Le virage protectionniste qui s’annonce aux États-Unis, les difficultés structurelles dans l’industrie et l’instabilité politique en France et en Allemagne limiteront les marges de progression de l’activité économique dans la zone euro en 2025. Néanmoins, le marché du travail résiste dans bon nombre de pays (le taux de chômage en zone euro reste à un niveau historiquement bas). De plus, le retour à la cible de l’inflation et la poursuite du cycle de baisse des taux d’intérêt amortiront une partie du choc. Dans ces conditions, un léger renforcement de l’activité en zone euro reste envisagé, à 1,0% en 2025, avec des écarts de croissance à nouveau importants entre les États membres.
Activité : des perspectives de renforcement de la croissance plus incertaines
Le scénario d’un durcissement des mesures protectionnistes américaines demeure, pour l’heure, un risque. Si toutefois cette politique sera probablement mise en œuvre au moins en partie, celle-ci n’affectera pas les pays de la zone euro de façon uniforme. Les poids lourds industriels que sont l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Irlande, qui exportaient en 2023 l’équivalent de 3% ou plus de leur PIB en marchandises vers les États-Unis, et qui enregistrent de larges excédents commerciaux (principal point d’attention de l’administration Trump) seraient plus durement touchés. Néanmoins, des accords commerciaux sont à terme possibles, tandis que la poursuite du cycle de baisse des taux d’intérêt et, dans une moindre mesure, le renforcement attendu des effets des fonds de relance européens sur l’investissement (voir notre focus : Fonds de relance européen : une montée en puissance attendue en 2025) soutiendront la demande intérieure. Les écarts de croissance entre les États membres se resserreraient en 2025 sans pour autant modifier l’ordre établi en 2024. L’Espagne devrait à nouveau tirer la moyenne de la zone euro vers le haut, l’Italie et la France se situeraient autour de la moyenne, tandis que le redressement serait plus poussif en Allemagne.
Marché du travail : la périphérie fait de la résistance
Le marché du travail a fait preuve d’une résilience remarquable en 2024 avec près d’un million d’emplois supplémentaires créés dans la zone euro au cours des trois premiers trimestres de l’année, et une croissance stable d’un trimestre sur l’autre autour de 0,2%. En Espagne et en Italie, les gains en matière d’emplois restent soutenus, contrebalançant ainsi les baisses observées en France et en Allemagne. Le marché du travail en zone euro se refroidit mais reste tendu, le taux d’emploi vacant évoluant au T3 2024 encore légèrement au-dessus de l’avant-Covid[1]. Dans ces conditions, la remontée du taux de chômage au niveau agrégé de la zone euro devrait être assez limitée en 2025, portée notamment par la résilience de l’activité au sein des économies périphériques. Néanmoins, si les dégradations déjà perceptibles en Allemagne et en France venaient à s’amplifier, cela aurait des répercussions sur le reste de la zone euro.
Politique monétaire : la moitié du chemin parcourue
Avec quatre baisses en 2024, dont la dernière en date du 12 décembre, le processus de normalisation de la politique monétaire en zone euro est à mi-parcours au regard de nos prévisions. La stabilisation des taux au niveau du taux neutre, que nous estimons autour de 2%, serait atteinte en juin 2025. Néanmoins, en cas de fragilisation plus marquée de la croissance, il n’est pas à exclure que la BCE procède à une baisse plus importante des taux, ce que certains membres du board de la BCE n’ont pas manqué de rappeler[2]. En parallèle, la BCE accélérera à partir de janvier 2025 son resserrement quantitatif, avec l’interruption complète du programme de réinvestissement des titres du portefeuille PEPP arrivant à maturité.
Inflation : vers le bas plutôt que vers le haut
Après une phase de désinflation séquencée depuis deux ans (centrée d’abord sur l’énergie, puis sur les biens industriels et alimentaires), ayant permis à l’inflation de refluer sous les 2% a/a en septembre, cette dernière est repartie à la hausse en raison d’effets de base défavorables sur l’énergie. L’inflation sous-jacente, tirée par les services, est restée globalement stable depuis le printemps 2024. Une perte de dynamisme s’observe néanmoins sur l’IPC services, avec une baisse du 3m/3m annualisé à 1,3% en novembre, le rythme le plus faible depuis août 2021[3]. Le scénario d’un rapprochement progressif de l’inflation sous-jacente vers la cible des 2% reste donc intact. Par ailleurs, les anticipations d’inflation médianes des ménages sont nettement retombées (2,1% en octobre pour les anticipations à trois ans), ce qui est cohérent avec une poursuite du ralentissement du côté des salaires. Une hausse des droits de douane aux États-Unis aura des effets limités sur l’inflation en zone euro : une baisse de l’euro induite par cette politique, qui sera de nature à alimenter l’inflation au sein de l’union monétaire, se trouvera contrebalancée par les effets négatifs sur l’activité.
