Dans les grandes lignes, le diagnostic conjoncturel sur l’économie mondiale reste globalement identique, début septembre, à celui posé fin juillet : à savoir, une économie qui, dans l’ensemble, continue de bien résister à l’épreuve du double choc américain, tarifaire et d’incertitude. Si le rythme de la croissance américaine devrait rester supérieur à celui de la zone euro, les perspectives sont à un ralentissement outre-Atlantique. (En revanche, du côté européen, les signes de redressement, bien que timides, tendent à prédominer[1], au point que la Fed se montre prête à reprendre ses baisses de taux et la BCE à les arrêter.) Les risques sur la croissance restent toutefois nombreux. Cet automne, l’incertitude exacerbée sur les droits de douane « réciproques » américains restera un point d’attention central. Les pressions politiques sur l’indépendance de la Fed, les nouvelles incertitudes politico-budgétaires françaises, l’indulgence des marchés financiers et les tensions latentes sur les marchés obligataires seront également à surveiller.
Des droits de douane plus élevés, une incertitude qui ré-augmente
Parmi les derniers développements à retenir sur le front de la politique tarifaire américaine, on citera, chronologiquement, la conclusion d’un accord entre les États-Unis et l’Union européenne le 27 juillet dernier, qui vient clore un chapitre : si les dégâts sont utilement limités[2], la partie est toutefois loin d’être terminée. Il en va de même avec la divulgation, le 1er août, de la nouvelle grille tarifaire américaine. Elle a redonné un peu de visibilité sur le niveau des droits de douane et a acté d’un point d’atterrissage global élevé, tout en laissant en suspens de nombreux points[3].
Et à peine améliorée, aussitôt reperdue : vendredi 27 août, une cour d’appel fédérale américaine a confirmé le verdict du Tribunal de commerce international d’illégalité des droits de douane « réciproques » érigés sur la base de l’International Emergence Economic Powers Act (IEEPA). L’administration américaine a jusqu’au 14 octobre pour porter l’affaire devant la Cour suprême. Dans l’intervalle, les droits de douane restent en place. Si la Cour suprême confirme leur illégalité, c’est un pan majeur de la politique économique de D. Trump qui serait remis en cause. Le président américain s’est toutefois dit prêt, lors de déclarations précédentes, à contourner le problème en s’appuyant sur d’autres bases juridiques.
Sur quel nouveau cocktail de droits de douane cela pourrait-il déboucher ? C’est un énième facteur d’incertitude à garder à l’esprit. Dans le cas où les droits de douane « réciproques » étaient abandonnés, cela réduirait les craintes sur la croissance et l’inflation, mais augmenterait celles sur le financement du déficit budgétaire. Un jugement contraire, validant les droits de douane, serait politiquement favorable à D. Trump, mais dommageable sur le plan économique et institutionnel.
Ces considérations compliquent encore davantage le suivi et l’analyse de l’impact des droits de douane. Parmi les questions importantes à se poser, il y a celle du partage du surcoût (entre les consommateurs américains et les entreprises américaines et étrangères). Son issue déterminera l’ampleur de l’impact des droits de douane, pour l’heure limité, sur l’inflation américaine et sur la croissance mondiale.
Des premiers signes d’impact sont visibles sur le commerce mondial[4], mais dans l’ensemble, il fait encore preuve de résistance[5]. Pour partie, ce n’est pas surprenant car le choc tarifaire ne remonte qu’à quelques mois et la multitude des revirements, ainsi que l’incertitude sur le point d’atterrissage ont favorisé l’attentisme. Les pleins effets du choc tarifaire sont encore devant nous. Les données d’août et de septembre devraient en porter des traces plus nettes, impactées par la grille tarifaire en cours au moins jusqu’à mi-octobre. Ensuite, cela dépendra du maintien ou non des tarifs en vigueur le temps de l’examen par la Cour suprême et de son verdict ultime.
Position plus dovish de la Fed
Le deuxième tournant important de l’été est le changement de pied de Jerome Powell. Lors de sa dernière allocution à Jackson Hole en tant que président de la Fed, il a, en effet, ouvert la porte à une baisse de taux à la prochaine réunion du FOMC les 16-17 septembre, arguant d’un « changement de l’équilibre des risques ». Celui, baissier, sur le marché du travail est analysé comme allant en s’accroissant, à cause de l’« équilibre curieux » qui le caractérise (dynamique baissière de la demande et de l’offre de travail[6]) et l’expose à des évolutions non-linéaires (c’est-à-dire à une détérioration plus brutale que jusqu’ici). Et ce risque baissier sur le marché du travail semble prendre le dessus sur le risque haussier sur l’inflation. Ce dernier est clairement exprimé et admis. Les dernières données disponibles le confirment toutes : quel que soit l’indicateur d’inflation que l’on regarde (CPI, PCE, PPI, anticipations des ménages, composantes prix des enquêtes auprès des entreprises), la tendance pointe clairement vers le haut.
Mais Jerome Powell tempère ce risque inflationniste par le caractère plus probablement transitoire de la poussée d’inflation due aux droits de douane. La tâche de la Fed est rendue plus difficile encore par l’intensification de la pression politique à laquelle D. Trump la soumet. C’est un autre développement majeur et aléa négatif à surveiller ces prochains mois. Du côté de la croissance, elle reste certes forte en apparence[7] : au deuxième trimestre, le rebond attendu a été au rendez-vous et la deuxième estimation l’a même rehaussé (3,3% en rythme trimestriel annualisé au lieu de 3% selon la première estimation). Mais ce chiffre élevé masque une décélération claire de la demande intérieure finale. Et l’ensemble des dernières enquêtes de confiance brosse un tableau mitigé tirant sur le négatif.
