L’économie polonaise a fait preuve de résilience pendant les nombreuses périodes de turbulences qui ont suivi la crise financière de 2008-2009. Déjà en 2009, elle a été la seule économie de l’UE à éviter une récession. Depuis 2020, les chocs successifs ont freiné la croissance, mais les autorités ont pu mettre en œuvre des mesures généreuses pour soutenir l’activité. En ce début 2024, l’économie polonaise est l’une des plus performantes de la région, avec un PIB supérieur de 11% au premier trimestre de 2024 comparé à son niveau d’avant la crise de la Covid-19. Dans l’ensemble, le pays a renforcé sa position en Europe, comme en témoigne l’augmentation de son poids économique dans l’UE (mesuré par le PIB en parité de pouvoir d’achat) et de ses gains de parts de marché dans la zone euro. Depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004, la Pologne a vu son PIB par habitant en volume plus que doubler en 20 ans. Cette performance a été facilitée par les fonds importants de l’UE dont le pays a bénéficié. Le pays demeure aussi une destination attractive en termes d’opportunités de nearshoring à court et moyen terme. La détérioration des comptes budgétaires et le dossier des prêts en francs suisses constituent les principales faiblesses. Elles ne sont toutefois pas d’ampleur à remettre en cause la solidité des comptes publics et du système bancaire.
Alternance politique et normalisation des relations avec l’UE
Les dernières élections législatives, qui se sont déroulées le 15 octobre 2023, ont conduit à une alternance politique et permis une détente des relations avec l’UE. Le gouvernement sortant, affilié au parti PiS, a obtenu le plus grand nombre de voix (35,4% des voix) mais n’a pas été en mesure de former une coalition. La plateforme civique de Donald Tusk et ses partenaires, Troisième voie et La Gauche, ont obtenu 53,7% des voix (Plateforme civique : 30,7% ; Troisième voie : 14,4% et La Gauche : 8,6%). Au Parlement, la coalition tripartite représente 248 sièges sur un total de 460.
L’administration de Donald Tusk a officiellement prêté serment en décembre 2023 après un long processus post-électoral de deux mois. L’un des principaux obstacles pour le gouvernement est l’absence d’une majorité absolue (60% des voix) au Parlement qui permettrait d’éviter le veto potentiel du Président Andrzej Duda sur les mesures du gouvernement. L’élaboration des politiques économiques risque d’être compliquée pendant encore un an car les prochaines élections présidentielles n’auront lieu qu’en 2025. L’approbation du Budget pour l’année 2024 au début du mois de janvier ne s’est pas déroulée sans difficultés.
Par ailleurs, la mise en application des 100 mesures défendues lors de la campagne électorale de Donald Tusk, prend plus de temps qu’initialement prévu. Ces mesures comprennent, notamment, le déblocage de fonds européens, les réformes du système judiciaire et des médias publics, ainsi que la fixation d’un seuil plus élevé pour les revenus exonérés d’impôts.
Il y a néanmoins des avancées importantes. Les fonds de l’UE, d’une valeur de 75,5 milliards d’euros au titre du budget 2021-2027 et de 59,8 milliards d’euros au titre du plan national de relance et de résilience (25,3 milliards d’euros sous forme de subventions et 34,5 milliards d’euros sous forme de prêts) ont été rapidement débloqués. Pour rappel, en avril 2022, des fonds de l’UE avaient été gelés par la Commission
européenne compte tenu des atteintes portées à l’État de droit et à l’indépendance judiciaire. Autre développement important à signaler, la Commission européenne a officiellement mis fin, en mai dernier, à la procédure judiciaire relative à l’État de droit dans le cadre de l’article 7 sur la base de l’engagement du gouvernement à poursuivre les réformes en cours et à venir.
Une économie résiliente
L’économie polonaise a généralement fait preuve de résilience pendant les périodes de turbulences depuis la crise de 2008-2009. Elle est la seule au sein des économies d’Europe centrale a avoir échappé à une récession en 2009. En 2020, la crise de la Covid-19 a entraîné une contraction du PIB de 2,0% mais l’ampleur du recul a été bien moindre que dans les pays voisins. Le rebond post-Covid a été très marqué (+6,9% en glissement annuel en 2021) car le gouvernement a pu mettre en œuvre un soutien budgétaire important pour soutenir l’activité. Ainsi, l’économie polonaise a pu atteindre rapidement les niveaux d’avant la pandémie dès le premier trimestre 2021. Depuis 2022, la dynamique de croissance a été freinée par la guerre en Ukraine.
