L’économie vietnamienne a affiché une croissance forte de 7,1% en 2024. Cette réussite devrait se poursuivre en 2025 : le secteur exportateur bénéficie du dynamisme de la demande électronique mondiale et ses capacités de production continuent d’augmenter grâce aux IDE ; l’immobilier se remet de la crise de 2022-2023, et la consommation privée devrait gagner en vigueur. De plus, le gouvernement dispose d’une large marge de manœuvre pour augmenter ses dépenses et investissements. Cependant, des risques baissiers élevés pèsent sur les perspectives économiques du pays. D’une part, un dollar fort et des taux d’intérêt inchangés aux États-Unis pourraient entraîner de nouvelles sorties de capitaux ; les pressions sur le dong et la liquidité externe contraindraient alors la politique monétaire. D’autre part, le Vietnam est vulnérable au risque protectionniste car il est fortement dépendant des exportations. Surtout, son rôle de « connecteur » entre les producteurs chinois et les importateurs américains, et son important excédent commercial avec les États-Unis pourraient amener l’administration Trump à taxer les produits vietnamiens.
Croissance forte tirée par le secteur exportateur
La croissance du PIB réel a atteint +7,1% en 2024 : un redressement impressionnant après le ralentissement des années 2020-2023. En 2025, la croissance devrait ralentir à 6,2%, un rythme toujours solide, soutenu notamment par la consommation privée et le maintien de politiques économiques accommodantes. Les perspectives d’exportation et d’investissement dans le secteur manufacturier sont plus incertaines.
Les exportations de marchandises ont rebondi rapidement à partir de l’automne 2023. Elles ont augmenté de +14% en g.a. en valeur en 2024 (contre -4,6% en 2023) et accompagné un solide redressement de la production industrielle (+7,8% en 2024, après +1,7% en 2023) et de l’investissement (+7,2% en 2024, après +4,1% en 2023). Le secteur manufacturier exportateur a largement profité du renforcement de la demande mondiale de biens technologiques, de l’expansion continue de ses capacités de production et de gains de parts du marché mondial dans une diversité de secteurs (allant des produits agricoles aux biens électroniques et ordinateurs). La part du Vietnam dans les exportations mondiales totales a augmenté à 1,7% en 2024, après avoir stagné à 1,5% en 2021-2023. En 2025, le pays reste bien positionné pour bénéficier du dynamisme de la demande électronique mondiale, augmenter ses capacités de production grâce aux investissements directs étrangers (IDE) et gagner des parts de marché. En même temps, la menace de barrières tarifaires, que pourraient imposer les États-Unis, constitue un risque baissier majeur sur les exportations.
Le secteur du tourisme s’est bien redressé depuis 2022, plus rapidement que dans les pays voisins. En 2024, le nombre de visiteurs a quasiment retrouvé son niveau d’avant-Covid (17,6 millions) et le montant des recettes touristiques l’a dépassé, atteignant 7% du PIB. Les exportations totales de services ont augmenté de +18% en g.a. en valeur sur les trois premiers trimestres de 2024. L’activité liée au tourisme va rester solide en 2025 : les autorités ambitionnent une hausse des recettes du secteur de près de 20%, notamment grâce au retour des touristes chinois, dont le nombre en 2024 était encore 40% en dessous de son niveau de 2019.
En 2024, la contribution des exportations nettes a été légèrement négative (graphique 1), le rebond en volume des importations ayant dépassé celui des exportations (dont le contenu en importations est élevé). La croissance solide du secteur exportateur et du tourisme a néanmoins eu des effets d’entraînement sur le reste de l’économie. De plus, la demande intérieure a bénéficié de la politique budgétaire accommodante et de l’assouplissement des conditions de crédit à partir du printemps 2023. L’activité dans l’immobilier et la construction (9,5% du PIB) s’est progressivement redressée et la croissance de la consommation privée a accéléré (de +3,4% en 2023 à +6,7% en 2024). Les ménages sont pourtant restés prudents en raison des pressions inflationnistes et de la crise immobilière. Leur consommation pourrait se renforcer plus vigoureusement en 2025.
