La croissance économique reste stable
La croissance a atteint 5% sur les trois premiers trimestres de l’année 2024. La contribution des exportations nettes a été positive mais très faible (0,2pp) en dépit d’une croissance soutenue des exportations. La demande intérieure est restée le principal moteur. La consommation des ménages et les investissements ont atteint respectivement 52,7% et 30,8% du PIB. En dépit de taux d’intérêt réels en hausse, les investissements ont continué leur progression (+4,5%) grâce, notamment, au dynamisme des investissements publics dans les infrastructures. Les investissements en machines et biens d’équipement ont principalement augmenté au troisième trimestre mais restent modestes (4% du PIB).
L’activité a été très dynamique dans le secteur des services et, en particulier, dans les services à forte valeur ajoutée (+6,7% sur les trois premiers trimestres). Elle a été plus modeste dans le secteur manufacturier (+4,3%), qui présente toutefois des disparités importantes entre secteurs. Ces divergences reflètent les transformations structurelles en cours depuis plusieurs années. D’une part, le secteur minier et les activités de transformation des métaux ont continué d’enregistrer une croissance très dynamique (+15,6%), stimulés par la stratégie du gouvernement Widodo d’interdire les exportations brutes de nickel, afin de développer les activités de transformation des matières premières. D’autre part, la croissance dans les industries intensives en main d’œuvre (textile, ameublement) a été beaucoup plus contenue (+3,6%). Cela est à mettre en perspective avec la forte hausse des importations en provenance de Chine. En trois ans, la part des secteurs manufacturiers à forte intensité de main d’œuvre dans le PIB a baissé de 0,3 point pour s’établir à 1,8% du PIB fin 2023, tout comme la part dans l’emploi total (-1pp), qui s’est établie à 13,8%. Les indicateurs disponibles pour l’année 2024 laissent à penser que la baisse s’est accentuée et expliquent la décision du gouvernement d’augmenter les droits de douane sur les produits textiles en juin 2024.
Les perspectives de croissance pour les trois prochaines années sont bien orientées. Elle devrait atteindre 5,1% en moyenne, soutenue par le dynamisme de la consommation des ménages et une hausse des investissement publics. Les principaux risques pour 2025 portent sur l’évolution des exportations en raison de la fragmentation du commerce mondial, du ralentissement économique chinois (principal partenaire commercial de l’Indonésie) et d’une hausse potentielle des tarifs douaniers américains. Par ailleurs, la hausse anticipée des pressions inflationnistes et le renforcement du dollar face aux devises émergentes (notamment la roupie) pourraient contraindre l’assouplissement monétaire et ainsi peser sur les investissements privés.
L’inflation devrait rebondir en 2025
En 2024, la hausse des prix a ralenti à 2,3% (vs. 3,7% en 2023). Pour l’année 2025, une légère accélération est attendue en raison de l’augmentation de 1 point de pourcentage (pp) du taux de TVA à 12% au 1er janvier 2025. Certains produits de première nécessité en sont cependant exonérés. L’inflation des prix à la consommation est attendue à 2,8% à fin 2025. Elle devrait rester dans la cible fixée par la banque centrale (2,5% +/- 1pp) sur l’ensemble de l’année.
En dépit des pressions inflationnistes modérées, les marges de manœuvre de la Banque centrale pour assouplir sa politique monétaire sont contraintes par l’évolution du taux de change. Sa récente décision d’abaisser ses taux directeurs (-25 points de base (pb) en janvier), pour soutenir sa croissance alors que les tensions baissières sur la roupie sont déjà fortes, pourrait fragiliser les comptes extérieurs.
Les investissements restent insuffisants
Le nouveau gouvernement de Prabowo Subianto a l’objectif de porter le taux de croissance de 5% en moyenne sur la période 2014-2024 (hors Covid) à 8% d’ici 2 à 3 ans. Pour ce faire, il va soutenir la consommation des ménages les plus défavorisés grâce à une politique sociale expansionniste. Mais cet objectif de croissance à 8% paraît irréaliste si elle n’est pas accompagnée d’une augmentation significative des investissements. En dépit de la hausse enregistrée au cours des deux dernières années, le taux d’investissement dans le pays reste inférieur à son niveau prépandémique. Il faudrait qu’il atteigne entre 39% et 45% du PIB (vs. 30,7% du PIB aujourd’hui) pour que la croissance s’élève à 7% compte tenu du taux d’efficacité du capital (incremental capital output ratio), légèrement supérieur à 6 en Indonésie. Pourtant, en 2025, le gouvernement prévoit de réduire ses dépenses d’investissement de 0,7pp à 0,8% du PIB. La priorité est donnée aux dépenses sociales, alors que les besoins en infrastructures du pays restent très importants. Si l’on se réfère au dernier indice de performance logistique du pays publié par la Banque mondiale, la qualité des infrastructures ne s’est pas améliorée au cours des cinq dernières années. En 2023, l’Indonésie était classée 59e sur 139 pays, loin derrière la Chine, la Thaïlande et le Vietnam. Les défaillances en matières d’infrastructures pèsent sur son attractivité et son développement industriel. Les investissements privés ne devraient pas non plus rebondir sensiblement. Les taux d’utilisation des capacités de production restent en-dessous de leur moyenne de long terme et les taux d’intérêt sur les prêts aux investissements ont augmenté de 120pb en termes réels au cours des douze derniers mois.