En 2023, la croissance s’est de nouveau affaiblie et la récession a été évitée de justesse. Jusqu’au S1 2023, la consommation des ménages a fortement ralenti sous l’effet des pressions inflationnistes, de la croissance encore négative des salaires réels, du resserrement passé de la politique monétaire (qui a entraîné une hause de la charge d’intérêts) et des conditions très restrictives en matière de crédit.
De meilleures perspectives de croissance en 2024 et 2025
À partir du S2 2023, la consommation privée a rebondi avec une amélioration sensible des ventes au détail et des immatriculations de voitures grâce au rattrapage salarial et au redressement de la confiance des ménages. La demande intérieure devrait contribuer à soutenir la croissance en 2024 et 2025 (nos projections respectives de 4,0% et 3,5% en moyenne).
Le rebond de la consommation va se poursuivre à court terme même si on prévoit une accélération de l’inflation1 au second semestre. Actuellement, à 2,5% en glissement annuel en mai, l’inflation pourrait atteindre 4,1% en moyenne cette année après 11,0% en 2023. Cela va certes affecter le pouvoir d’achat des ménages, mais aura probablement un impact limité compte tenu des nombreux facteurs de soutien à la consommation.
La révision généreuse des allocations familiales (+60% en 2024) et la distribution des chèques « énergie » pour les ménages à faible revenus devraient y contribuer. La bonne tenue des salaires (prévisions de +10,2% en 2024 et de 8,1% en 2025) viendrait aussi en renfort.
Les perspectives d’investissement public sont positives à court terme, la Commission européenne ayant donné son accord au déblocage des fonds européens au titre du Fonds de résilience et de relance (EUR 11,4 milliards versés depuis fin 2023). Le gouvernement a aussi obtenu le déblocage total des fonds européens. Une certaine prudence s’impose en ce qui concerne l’investissement privé et les exportations. Les incertitudes liées à l’issue des élections étant désormais levées, les projets d’investissement précédemment mis en suspens pourraient être relancés. Toutefois, les conditions de financement peuvent constituer un obstacle. Par ailleurs, les nouvelles commandes à l’exportation restent modérées, ce qui suggère que le rebond des exportations serait limité au cours des prochains mois.
Résistance de la croissance potentielle
À moyen terme, la croissance du PIB devrait converger vers son potentiel de 3%, estimé par le FMI. Ce chiffre est inférieur à la croissance moyenne de 3,9% sur la période 2000-2009 et de 3,8% sur la période 2010-2019.
Le potentiel de croissance relativement plus faible par rapport à la moyenne des périodes précédentes reflète les évolutions démographiques a priori défavorables. La croissance de la population active a fortement ralenti malgré des flux migratoires nets positifs depuis 2020 (notamment en provenance d’Ukraine). Selon les projections de l’OCDE, la population active resterait plus ou moins stable à 17,4 millions d’ici 2025. De plus, il subsiste une pénurie de main d’œuvre.
La population (37,6 millions d’habitants en 2023) a diminué depuis 1999 (-1,6% entre 2000 et 2023) et la tendance à la baisse se poursuivra à l’avenir. Selon les prévisions officielles, la population pourrait encore diminuer pour atteindre 37 millions en 2030 et 35,3 millions en 2040.
Certaines mesures ont été introduites pour tenter d’inverser la tendance démographique, avec notamment des programmes d’aide aux familles (augmentation des allocations familiales, etc.). Par ailleurs, les effets négatifs de la démographie sur la croissance pourraient être contrebalancés par une meilleure compétitivité de l’économie. La forte croissance de la productivité du travail a permis de compenser la croissance des salaires réels sur la période récente et elle pourrait s’améliorer davantage grâce aux fonds européens et les flux d’investissements directs étrangers.
Le nearshoring se renforce
Les récentes évolutions concernant les fonds européens et la fin de la procédure relative au non-respect de l’État de droit sont des signaux positifs pour l’environnement des affaires et devraient à la fois renforcer l’attrait du pays en matière d’opportunités d’investissement et accélérer les activités de délocalisation à l’étranger (nearshoring).
