgétaire et d’investissements productifs. La stratégie actuelle reste crédible, dans la mesure où le gouvernement entend ne pas trop s’éloigner de la trajectoire établie par les règles budgétaires – qu’il s’est lui-même fixées – et à condition que les investissements aient les effets attendus sur la croissance. Les perspectives de croissance limitées et incertaines en 2025-2026 contraindront toutefois le gouvernement à de nouveaux arbitrages sur les dépenses courantes à l’automne prochain. La France fait face à un défi sensiblement similaire. L’assouplissement des règles du pacte de stabilité et de croissance de l’Union Européenne, fixées en avril 2024, visent le même objectif – mieux tenir compte des besoins en investissements croissants dans l’évaluation des trajectoires budgétaires – que les règles budgétaires fixées au Royaume-Uni, notamment la cible d’endettement. Les deux gouvernements avancent donc plus que jamais sur une ligne de crête.