Politique budgétaire : l’autre grand écart
En 2025, la politique budgétaire devrait être modérément restrictive en zone euro, avec une maitrise plus importante des dépenses courantes, notamment en Italie. Le cas de la France reste suspendu à l’adoption d’un budget.
La situation dégradée des finances publiques des pays sous le coup d’une procédure de déficit excessif[4] ne doit pas faire oublier que, dans son ensemble, la consolidation budgétaire en zone euro se poursuit. Le déficit public devrait se rapprocher des 3% du PIB en 2024, contre 3,6% en 2023.
En Italie, le déficit baissera drastiquement en 2024, en raison de la réduction du Superbonus et des aides sur l’énergie. Au Portugal et en Grèce, la consolidation budgétaire et le désendettement du pays reste un axe politique majeur, qui devrait déboucher sur une nouvelle hausse de leurs excédents primaires en 2024.
Défis structurels : un socle productif à rebâtir
Pour la zone euro, le défi principal reste celui de bâtir une croissance reposant davantage sur l’investissement productif et les gains de productivité. Entre 2002 et 2023, les gains de productivité horaire du travail en zone euro ont progressé en moyenne chaque année de 0,7% (contre +1 ,6% aux États-Unis[5]). Cette dynamique plus faible s’explique avant tout par un écart dans les investissements intangibles (logiciels, R&D) qui n’a eu de cesse de se creuser depuis près de vingt ans. Aujourd’hui ces investissements représentent plus de 6% du PIB aux États-Unis (T2 2024) contre 3 à 4% en zone euro.
Comptes extérieurs : l’excédent du compte courant, un soutien à l’euro
Les comptes extérieurs de la zone euro restent solides. En cumulé sur douze mois, le compte courant a enregistré un excédent de EUR 425 mds en septembre, soit près de 3% du PIB de la zone euro[6]. Bien que l’excédent commercial du poste « machines et équipements » a sensiblement baissé par rapport à ses niveaux records de 2014, en raison notamment de la concurrence chinoise sur ce segment, l’excédent des produits chimiques – composés en grande partie de produits pharmaceutiques – a plus que doublé au cours de la décennie. La vigueur de l’activité touristique tire de son côté l’excédent sur les services qui atteint des niveaux records. L’excédent du compte courant reste un soutien à la devise et au taux de change effectif, qui après une période de baisse entre 2008 et 2015 a eu tendance à s’apprécier depuis.
FOCUS | Fonds de relance européen : une montée en puissance attendue en 2025
Près de quatre ans après son entrée en vigueur (février 2022), la Facilité pour la reprise et la résilience ou FRR, communément appelée « fonds de relance européen », a alloué moins de la moitié de ses fonds. Début décembre 2024, EUR 270 mds avait été transférés aux États européens (EUR 95 mds sous forme de prêts et EUR 175 mds sous forme de subventions directes) sur une enveloppe totale de EUR 648 mds. Les versements devant s’étaler officiellement jusqu’à fin 2026, les deux prochaines années devraient marquer une accélération des versements, conduisant à des effets a priori plus marqués sur l’investissement. C’est d’ailleurs ce que prévoit la Commission européenne qui a cité, dans son évaluation des plans budgétaires et structurels à moyen terme[7], un taux d’absorption en hausse à 0,4% du PIB en 2025. Jusqu’à présent, les effets sur l’investissement ont été plutôt limités, et le rapport de mi-parcours publié par la Commission européenne en février 2024 a mis en avant une série d’obstacles au déploiement de ces fonds sur le terrain, principalement administratifs (coûts des procédures plus élevés, manque de ressources humaines), mais aussi des effets de substitution entre les fonds FRR et le programme de politique de cohésion de l’UE.
Achevé de rédiger le 6 décembre 2024