Forte dynamique des flux d’IDE depuis 2021
Depuis l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne en 2004, le pays a connu trois phases différentes de flux de capitaux. La première période, entre 2004 et 2010, a été marquée par une forte augmentation des flux nets, avec un pic de 33,9 milliards d’euros en 2010. Cette période a été suivie d’une deuxième phase (2011-2020) de stagnation et de faibles entrées. Après la crise des dettes souveraines en Europe (2010-2012), les flux de capitaux ont peiné à se rétablir les années suivantes. Puis la crise de la Covid-19 a entraîné un arrêt brutal des entrées nettes en 2020. La troisième phase observée depuis 2021 marque un tournant avec une augmentation très forte des flux nets d’investissements directs étrangers (IDE).
Depuis 2021, la résurgence des flux de capitaux peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Premièrement, il s’agit d’un effet de rattrapage des projets reportés après la crise de la Covid-19. Deuxièmement, la guerre en Ukraine et les sanctions internationales contre la Russie et la Biélorussie qui ont entraîné des fermetures partielles ou totales d’usines, ont crée des opportunités en Europe centrale, y compris en Pologne. Enfin, des possibilités de nearshoring et de friend shoring2 sont apparues. En effet, la nécessité de sécuriser les chaînes d’approvisionnement et de réorganiser la production est devenue une priorité à la suite des mesures protectionnistes imposées par les États-Unis à l’encontre de la Chine depuis 2018 et aux difficultés d’approvisionnement provoquées par la pandémie de la Covid-19.
Réorganisation des activités de production des entreprises de la zone euro
Parmi les émergents, l’Asie et l’Amérique latine ont été les principaux bénéficiaires des flux d’investissements directs étrangers (IDE) depuis 1990. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, tels que le Vietnam et le Mexique, disposent d’une base manufacturière importante et soient en mesure de bénéficier des transferts d’activité liés au nearshoring.
En Pologne, comme dans d’autres pays d’Europe centrale, de nombreux atouts jouent également en faveur des activités de nearshoring ou de friendshoring.
La proximité géographique avec la zone euro et un réseau développé d’infrastructures présentent un avantage majeur en termes de coûts et de délais de livraison. En outre, les réglementations relatives aux IDE sont globalement favorables par rapport à d’autres pays émergents. En effet, l’UE figure parmi les pays les plus ouverts selon l’indice de l’OCDE sur les restrictions réglementaires en matière d’IDE (FDI restrictiveness index) et l’indice « Doing Business » de la Banque mondiale.
La Pologne dispose également d’une base industrielle très diversifiée avec des secteurs tels que l’industrie alimentaire (8,4% de la valeur ajoutée de l’industrie) et des activités à forte valeur ajoutée telles que l’automobile, les produits chimiques, les machines et l’équipement électrique (respectivement 7,0%, 3,7%, 7,7% de la valeur ajoutée).
De nombreuses entreprises multinationales disposent en outre d’un segment R&D qui contribue à l’innovation. Par ailleurs, la Pologne, en tant que membre de l’Union européenne, bénéficie des fonds de l’UE, ce qui renforce la capacité du pays à innover. La Pologne, comme les autres pays d’Europe centrale, reste compétitive par rapport aux économies développées de la zone euro grâce à une main-d’œuvre qualifiée et à un avantage comparatif en termes de coûts de main-d’œuvre. Le salaire moyen dans la région reste inférieur à celui des pays de la zone euro (14,5 euros par heure pour la Pologne, 41,3 euros par heure pour l’Allemagne), malgré les fortes pressions salariales observées en Europe centrale ces dernières années induites par la pénurie de main-d’œuvre.
Les réglementations relatives au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CABM), visant à taxer les biens non européens à forte teneur en carbone, pourraient aussi renforcer l’attractivité de la Pologne en matière de nearshoring, du moins à moyen terme. Le CABM est entré en vigueur dans l’UE dans sa phase transitoire depuis le 1er octobre 2023 et serait pleinement déployé à horizon 2026. Dans la phase transitoire, la taxe ne s’appliquerait qu’aux produits de base et ne concernerait que très peu de produits transformés. En pratique, à court terme, la taxe carbone peut pénaliser les coûts de production en Europe où ces matières premières sont importées et transformées pour fabriquer des produits finis.