L’inflation des prix à la consommation a accéléré de +2,4% en g.a. au T2 2023 à +4,4% au T2 2024, tirée par les prix alimentaires (+4% en 2024). L’inflation IPC a fléchi depuis et est passée en-dessous de 3% au T4 2024. L’inflation sous-jacente est restée proche de +2,7% en g.a. en 2024, soit un niveau modérément élevé. En 2025, l’inflation IPC devrait rester dans la bande cible de 4%-4,5% de la Banque centrale.
Amélioration de la gestion des finances publiques
Le gouvernement vietnamien dispose d’une bonne marge de manœuvre pour maintenir une politique budgétaire expansionniste. Les déficits sont inférieurs à 3% du PIB et la dette du gouvernement est modérée, estimée à 34% du PIB en 2024 (sur la base des données du FMI).
En 2025, le déficit budgétaire devrait rester stable, à 2,6% du PIB. Les dépenses publiques devraient continuer d’augmenter modérément, tirée par les dépenses courantes et les investissements. La part de ces derniers dans les dépenses totales devrait croître – signe, à la fois, d’une amélioration de la gestion des finances publiques et de la nécessité de renforcer les infrastructures (les réseaux d’eau et d’énergie en particulier). En outre, la réalisation des projets d’investissement public a été fortement ralentie de 2022 à 2024 par une vaste campagne anti-corruption menée par les dirigeants du Parti communiste vietnamien, dont les effets devraient s’estomper cette année.
Du côté des recettes, d’une part, la base fiscale devrait continuer de s’élargir progressivement, grâce à la poursuite de réformes administratives, au dynamisme de l’activité et au nouveau taux d’imposition minimum de 15% pour les entreprises multinationales (introduit en 2024). D’autre part, le gouvernement devrait reconduire les mesures fiscales de soutien à la demande intérieure.
Complexité de la politique monétaire et de change
Depuis le T2 2023, la Banque centrale (State Bank of Vietnam, SBV) a maintenu une politique monétaire et de crédit visant à favoriser le redressement du secteur immobilier et de l’activité économique. Sa marge de manœuvre a toutefois été limitée du fait de l’accélération de l’inflation jusqu’à la mi-2024 et des pressions à la baisse sur le dong (VND). Ainsi, SBV a laissé ses taux directeurs inchangés depuis juin 2023 (4,5% pour le taux de refinancement, après l’avoir réduit de 150 points de base au cours du T2 2023) et encouragé l’offre de prêts bancaires via l’ajustement de règles macroprudentielles. La croissance de l’encours de crédits au secteur privé a rebondi vigoureusement (+16% en g.a. fin 2024 contre +9% à la mi-2023). Elle devrait accélérer encore un peu en 2025, en ligne avec la cible fixée par les autorités.
D’un côté, le dong est soutenu par les excédents de la balance courante (5% du PIB attendu en 2024) et les entrées nettes d’IDE (4,2% attendu en 2024). D’un autre côté, le Vietnam reste exposé à d’importantes sorties de capitaux : en dépit du processus de stabilisation macroéconomique de ces dernières années, la confiance des résidents dans leur monnaie et leurs banques reste fragile. Ainsi, depuis 2022, le Vietnam a connu d’importantes sorties nettes de capitaux, d’abord sous l’effet du resserrement monétaire américain, dans un contexte de crise de confiance dans l’immobilier et le secteur financier vietnamiens, et récemment sous l’effet des changements d’anticipations sur la politique de la Réserve fédérale américaine et le dollar. Pour contrer les pressions à la baisse sur le dong, SBV a augmenté ses interventions sur le marché des changes, consommant ses réserves (selon le régime de change « flottant administré », le taux spot du dong contre dollar fluctue dans une bande de ± 5% autour du taux de référence fixé par la Banque centrale).
