L’économie japonaise montre un certain dynamisme depuis un peu plus d’un an. Mais, cette performance devrait s’étioler au second semestre du fait, notamment, du durcissement de la politique commerciale américaine. Le marché du travail reste tendu et l’inflation continue d’excéder la cible des 2%. Prise entre plusieurs feux — une conjoncture qui pourrait marquer des signes d’affaiblissement et une nette remontée des taux longs sur fond d’inquiétudes budgétaires — la Banque du Japon (BoJ) fait preuve d’une extrême prudence en remontant son taux directeur très progressivement.
Croissance : un surprenant dynamisme qui pourrait s’étioler CROISSANCE ET INFLATION (MOYENNE ANNUELLE) L’économie japonaise sort d’une séquence, inédite depuis 2017, de cinq trimestres consécutifs de croissance positive (dont +0,6% t/t au T4 2024, puis +0,1% au T1 et +0,5% au T1 et au T2). La bonne performance au T2 2025, tirée par la consommation des ménages (+0,4% t/t), a surpris compte tenu de la forte inflation. L’investissement productif, quant à lui, a contribué pour 40% à la croissance du PIB observée au S1, contre un apport négatif du commerce extérieur avec un rebond des importations (+5,3% a/a sur le semestre).
La performance de l’économie japonaise pourrait toutefois s’étioler par la suite, pénalisée par l’accroissement des droits de douane américains et, surtout, par un environnement intérieur qui pourrait devenir stagflationniste. En effet, l’économie japonaise semble exploiter son plein potentiel : l’écart de production s’est résorbé fin 2024 avant de devenir légèrement positif en 2025 (+0,1pp au T2) selon le Cabinet Office, sur fond de marché de l’emploi tendu et de politique budgétaire expansionniste. Le contexte politique heurté pourrait également peser (voir ci-dessous). Toutefois la vigueur des indices PMI (le composite a atteint 52,0 en août, après quatre mois consécutifs d’amélioration) suggère que le ralentissement pourrait encore attendre et que la croissance pourrait de nouveau surprendre à la hausse au T3 (par rapport à notre prévision de 0% t/t).
Un accord commercial à sens unique avec les États-Unis La politique douanière des États-Unis constitue un risque baissier pour la croissance japonaise. C’est le premier débouché extérieur d’une économie dont les exportations de biens représentaient plus de 15% du PIB en 2024. Au premier semestre, le solde commercial s’est réduit sous l’effet d’une hausse des importations au T1. Les États-Unis et le Japon ont conclu, le 22 juillet 2025, un accord commercial bipartite, formalisé le 4 septembre. Les droits de douane supplémentaires sur les produits japonais entrant aux États-Unis sont fixés à 15%, contre un tarif « réciproque » de 25% annoncé lors du Liberation Day et un autre de 10% appliqué depuis le 9 avril. Point important, ce tarif s’appliquera également au secteur de l’automobile (comme dans l’accord avec l’UE), qui compte pour près d’un tiers des exportations japonaises à destination des États-Unis et dont le tarif sectoriel standard est de 25%. Dans le même temps, le Japon s’engage à investir USD 550 mds dans l’économie américaine à horizon 2029, ainsi qu’à accroître l’ouverture de son marché intérieur aux acteurs américains, notamment ceux de la filière rizière.
Au global, d’après nos estimations, le droit de douane moyen appliqué aux exportations japonaises diminuerait à 11,5% (contre 15% entre avril et l’accord du 22 juillet). Même si ce tarif reste nettement supérieur au niveau moyen observé en 2024 (1,5%) et que l’accord est déséquilibré, la conclusion de cet accord réduit l’incertitude. Toutefois, le plein effet devrait continuer de se faire ressentir. Le contexte est, par ailleurs, inflationniste avec des coûts de production qui laissent peu de marge de manœuvre aux entreprises japonaises pour réduire leurs prix de vente à l’exportation. L’indice des prix à l’exportation recule en glissement annuel, depuis avril 2025. Ce mouvement est bien plus marqué en yen (JPY) qu’en contrat de change.
L’inflation headline est importante mais l'inflation sous-jacente reste contenue L’inflation devrait continuer d’excéder la cible des 2% d’ici à fin 2026, même si elle ralentit après le plus haut sur 34 ans atteint au T1 2025 (+3,8% a/a). L’inflation demeure tirée vers le haut par la composante alimentaire (+7,2% a/a de moyenne depuis le début de l’année, soit 58% de contribution, à date, à la variation annuelle du CPI en 2025). En cause : le problème majeur des prix du riz (+90,7% a/a) qui devrait continuer de se poser d’après la Banque du Japon (BoJ). L'inflation sous-jacente excède également nettement la cible (+3,2% a/a de moyenne depuis le début de l'année), mais l'inflation des services est plus modérée (+1,5% a/a en juin, +2,1% a/a hors loyers imputés, en très légère hausse depuis le début de l’année). Quant aux anticipations d’inflation des marchés, mesurées par le « 10-year breakeven inflation rate » , elles ont regagné en vigueur à partir de mai 2025, après avoir perdu 30 pb en avril à la suite du Liberation Day aux États-Unis. En août 2025, elles s’élevaient à +1,5% (le record historique est de 1,6%). Cette inflation anticipée plus proche de la cible est un signal favorable, d’autant plus que la BoJ cherche à s’assurer que le pays ne renouera pas avec la spirale déflationniste passée lorsque les facteurs temporaires d’inflation se seront dissipés.