De même, à moyen terme, les efforts de transition écologique en Pologne viendraient consolider l’attractivité pour les investissements des pays de la zone euro, en particulier avec des réglementations plus strictes sur les émissions de carbone. Dans le cadre de cette transition écologique, des investissements considérables3 seront nécessaires à moyen terme pour atteindre les objectifs climatiques, dont une partie viendrait des subventions dans le cadre des fonds de résilience et de relance et des fonds de cohésion pour réduire les émissions de carbone dans le secteur industriel.
Un renforcement des activités de nearshoring déjà visible
Depuis 2018, la nécessité de sécuriser les chaînes d’approvisionnement et d’accélérer la réorganisation des activités de production est devenue plus pressante. La question qui se pose est donc de savoir si les activités de nearshoring sont déjà visibles.
L’évaluation de l’activité de nearshoring peut s’avérer complexe car la réorganisation des lignes de production prend du temps et le processus peut s’étaler sur plusieurs années. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’une periode d’observation suffisante pour mesurer précisément le phénomène et certaines données sont publiées avec retard. Toutefois, certains indicateurs de base tels que les flux d’IDE et les projets de création de nouveaux sites (Greenfield) peuvent être utilisés pour apprécier les activités de nearshoring. Le degré d’intégration commerciale d’un pays ainsi que les gains de parts de marché peuvent compléter ces deux principaux indicateurs. Les données de Recherche et Développement (R&D) et les données plus qualitatives telles que les enquêtes sur les intentions des entreprises de réorganiser leurs activités de production sont potentiellement sources d’information également.
L’examen des indicateurs principaux pour la Pologne, tels que les flux d’IDE, les projets Greenfield tend à confirmer l’essor des d’activités liés au nearshoring. Le stock d’IDE entrants représentait 313 milliards d’euros en 2023, ce qui est nettement supérieur aux autres économies d’Europe centrale. Les flux nets d’IDE ont atteint un record de 23,9 milliards d’euros en 2022 (3,7% du PIB par rapport à la moyenne de 1,9% entre 2015 et 2019) malgré les incertitudes géopolitiques liées à la guerre en Ukraine. En 2023, les flux nets d’IDE sont restés globalement stables (EUR 17 milliards). Des données plus détaillées montrent que la plupart des investissements étrangers viennent d’Europe (90% du total en 2022), l’Allemagne étant l’un des principaux investisseurs dans le pays (16,7% du total flux entrants d’IDE). Fait marquant, une forte progression des flux d’IDE en provenance d’Asie a également été observée en 2022. Les projets Greenfield en valeur ont également augmenté sensiblement depuis 2017, avec une moyenne de USD 20,8 milliards au cours des six dernières années, contre USD 9,7 milliards en moyenne entre 2010 et 2016. Le nombre de projets Greenfield a connu des tendances similaires.
L’économie polonaise reste très intégrée à l’UE et à l’Allemagne en particulier. Les importations polonaises de produits allemands représentaient 20,2% du total des importations polonaises en 2023. Les ventes de produits polonais à destination de l’Allemagne constituaient 28% du total des exportations en 2023. L’augmentation des parts de marché de la Pologne dans la zone euro n’apparaît pas clairement sur la période récente, en revanche, elle s’est renforcée bien avant le processus de nearshoring.
Les dépenses de la Pologne dans la R&D comptent parmi les plus élevés d’Europe centrale, même si la part de la R&D dans le PIB est restée plus ou moins stable ces dernières années (1,4% du PIB en 2021) et demeure inférieure à la moyenne de l’UE de 2,1%. Depuis son entrée au sein de l’Union européenne en 2004, les dépenses en R&D ont été multipliées par cinq en volume, avec une accélération à partir de 2015. De même, le nombre d’entités en R&D a été multiplié par près de deux depuis 2015 (7 431 en 2022).