Au total, le taux de change spot VND/USD s’est déprécié de 4,5% sur l’année 2024, et de 10% depuis la fin 2021. La dépréciation est restée sous contrôle, mais au prix d’une réduction des réserves de change (passées de USD92 mds fin 2023 à USD84 mds fin septembre). Les réserves couvrent dorénavant moins de 3 mois d’importations de biens et services, ce qui constitue une maigre protection contre de nouveaux chocs externes. Certes, le Vietnam n’est pas très dépendant des financements externes et ne présente pas de risque de solvabilité ; le pays n’a pas besoin de contracter de nouvelle dette car sa balance de base (excédent courant + IDE nets) est positive. De plus, la dette extérieure est très modérée et en baisse graduelle (environ 30% du PIB en 2024, contre 37% en 2019). En revanche, à court terme, le Vietnam reste exposé au risque de sorties de capitaux et de pressions sur le taux de change, dans un contexte de dollar fort et de taux d’intérêt inchangés aux États-Unis. Des pressions excessivement fortes ou prolongées sur le dong et sur la liquidité externe pourraient forcer les autorités à élargir la bande de fluctuation du VND/USD et/ou durcir les contrôles de capitaux.
Trump 2.0 : danger ?
Le Vietnam est également exposé au risque de hausse des barrières douanières. D’abord, parce que son économie est très dépendante des exportations de marchandises (84% du PIB en 2024), et donc vulnérable au ralentissement de la demande mondiale que devrait provoquer la montée du protectionnisme. Une large part des exportations du pays est, en outre, destinée au marché nord-américain (29% en 2024, contre 19% en 2017). Ensuite, parce que le Vietnam remplit plusieurs critères qui retiendront l’attention de l’administration Trump. Premièrement, le déficit commercial des États-Unis avec le Vietnam a augmenté rapidement et est devenu le plus important, derrière la Chine, au sein des pays asiatiques. Il a atteint USD120 mds en 2024, contre USD38 mds à la veille du premier mandat de Trump en 2017 (graphique 2). Deuxièmement, le Vietnam est sur la « liste de surveillance » des politiques macroéconomiques et de change des partenaires commerciaux des États-Unis. Troisièmement, la part de la valeur ajoutée chinoise intégrée dans les exportations du Vietnam vers les États-Unis est élevée (estimée à 19% en 2024).
Depuis 2018, les entreprises chinoises ont en effet réorganisé leurs chaines de production, en délocalisant une partie de leurs usines pour produire dans des pays aux coûts de production plus bas et contourner les droits de douane américains. Les pays d’Asie du Sud-Est, en particulier le Vietnam, en ont largement profité. Leur intégration commerciale avec la Chine s’est accrue, et ils ont renforcé leur rôle de plateforme de production et d’exportation, tout en montant en gamme. Ils ont ainsi gagné une bonne partie des parts du marché nord-américain que la Chine a perdu depuis six ans. Par conséquent, les États-Unis pourraient augmenter les droits de douane sur les importations en provenance du Vietnam et d’autres pays intermédiaires dans lesquels les entreprises chinoises finalisent leurs produits.
Le Vietnam conserve pourtant des avantages comparatifs importants (niveau de formation adéquat et coût modéré de la main d’œuvre, avantage géographique, politiques proactives pour attirer les IDE, position neutre dans les conflits géopolitiques). Par conséquent, si les États-Unis n’imposent pas à l’avenir de droits de douane sur les biens vietnamiens, le pays devrait continuer de bénéficier des ajustements dans les chaines de production mondiales, d’attirer des IDE et d’étendre sa base d’exportations. À l’inverse, l’introduction de barrières douanières américaines pénaliserait à la fois ses exportations et les IDE.
Achevé de rédiger le 4 février 2025