Quelle vulnérabilité face à Trump 2.0 ?
Depuis l’élection de Donald Trump, les rendements obligataires américains ont augmenté et entraînent dans leur sillage les taux longs indonésiens qui ont enregistré une hausse de 32pb entre décembre 2024 et mi-janvier. Cette évolution est à surveiller. En effet, la charge d’intérêt sur la dette publique a continué d’augmenter en 2024 pour atteindre un point haut à 2,3% du PIB (l’équivalent de 17,6% des recettes budgétaires), réduisant d’autant les marges de manœuvre budgétaires. Par ailleurs, même si ses comptes extérieurs sont relativement robustes, l’Indonésie a d’ores et déjà été fragilisée par d’importantes sorties de capitaux depuis l’arrivée au pouvoir de D. Trump.
Le déficit du compte courant est structurellement modeste, la dette extérieure de l’Indonésie est modérée et ses réserves de change suffisent à couvrir l’intégralité de ses besoins de financement à court terme. La principale source de fragilité est la faiblesse des entrées nettes d’investissements directs étrangers (IDE), qui se sont établis à seulement 1,3% du PIB en moyenne sur les cinq dernières années. Cela rend le pays dépendant des flux de dette et des investissements de portefeuille (volatils) pour financer son déficit courant. Sur les trois premiers trimestres de l’année 2024, le déficit du compte courant a augmenté de 0,7pp à 0,8% du PIB, principalement en raison de la baisse des prix des matières premières. Sur l’ensemble de l’année, il ne devrait pas avoir dépassé 1% du PIB et devrait donc être entièrement couvert par les flux d’IDE. En revanche, en 2025, le déficit courant devrait s’élever à 1,4% du PIB et pourrait ne plus être couvert par les IDE nets. Cela pourrait alors accroître la vulnérabilité de l’Indonésie aux sorties de capitaux volatils.
Or, depuis les résultats des élections américaines, l’Indonésie a enregistré, comme les autres pays d’Asie émergente, d’importantes sorties de capitaux, les marchés financiers craignant que la Réserve fédérale américaine laisse ses taux inchangés. La roupie s’est dépréciée face au dollar US de près de 4% depuis le mois de novembre 2024. À titre de comparaison, la roupie indienne, le ringgit malais et le baht thaïlandais ont perdu respectivement 2,1%, 3,3% et 2,5%. Les risques générés par cette dépréciation restent toutefois contenus. La dette extérieure totale du pays n’atteignait que 31,1% du PIB au T3 2024 et la dette des entreprises ne bénéficiant d’aucune couverture naturelle contre le risque de change constituait seulement 5,3% du PIB. Par ailleurs, la Banque centrale (Bank Indonesia, BI) détient des réserves de change suffisantes pour défendre sa monnaie (USD 140,1 mds, soit l’équivalent de 6,1 mois d’importations de biens et services). De plus, elle peut choisir d’émettre davantage de SRBI (Sekuritas Rupiah Bank Indonesia), des titres financiers libellés en roupies adossés à des obligations gouvernementales qu’elle détient, en offrant des rendements attractifs pour attirer les investisseurs étrangers. Pour contenir les tensions sur sa monnaie et préserver ses réserves, elle a aussi imposé aux entreprises exportatrices de matières premières de laisser en dépôt, auprès des banques commerciales, toutes leurs recettes en devises, et ce pour une durée d’un an minimum à compter du 1er mars.
Sur le plan commercial, le gouvernement Trump pourrait augmenter les droits de douane sur les produits en provenance d’Indonésie. Même si le déficit commercial américain avec l’Indonésie est modeste (« seulement » USD18mds en 2024) et sans commune mesure avec celui avec la Chine et le Vietnam (respectivement USD293mds et USD122mds), il a sensiblement augmenté au cours des cinq dernières années (+32,9%). En outre, l’Indonésie bénéficie aujourd’hui d’une politique commerciale tarifaire préférentielle, notamment pour les produits électroniques, les produits chimiques, le mobilier et le caoutchouc. Mais ces produits ne constituent que 1,4% de ses exportations vers les États-Unis. Plus globalement, tous produits confondus (produits intermédiaires et finaux), la valeur ajoutée de ses produits exportés à destination des États-Unis était estimée à 2,3% du PIB en 2020 (selon la base TiVA de l’OCDE), soit l’équivalent de 2,5% du PIB aujourd’hui si on appliquait la même structure commerciale. En nous appuyant sur les travaux de la littérature[1], qui estiment que l’élasticité des exportations à une hausse du tarif douanier serait de 1,3, on peut en déduire que l’adoption d’un droit de douane de 10% sur tous les biens indonésiens exportés vers les États-Unis (directement ou non) pourrait générer une baisse de son PIB de 0,3pp.
Achevé de rédiger le 4 février 2025