Une balance courante structurellement déficitaire mais largement financée
Le compte courant de la Pologne présente un solde déficitaire depuis de nombreuses années, principalement en raison d’un déficit commercial structurel. Les excédents occasionnels notamment en 2020 et en 2023 restent l’exception. L’année dernière, l’excédent de la balance courante a reposé sur celui de la balance commerciale grâce, il est vrai, à la baisse des importations d’énergie et de denrées alimentaires et à une légère augmentation de la balance des services, structurellement excédentaire. À court terme, les dépenses militaires substantielles à venir et les investissements publics portés par les fonds européens (liés à la transition écologique, à la numérisation et à l’innovation) impliquent une augmentation des importations qui devraient ramener la balance commerciale vers un déficit.
Le déficit attendu de la balance courante au cours des prochaines années ne constituerait pas un problème majeur pour la Pologne, tout comme les années précédentes. Le financement du déficit devrait continuer d’être principalement couvert par des flux non générateurs de dette, notamment des IDE et des fonds européens.
La liquidité extérieure est confortable
Les indicateurs de solvabilité externe et de vulnérabilité financière sont solides. Les réserves de change ont augmenté régulièrement ces dernières années, atteignant EUR 191,8 mds en mai 2024 après EUR 175,4 mds en décembre 2023, 156,5 en 2022 et 146,6 en 2021. Le ratio de couverture des importations par les réserves est resté confortable (supérieur à 5 mois). La dette extérieure exprimée en pourcentage du PIB est mesurée, à 49,5% en 2023, et pourrait encore diminuer au cours des trois prochaines années. Si l’on exclut les prêts interentreprises, le ratio baisse à 34,8% en 2023. La part de la dette extérieure à court terme est limitée et représente environ 19% du total en 2023. Le ratio dette à court terme/réserves de change reste modéré à 36,8% en 2023.
Détérioration contrôlée des finances publiques
Déficit budgétaire prononcé depuis la crise de la Covid-19
La solidité des comptes publics a permis au gouvernement polonais de mettre en œuvre des mesures de relance généreuses pour atténuer les effets négatifs des chocs successifs subis par l’économie depuis 2020. Lors de la crise de la Covid-19 en 2020, les mesures de soutien, estimées aux alentours de 5% du PIB (plus 3,3% liés aux garanties eventuelles selon les estimations du FMI), étaient composées d’un bouclier anti-crise et d’un bouclier financier. Ces mesures visaient à protéger l’emploi et à reporter le paiement des cotisations sociales (prise en charge du dispositif d’activité partielle pour les employés, financement des entreprises, soins de santé, système financier, investissements publics). En 2022, de nouvelles mesures, représentant environ 3% du PIB (bouclier anti-inflation, bouclier énergétique) ont été introduites pour atténuer les conséquences de la guerre en Ukraine. L’augmentation des dépenses militaires ainsi que l’augmentation de la charge d’intérêts de la dette pèsent davantage sur le budget de l’État. Ainsi, depuis 2020, le déficit budgétaire s’est creusé (-6,9% du PIB en 2020, -3,7% en 2022 et -5,1% en 2023 après une amélioration de courte durée à -1,8% en 2021).
Sous une procédure de déficit excessif en 2024
Le déficit budgétaire restera élevé à court terme et dépassera probablement l’objectif de 3% dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance en 2024. Le budget de cette année, voté en août 2023 par le gouvernement précédent, avait prévu un déficit de 4,5% du PIB en 2024. Il a été révisé par le nouveau gouvernement et voté par le Parlement en janvier 2024 avec un déficit supérieur à 5% du PIB. Plusieurs facteurs vont alourdir les dépenses à court terme. En ce qui concerne 2024, les mesures de soutien liées à la crise de l’énergie resteront en vigueur pendant une partie de l’année. En effet, le plafonnement des prix des denrées alimentaires a été prolongé jusqu’au printemps et jusqu’en juin pour les factures d’énergie des ménages et des PME. Par ailleurs, les dépenses sociales resteront généreuses cette année, avec notamment une augmentation de 6O% des allocations familiales. Le gouvernement prévoit d’augmenter les salaires des enseignants de 30% et ceux des autres fonctionnaires de 20%. Il a également alloué PLN 500 millions ( 0,01% du PIB) dans le budget 2024 pour soutenir les primo-accédants afin de remplacer le système de prêt à 2%3 introduit au second semestre 2023.
