Le policy mix (combinaison des politiques budgétaire et monétaire) du Royaume-Uni devrait être plus accommodant en 2025. Ses effets positifs seront toutefois limités compte tenu de la baisse très progressive des taux d’intérêt et de la mise en place de règles budgétaires plus contraignantes. Après une croissance du PIB au troisième trimestre 2024 en deçà des attentes (+0,1% t/t), un renforcement de l’activité est attendu au T4 (+0,3% t/t) avant une stabilisation autour de ce niveau en 2025 (entre 0,3% et 0,4% t/t). Le Royaume-Uni, qui affiche un solde commercial pratiquement à l’équilibre avec les États-Unis et exporte majoritairement des services outre-Atlantique, semble en outre bénéficier d’une situation plus confortable que ses voisins européens pour échapper à la hausse des tarifs américains.
Activité économique : en phase de reprise
Face à la menace protectionniste américaine, le Royaume-Uni occupe une place singulière.
Contrairement aux grands pays industriels de la zone euro (Allemagne, Italie) et à la Chine, le pays enregistre des excédents commerciaux avec les États-Unis très faibles (inférieur à GBP 2 mds en octobre 2024[1]), ce qui pourrait faciliter les termes d’un accord commercial à venir entre Londres et Washington. Pour le Royaume-Uni, qui exporte davantage de services que de marchandises vers les États-Unis, le principal choc viendrait d’un ralentissement plus marqué de l’activité au sein de l’Union européenne, son principal débouché commercial.
Sur le plan domestique, des freins à la consommation persisteront du fait de l’ampleur du choc inflationniste passée et du processus de refinancement des ménages à des taux plus élevés, qui n’est pas achevé. En effet, la Banque d’Angleterre (BoE) estime que près de la moitié des prêts hypothécaires connaitront une augmentation de leurs charges d’intérêt d’ici au T4 2027[2]. La croissance du PIB devrait progresser l’an prochain, à hauteur de 1,4% avec un acquis de croissance fin 2024 que nous estimons à 0,4%. L’activité ralentira à nouveau en 2026, en raison d’une politique budgétaire plus restrictive et de freins sur le plan intérieur (inflation structurellement élevée, transmission de la hausse des taux aux ménages, faiblesse des gains de productivité) et extérieur (ralentissement économique aux États-Unis).
Marché du travail : jusqu’ici il résiste
Si les signes de refroidissement sur le marché du travail se multiplient, on ne peut pas évoquer, à ce stade, de véritable retournement. Le nombre de salariés a reculé de 0,1% t/t au troisième trimestre mais après avoir progressé de 0,1% sur les deux premiers trimestres 2024.[3] L’indice composite PMI pour l’emploi évoluait en novembre en dessous de la zone d’expansion (48,9), mais il ne décroche pas autant qu’en zone euro. Le nombre d’emplois vacants est tout juste revenu cet automne aux niveaux observés en 2019, ce qui est cohérent avec un marché du travail encore sous tension. Néanmoins, cette décélération devrait être suffisante pour engendrer un ralentissement progressif des salaires, dont le rythme de progression annuelle s’élevait encore à près de 5% en octobre.
Inflation : les loyers tirent l’inflation dans les services
Depuis le mois d’avril, l’inflation s’est stabilisée autour de la cible des 2% à la faveur d’une déflation sur l’énergie et les biens manufacturés. La décrue de l’inflation dans les services reste, en revanche, très limitée et plusieurs mesures inscrites au budget d’automne, qui prendront effet en avril prochain (revalorisation de 6,7% du salaire minimum, augmentation des frais de scolarité dans le secteur privé, hausse du taux de cotisations employeurs), seront de nature inflationniste. L’évolution des loyers alimente aussi l’inflation dans les services et il n’est pas dit, compte tenu du rebond de l’activité dans l’immobilier (voir notre Focus : Le rebond du marché immobilier, soutien et frein à l’activité), que les prix décélèrent rapidement en 2025, au contraire.
Depuis la crise sanitaire, la hausse des loyers n’a eu de cesse de s’amplifier pour atteindre 7,3% a/a en octobre, la plus forte progression en 31 ans. Si ce poste de l’inflation ne constitue vraisemblablement pas une variable de décision cruciale pour la BoE, il s’agit tout de même d’un frein de plus au relâchement monétaire. Hors loyers, l’inflation s’élevait à 3,8% a/a en octobre, un niveau qui, à défaut d’être satisfaisant, peut être perçu comme modéré.
Politique monétaire : pas d’atterrissage des taux avant 2026 ?