BCE : une position plus favorable pour mettre un terme à son cycle de baisses des taux
Du côté de la zone euro, le bilan conjoncturel estival reste contrasté, tout en tirant légèrement sur le positif. Les enquêtes de confiance continuent de souffler le chaud (PMI) et le froid (ESI). Mais le redressement marqué du PMI manufacturier depuis le début de l’année est vraiment encourageant, tandis que l’ESI ne souffre que d’une absence d’amélioration. Le taux de chômage reste bas (6,2% en juin). Les chiffres de croissance du deuxième trimestre ont été corrects, selon les premières estimations[8]. Depuis, la croissance allemande a certes été revue en baisse (à -0,3% t/t au lieu de -0,1% initialement), mais le rebond français a été confirmé (+0,3% t/t).
Le redressement économique de la zone euro demeure laborieux et les risques à court terme restent baissiers. Pour la France, ils sont accentués par la nouvelle zone de turbulences politiques et les risques qu’elles font peser sur l’élaboration du budget et la consolidation. Mais d’une part, l’inflation ne pose pas problème. Et d’autre part, le mieux observé et anticipé sur la croissance (porté par le plan d’investissement allemand, l’augmentation des dépenses miliaires en Europe et un discours volontariste assumé de sursaut, comme rappelé encore récemment par Mario Draghi) est suffisant pour que – en phase avec la communication de la BCE – nous n’anticipions plus de baisses de taux. La Fed et la BCE échangeraient ainsi de position.
Royaume-Uni, Japon : de la croissance mais un policy mix compliqué
Au premier semestre 2025, la croissance britannique a favorablement surpris et ressort comme la plus élevée du G7 (1% par rapport au second semestre 2024). Suivent, par ordre décroissant selon cette métrique : les États-Unis (0,6%), le Japon (0,6%), le Canada (0,6), l’Italie (0,4%), l’Allemagne (0,3%), la France (0,3%). Mais derrière cette performance, la situation reste compliquée à gérer pour la BoE et le gouvernement, dans un contexte de persistance de l’inflation (qui limite la marge de manœuvre de la BoE pour continuer de détendre sa politique monétaire) et de calibrage difficile de la consolidation budgétaire, qui reste sous la pression des marchés obligataires.
Au Japon, l’orientation du policy mix est inverse mais pas plus facile à mettre en œuvre. La politique monétaire est au resserrement, pour contenir l’inflation, alors que le biais expansionniste de la politique budgétaire risque de perdurer et d’alimenter des pressions inflationnistes, l’économie étant au plein-emploi. L’enjeu pour la BoJ est de ne pas se retrouver « behind the curve », à augmenter ses taux trop peu et/ou trop tardivement alors que les questions budgétaires font aussi monter la pression sur les taux longs japonais.
Chine : focus accru sur l’excès d’offre, en sus du déficit de demande
L’évolution à retenir de cet été, c’est l’attention plus importante et opportune que les autorités chinoises semblent porter aux pressions déflationnistes. Pour le moment, cette campagne dite d’« anti-involution » se limite à exprimer leur volonté de mieux réguler les pratiques concurrentielles et de mieux contrôler l’augmentation des capacités de production via une plus grande auto-discipline. Ce ne sera probablement pas suffisant pour remédier au problème. Si la Chine semble tirer pour l’heure son épingle du jeu de la guerre commerciale américaine, son économie n’en reste pas moins fragilisée par ses déséquilibres internes importants, auxquels les autorités n’apportent pour le moment que des réponses modestes.
Des marchés financiers plutôt rassurés et rassurants, mais jusqu’à quand ?
La Bourse américaine demeure portée par la vague tech-IA et se montre peu voire pas sensible aux informations économiques plus négatives. C’est un facteur de soutien de la croissance. Mais elle n’est pas à l’abri d’un déraillement. Quel pourrait être le grain de sable qui en serait la cause ? Cela fait partie des inconnues connues à garder à l’esprit.
Les marchés de crédit restent également détendus. Trop ? Les marchés obligataires ont, quant à eux, déjà montré leur nervosité, tout en restant globalement indulgents face aux besoins d'emprunt publics toujours plus importants des plus grandes économies mondiales. Des tensions supplémentaires sur les taux longs restent un risque à surveiller[9]. Sur le marché des changes, la dépréciation du dollar US est ordonnée et globalement bénéfique : pour les États-Unis, tant que cela reste favorable à la croissance et que l’inflation ne joue trop les trouble-fête ; pour le reste du monde, tant que jouent les effets modérateurs sur l’inflation, facilitant les baisses de taux, et que la croissance n’est pas trop pénalisée. Le risque d’évolutions plus déstabilisantes sur ce marché des changes ne peut être écarté mais il paraît moins grand que sur les autres (actions, crédit, obligations).
Le prix du pétrole relativement bas est un autre élément plutôt positif du panorama économique mondial actuel (moins d’inflation, plus de croissance pour les pays importateurs). D’après nos analyses, l’équilibre offre-demande sur le marché va dans le sens du maintien à un bas niveau, mais les tensions géopolitiques sont un facteur de risque.