D’autres facteurs contribueront aussi à l’augmentation des dépenses publiques à moyen terme. La priorité est également donnée à la modernisation des forces armées depuis la guerre en Ukraine. Ainsi, les dépenses en matière de défense, déjà parmi les plus élevées au sein de l’OTAN, ont fortement augmenté et atteindrait près de 4% en 2023 après 2,4% du PIB en 2022.
Ces dépenses continueront de peser sur les comptes publics à court terme (probablement à hauteur de 3% du PIB au cours des prochaines années). En outre, le coût des emprunts de la dette publique s’est renchéri tout au long de 2022 et 2023 dans un contexte où les taux d’intérêt sur les marchés obligataires ont fortement augmenté.
La charge d’intérêts de la dette rapportée aux recettes fiscales a sensiblement augmenté pour atteindre 5,1% en 2023, comparé à 3,6% en 2022 et 2,9% en 2021, mais reste largement supportable.
À l’avenir, les coûts de financement devraient s’atténuer, mais pas de manière significative.
Les rendements des obligations à 5 ans et à 10 ans ont certes diminué par rapport au pic observé en 2022, mais restent bien supérieurs aux niveaux de 2019 et ne devraient pas baisser significativement à court terme.
Les autorités monétaires vont sans doute maintenir une politique prudente, car l’inflation pourrait ré-accélérer au second semestre de l’année.
Les mesures d’assainissement budgétaire seront sans doute renforcées à partir de 2025, car le déficit dépasserait inévitablement 3% du PIB cette année. Par conséquent, la Pologne sera confrontée à une procédure de déficit excessif au sein de l’Union européenne en 2024, car la clause relative au Pacte de stabilité et de croissance4, temporairement suspendue pendant la pandémie de Covid-19, a été réactivée en janvier 2024. Dans son rapport du 19 juin 2024, la Commission européenne a, d’ailleurs, annoncé l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif dès juillet. Les réformes liées au Pacte de stabilité et de croissance, récemment adoptées par l’UE en décembre 2023 sont globalement bienvenues. Elles prévoient désormais une certaine flexibilité avec une période d’ajustement budgétaire étendue de 4 à 7 ans pour les pays dont le déficit budgétaire est supérieur à 3% du PIB ou dont le ratio de la dette publique est supérieur à 60% du PIB. Dans le cadre du plan d’ajustement de quatre ans, les États membres devraient s’engager à réduire leur déficit de 0,5 point de PIB par an jusqu’à ce que le déficit budgétaire retombe en dessous de 3% du PIB.
Amortisseurs et garde-fous
Malgré la détérioration du déficit budgétaire au cours des dernières années, les finances publiques ne présentent pas de problèmes majeurs, car le pays dispose de garde-fous en matière budgétaire. Les mesures de discipline budgétaire sont inscrites dans la constitution polonaise qui prévoit le maintien du ratio de la dette publique en dessous de 60% du PIB. En outre, dans le cadre de la stratégie de gestion de la dette pour 2024-2027, la Pologne envisage de maintenir la part de la dette publique en devises étrangères en dessous de 25% du total (23,3% en mars 2024). Dans le cadre des engagements de l’UE, la Pologne doit aussi se conformer au Pacte de stabilité et de croissance, ce qui signifie que le pays devra mettre en place une trajectoire d’ajustement budgétaire à moyen terme.
Outre les garde-fous prévus au niveau national et européen, les paramètres budgétaires sont globalement solides. Les recettes sont supérieures à 40% du PIB et sont proches de la moyenne de l’Union européenne. Les impôts rapportés au PIB, à 35,2%, sont quant à eux, légèrement supérieurs à ceux de ses voisins et à la moyenne de l’OCDE (34%), mais inférieurs à ceux des économies développées (France : 46,1%; Allemagne : 39,3%) et des pays nordiques (Norvège : 44,3% ; Finlande 43% Danemark : 41,9%). Par ailleurs, l’impôt sur le revenu et les bénéfices ainsi que l’impôt foncier sont inférieurs à la moyenne de l’OCDE. S’agissant des dépenses, elles ont été multipliées par trois depuis l’entrée de la Pologne dans l’UE. Mais en pourcentage du PIB, elles sont restées plus ou moins stables, proches de 40% du PIB avec toutefois une hausse en 2023. La rémunération des salariés et les prestations sociales représentent l’essentiel des dépenses. Ces dernières ont vu leur part augmenter de manière significative au cours des dix dernières années.