La Banque d’Angleterre dispose donc de marges de manœuvre relativement réduites, compte tenu de la situation sur le front de l’inflation. Les membres du Comité de politique monétaire (MPC) devraient opter pour un statu quo lors de la réunion du 19 décembre, avant d’entamer un nouveau cycle de baisses en 2025 qui serait toutefois très progressif, plus progressif notamment qu’en zone euro, au rythme d’une baisse par trimestre. L’atterrissage des taux à 3,5% ne serait ainsi atteint qu’en 2026. Même si elle le serait graduellement moins, la politique monétaire resterait donc restrictive l’an prochain. Ses effets seraient toutefois contrebalancés par une politique budgétaire plus accommodante.
Politique budgétaire : déficit stable en 2025, trajectoire de consolidation intacte
La politique budgétaire britannique sera expansionniste en 2025, l’OBR chiffrant le surcroît de dépenses liées au budget à GBP 70 mds sur les cinq prochaines années (environ 2% du PIB britannique). Dans ce contexte, l’OBR prévoit que le déficit public se stabilise autour de 4,5% du PIB en 2024 et 2025[4], avant un nouveau repli vers les 3% à horizon 2027. Le gouvernement a aussi fixé de nouvelles règles budgétaires plus contraignantes[5] qui rendent cette consolidation plus crédible. La cible d’endettement est passée d'une mesure dite de « dette nette » à « passif financier net ». Cette dernière mesure intègre un ensemble d’actifs plus large qui, en net, réduit le ratio d’endettement de près de 14 points de PIB par rapport à la mesure de dette nette (83,7% du PIB en octobre 2024).
Défis structurels : endiguer les effets de la désindustrialisation
Le recul de l’activité et les destructions d’emplois dans le secteur industriel – industries extractive et manufacturière – se sont nettement amplifiés depuis la crise sanitaire. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée a notamment atteint un nouveau point bas au T3 2024, à 10,4%. Cela alimente plusieurs freins à l’économie britannique tels que la baisse des exportations de biens et le creusement du déficit commercial, ainsi que les inégalités sociales et territoriales. Accélérer la construction de logements et redresser les services publics seront deux autres chantiers sur lesquels le gouvernement sera attendu en 2025.
Position extérieure : un déficit commercial en partie compensé par les services
Le compte courant britannique reste déficitaire à hauteur de 2,2% du PIB au T2 2024, en cumul sur un an, mais s’est peu ou prou stabilisé à ce niveau depuis deux ans. Le Royaume-Uni enregistre en revanche un déficit commercial très important (équivalant à 7,0% du PIB), en particulier vis-à-vis de l’UE, qui s’est creusé post-Brexit et qui touche l’ensemble des grandes catégories de biens. Les déficits les plus importants vis-à-vis du reste du monde portent sur les produits agroalimentaires, énergétiques, et les machines et équipements. Une grande partie de ce déficit est toutefois compensée par l’excédent conséquent dans les services (6,1% du PIB), qui témoigne des atouts que conserve le pays dans les services à haute valeur ajoutée (la finance et les services d’information et de communication).
FOCUS | Le rebond du marché immobilier, soutien et frein à l’activité
Les premières baisses de taux d’intérêt ont fourni un élan supplémentaire au marché immobilier britannique, qui était déjà dans une phase de reprise avant même que le resserrement monétaire ne soit achevé. Les premiers signes de stabilisation se sont manifestés en toute fin de 2022, avec un début de redressement selon l’enquête auprès des notaires (RICS)[6], suivi d’un rebond du volume des prêts à l’habitat. Avec 68 303 nouveaux prêts (hors renégociations) accordés en octobre 2024, la moyenne de 2019 (65 784) a été dépassée. Le rebond des prix immobiliers s’est également amplifié, les indices Nationwide et Halifax indiquant un glissement annuel des prix autour de 4% en octobre-novembre.
La poursuite de la baisse des taux d’intérêt et l’augmentation des frais d’enregistrement (stamp duty) annoncée dans le budget d’automne, qui prendra effet en avril 2025, renforceront cette dynamique de reprise dans les prochains mois dans un contexte par ailleurs de fortes tensions sur l’offre. Cela aura pour conséquence supplémentaire de maintenir la pression à la hausse sur les loyers, et donc sur l’inflation. Le rebond de l’activité immobilière renforcera la pression sur le gouvernement qui s’est fixé pour mission de générer un choc de construction, avec l’objectif de bâtir 300 000 nouveaux logements par an d’ici à la fin du mandat gouvernemental en 2029.[7]
Achevé de rédiger le 6 décembre 2024