Malgré la vigueur du marché du travail, les salaires réels se replient La progression des salaires contractuels programmés, mesure sous-jacente de la croissance salariale, a atteint 2,5% a/a en juillet 2025, un plus haut depuis décembre 2024. Plus largement, la hausse nominale des revenus regagne progressivement en vigueur au fil de l’année, après le léger creux de la fin du T1 2025. Ce dynamisme devrait perdurer, porté par un marché du travail tendu, ce qu’illustre un taux de chômage (+2,3%) au plus bas depuis la fin 2019. De plus, les résultats définitifs du Shunto (+5,25%, graphique 2), négociations salariales annuelles menées par la confédération syndicale Rengo, marquent un progrès par rapport à 2024 (+5,1%) et un record depuis 1991. Cependant, la persistance de l’inflation pèse sur les salaires réels. Ces derniers n’ont été en territoire positif qu’une seule fois en 2025 (+0,5% a/a en juillet), ce qui devrait peser sur la consommation des ménages japonais.
JAPON : RÉSULTATS RECORDS DES NÉGOCIATIONS SALARIALES (%) La BoJ devrait reprendre son resserrement monétaire après une longue pause La Banque du Japon a, pour l’heure, mis les hausses de taux en suspens. L’« uncollateralized overnight call rate » (taux directeur) a été maintenu stable, à +0,5%, depuis la hausse de janvier 2025 (+25 pb). Le caractère graduel et prudent de la normalisation monétaire, lié à la fragilité de la demande intérieure, a été amplifié par l’incertitude concernant la politique commerciale. Néanmoins, la pause se prolonge en dépit de la persistance de l’inflation au-dessus de sa cible.
Les incertitudes commerciales ayant diminué, une hausse de taux devrait intervenir en décembre (+25 pb) au regard des perspectives d’inflation et de la communication de la banque centrale. Nous envisageons ensuite trois hausses supplémentaires (+25 pb) en 2026, une par trimestre entre le T2 et le T4. Le taux directeur de la BoJ atteindrait alors 1,5%, ce qui correspondrait à une politique monétaire modérément accommodante avec une inflation toujours au-dessus de sa cible. Il résulterait de ces développements une appréciation du JPY par rapport à l’USD (à 145 en fin d’année 2025 et 141 au terme de l’année 2026), ajoutant une contrainte supplémentaire aux entreprises japonaises.
Vers une hausse des déficits Le Japon est en quête d’un nouveau chef de gouvernement, moins d’un an après la nomination de S. Ishiba (1er octobre 2024) dont la démission a été annoncée le 7 septembre 2025. Ce départ fait lui-même suite à deux contreperformances électorales majeures : les élections générales anticipées d’octobre 2024 (perte de majorité absolue pour la coalition LDP/Komeito à la Chambre basse) et les élections à la Chambre haute (recul du LDP) de juillet 2025. La mise en retrait de S. Ishiba ajoute à l’instabilité, dans un contexte d’assemblée minoritaire et de montée en puissance des formations populistes. Le successeur de S. Ishiba à la présidence du LDP sera désigné lors de l’élection interne du 4 octobre prochain et deviendra, selon toute probabilité, le Premier ministre du Japon.
Le déficit primaire du Japon devrait légèrement croître à -2,4% du PIB en 2025 (+0,3pp) du fait d’une politique budgétaire expansionniste, avant de se stabiliser à ce niveau en 2026 selon le FMI. L’accroissement de la charge d’intérêts entraîne un creusement plus important du déficit total (2,9% en 2025 et 3,1% en 2026, contre 2,5% en 2024). Dans le même temps, l’endettement public est sur une trajectoire baissière (234,9% en 2025 contre 236,7% en 2024), du fait de l’inflation et d’une croissance nominale du PIB plus forte.
JAPON : PRESSION SUR LES RENDEMENTS À LONG TERME (%) Par ailleurs, la configuration actuelle de la Diète peut amener le futur Premier ministre à s’orienter vers davantage de stimulus budgétaire. Ceci, combiné à la situation générale instable, peut ajouter à la pression obligataire (graphique 3) actuelle. Cette pression est pour partie le reflet des craintes budgétaires globales mais aussi de celles propres au Japon, en raison du niveau élevé de l’endettement public et des anticipations de hausses de taux de la BoJ. Notre scénario central table sur une poursuite de la hausse des rendements obligataires, notamment ceux de long terme, avec des taux à 10 ans et 30 ans atteignant, respectivement, 2,0% et 3,4% mi-2026 (contre 1,56% et 3,17% en ce moment), avant de se stabiliser à ce niveau à l’horizon de nos projections (T4 2026).
Achevé de rédiger le 9 septembre 2025