Parmi les pays de l’UE, la Pologne présente une dette publique modérée, à 49,6% du PIB en 2023, bien en dessous de la moyenne de l’UE de 81,7% sur la même période et également en dessous de l’objectif de 60% dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Depuis l’entrée de la Pologne dans l’UE, le ratio dette publique/PIB a légèrement augmenté pour atteindre un pic de 57% du PIB en 2013, puis a diminué progressivement pour atteindre 45,7% du PIB en 2019. La tendance à la baisse a été temporairement interrompue à la suite des crises de la Covid-19 et de l’énergie. Au cours des cinq prochaines années, ce ratio va augmenter en raison du déficit primaire attendu et du poids de la charge des intérêts.
Le profil de la dette publique est solide, car la majeure partie est contractée en monnaie nationale (76,7% du total en PLN en mars 2024). Le reste est libéllé en EUR (17,6%), en USD (5%) et dans d’autres devises (0,7%).
La part de la dette publique domestique (obligations/titres du gouvernement) détenue par des investisseurs étrangers est relativement faible à 12,8% en mars 2024. Quant au risque de taux d’intérêt, il est plutôt faible, car la plupart des dettes sont également contractées à taux fixe.
La part de la dette à taux variable s’élevait à 29,4% en mars 2024. Parallèlement, le coût de la dette totale est modéré avec un ratio intérêts/recettes relativement faible.
Le risque de refinancement est contenu grâce à une structure de la dette, composée principalement d’obligations, dont l’échéance résiduelle est supérieure à 5 ans (38% de la dette publique en mars 2024).
La dette reste soutenable à moyen terme. La Pologne dispose de nombreux garde-fous et présente un profil solide en matière de dette. Les défis futurs vont néanmoins peser sur le budget et la priorité va consister à renforcer les amortisseurs budgétaires.
Un secteur bancaire solide
Le système bancaire polonais reste solide même s’il a été confronté à plusieurs chocs depuis 2020. Une fois arrivé à terme, le moratoire sur les crédits, introduit lors de la crise de la Covid-19 pour soutenir le secteur privé, a eu peu d’impact sur le taux de créances douteuses. Ce ratio est resté proche des chiffres des années précédentes, à 3,7% en décembre 2020. Fin 2023, les prêts non performants exprimés en pourcentage du total des prêts se sont davantage améliorés pour atteindre 2,3%. Les ratios de solvabilité restent très largement au dessus des normes prudentielles. Fin 2023, le taux de capitalisation du système bancaire était de 20,1% en moyenne. Parallèlement, les indicateurs de profitabilité du système bancaire, mesurés soit par le rendement sur fonds propres (Return On Asset, ROA) ou le rendement sur les actifs (Return On Equity, ROE) ont bien résisté. Les ratios ROE et ROA se sont nettement améliorés pour atteindre respectivement 11,9% et 1,5% en moyenne au T4 2023 dépassant largement les chiffres enregistrés avant la crise de la Covid-19. En 2020, la baisse des ratios ROE et ROA s’explique principalement par les provisions découlant des risques juridiques sur les hypothèques libellées en francs suisses et au moratoire sur les prêts mis en place par les autorités pendant la pandémie.
Globalement, le risque de crédit concernant les ménages est limité, compte tenu de la forte progression des salaires réels, du dynamisme du marché du travail et des mesures de soutien gouvernementales (moratoires, allocations familiales) en faveur des ménages. À court terme, le problème des crédits en francs suisses reste le risque principal mais il est loin d’être de nature systémique.
Des mesures de soutien ciblées sur le marché hypothécaire
Entre 2018 et 2021, les prêts immobiliers ont augmenté à un rythme modéré, de l’ordre de 6% en moyenne et ont été le principal moteur de la croissance du crédit aux ménages. L’année 2022 a marqué un tournant, le resserrement monétaire ayant entraîné une hausse des taux d’intérêt sur le marché du crédit. Les ménages et les entreprises ont subi une hausse significative du coût du crédit sur les anciens prêts, car ils étaient pour la plupart contractés à taux variable. Jusqu’en 2021, les prêts à taux variable représentaient plus de 90% du total des nouveaux prêts aux ménages. Par ailleurs, le taux moyen des prêts hypothécaires (pour une échéance supérieure à 5 ans) avait atteint 6,7% en moyenne en 2023 après 5,2% en 2022 et en comparaison de 2,4% en 2021. Sans surprise, les nouvelles transactions en matière de crédits aux ménages ont reculé sensiblement en 2022.
Pour amortir les évolutions défavorables sur les anciens prêts, les mesures des autorités ont ciblé le segment des prêts hypothécaires qui représente la majeure partie des prêts aux ménages, soit 61,6% de la dette totale des ménages en 2023 (les prêts à la consommation représentaient 25,8% en 2023). Un moratoire sur les prêts existants a ainsi été mis en place en juillet 2022. Cela a permis aux ménages de suspendre 4 mensualités en 2022 et 4 autres en 2023. La mesure a été prolongée en 2024 pour encore 4 mensualités mais les conditions pour en bénéficier dépendent des revenus.
Au deuxième semestre de 2023, le marché du crédit hypothécaire s’est redynamisé grâce au programme destiné aux primo-accédants de moins de 45 ans introduit par le gouvernement en juillet 2023. Cette mesure leur a permis de contracter un prêt à un taux d’intérêt fixe de 2% pendant 10 ans. Néanmoins, le gouvernement a décidé d’arrêter ce programme, très couteux pour les finances publiques, dès la fin de l’année 2023.
La reprise du crédit logement au S2 2023 s'est poursuivie début 20245 malgré des taux hypothécaires (sans subvention) relativement élevés. Cette reprise sera très probablement dynamisée à partir du S2 2024 par le nouveau programme de soutien gouvernemental qui sera mis en place pour les primo-accédants.
Prêts hypothécaires en francs suisses : le coût étalé pour les banques est un problème de longue date
Dans les années 2000, les ménages s’étaient lourdement endettés en devises étrangères, principalement en francs suisses (CHF), pour bénéficier des taux d’intérêt plus bas. Toutefois, la conjoncture internationale a changé en 2011, avec une forte appréciation du franc suisse par rapport au zloty polonais, ce qui a entraîné un alourdissement de la charge de la dette pour les ménages.
Depuis de nombreuses années, un processus de désendettement progressif des ménages sur leurs emprunts en francs suisses a été observé mais demeure encore inachevé à l’heure actuelle.
Fin 2023, les prêts immobiliers en CHF représentaient 3,1% de l’endettement total des ménages (5% des prêts immobiliers). En valeur, l’encours de ces crédits dans le bilan des banques ne représentait plus que PLN 18 mds ( 0,5% du PIB) en mars 2024 comparé à PLN 163,5 mds en décembre 2011.
Entre temps, les banques ont toutefois été confrontées à des risques juridiques liés à ce type de prêts ces dernières années et ont dû constituer des provisions importantes depuis 2020 (2022 : 6,5 milliards de PLN, 2021 : 8,4 milliards de PLN).
Globalement, d’après le rapport de stabilité financière de la Banque centrale de juin 2024, les provisions accumulées par les banques s’élèvent à plus de PLN 50 milliards en décembre 2023. Toujours selon la Banque centrale, des provisions supplémentaires estimées à environ 25-50 milliards de PLN répartis sur quelques années, pourraient être nécessaires. De plus ces provisions pourraient s’avérer plus importants pour les banques en cas de matérialisation significative du risque de change.
Conclusion
Depuis son entrée dans l’Union européenne en 2004, la Pologne a fait des progrès considérables en termes de convergence vers les économies développées de l’UE. Le PIB par habitant en volume a vu son écart se réduire considérablement et n’était plus que de 18,5% en dessous de la moyenne de l’UE à 37 957 USD en 2023 (en parité de pouvoir d’achat), contre 51,1% en 2004. La Pologne fait partie des principaux bénéficiaires des fonds européens et le pays reste une destination attractive en termes d’activités de nearshoring, ce qui lui permettrait de progresser dans la chaîne de valeur et de poursuivre sa convergence économique vers les pays de l’UE.
Les défis budgétaires sont dans l’ensemble maîtrisables. Le pays dispose de garde-fou solides. Cependant, la mise en œuvre des réformes reste une priorité afin de consolider les comptes publics.
Achevé de rédiger le 30 juin 2024