Forte décélération de la croissance
Après la Banque centrale (Reserve Bank of India, RBI), le CSO (Central Statistical Office) a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour l’année 2024/2025, qui s’achèvera le 31 mars prochain. Ces révisions (respectivement 6,6% et 6,4% vs. 8,2% pour l’année 2023/2024) font écho au ralentissement de la croissance enregistré entre juillet et septembre 2024. Celle-ci n’a atteint que +5,4% en glissement annuel (g.a.), le rythme le plus faible enregistré au cours des sept derniers trimestres. Ainsi, au premier semestre budgétaire, la croissance s’est établie à seulement 6% contre 8,2% à la même époque l’année dernière. Ce ralentissement s’explique par une sensible décélération de l’activité dans l’industrie manufacturière et dans la construction. L’activité dans les services est restée solide bien qu’en légère décélération. Seule l’agriculture a rebondi. Du côté de la demande, en dehors des dépenses du gouvernement, toutes les composantes ont ralenti.
Au deuxième semestre budgétaire (octobre-mars), l’activité économique devrait accélérer, mais elle ne devrait pas excéder 6,7% selon la RBI. Les effets de base devraient être défavorables et le rebond modeste. Depuis le mois de novembre 2024, tous les indicateurs sont repartis à la hausse, tant du côté de l’offre que de la demande. La production industrielle a accéléré après avoir atteint un point bas en août, notamment dans le secteur manufacturier, et le rebond de la production d’acier et de ciment laisse à penser que l’activité dans la construction a repris. La consommation des ménages ruraux devrait rester soutenue par de bonnes récoltes d’été, des niveaux de remplissage des réservoirs d’eau plus élevés que la moyenne et de meilleurs semis d’hiver que ceux enregistrés en 2024. En revanche, bien qu’attendu en hausse, le rebond de la consommation des ménages urbains pourrait être plus nuancé. Les ventes de deux-roues ont sensiblement accéléré au quatrième trimestre tandis que la croissance des ventes de voitures, bien que repassées en territoire positif au mois d’octobre après trois mois de baisse, reste poussive (+4,4% en g.a. en novembre).
Concernant les investissements, même si le gouvernement devrait accélérer les mises en chantier, les entrepreneurs privés pourraient se montrer plus prudents et attendre d’avoir une meilleure visibilité sur l’évolution de l’environnement domestique et international. Les taux d’utilisation des capacités de production ont atteint un plateau et les taux d’intérêt moyens des nouveaux crédits restent supérieurs de plus de 40 points de base (pb) au niveau de l’année passée (en termes réels), alors que la situation financière des entreprises est moins confortable qu’en début d’année (avec la hausse de leur charge d’intérêts et une décélération de leurs profits). Au cours des trois prochaines années, le rythme de croissance est attendu à 6,5% en moyenne mais les risques baissiers sont élevés et le ralentissement des investissements est à surveiller. En l’absence d’un rebond significatif, les perspectives de croissance à court et moyen terme pourraient être révisées à la baisse.
L’inflation ralentit grâce aux prix alimentaires
En novembre, l’inflation a ralenti à 5,5% en g.a. principalement en raison de la nette décélération des prix alimentaires et d’un effet de base favorable. Hors alimentation et énergie, la hausse des prix est restée relativement stable à 3,6%. Au cours des prochains mois, les pressions inflationnistes devraient continuer de ralentir permettant à la RBI d’assouplir sa politique monétaire lors de ses trois prochains comités de politique monétaire, en abaissant le taux directeur à 5,75%, en dépit des tensions baissières sur la roupie. Le nouveau gouverneur de la Banque centrale semble, en effet, vouloir privilégier le soutien de la croissance à la stabilité de sa monnaie. Une telle politique est cependant risquée car elle alimenterait les pressions inflationnistes et pénaliserait la consommation des ménages les plus défavorisés, à moins qu’elle s’accompagne d’une baisse des taxes à l’importation ou d’une politique sociale expansionniste. Cela réduirait ses marges budgétaires pour accroître ses dépenses d’investissement.
Comptes extérieurs : hausse des tensions
Les comptes extérieurs de l’Inde sont structurellement robustes. Ses réserves de change sont abondantes (mi-janvier, elles couvraient 1,8 fois les besoins de financement à court terme du pays), le déficit de son compte courant est modéré (0,8% du PIB en moyenne sur les cinq dernières années), et sa dette extérieure est faible (19,3% du PIB). En outre, bien que vulnérable aux chocs sur les prix des matières premières et notamment au pétrole en tant qu’importateur net, l’Inde est parvenue à réduire son exposition en important son pétrole de Russie à un prix inférieur à celui du marché. Les principaux points d’attention portent sur le niveau très faible des IDE (en baisse depuis deux ans) et la plus grande vulnérabilité du pays aux chocs extérieurs avec l’intégration des obligations souveraines dans les indices émergents.
Le déficit du compte courant, en légère hausse aux T2-T3 2024 (à 1,2% du PIB), n’est plus couvert par les flux nets d’IDE (qui ont baissé à seulement 0,2% du PIB). Les tensions sur la balance des paiements ont été malgré tout limitées grâce aux investissements de portefeuille étrangers. Mais, depuis le mois d’octobre, en raison des importantes sorties de capitaux induites par la perspective d’un statut quo de la politique monétaire américaine, les pressions baissières sur la roupie ont sensiblement augmenté et les réserves de change ont baissé de plus de 11,5% (USD -70 mds). Mi-janvier, le cours de la roupie approchait les INR 87 pour USD 1, un niveau historiquement bas. Cette tendance devrait se poursuivre avec la hausse attendue du déficit du compte courant et la baisse des taux d’intérêt domestiques. Par ailleurs, le nouveau gouverneur de la Banque centrale semble adopter une stratégie différente de celle de son prédécesseur qui avait fait de la stabilité de la roupie son objectif principal. Laisser la roupie se déprécier augmenterait la compétitivité des exportations indiennes mais pourrait aussi attirer l’attention de la nouvelle administration Trump.
Trump 2.0 : quelles conséquences ?
La hausse potentielle des tarifs douaniers américains aura un impact modéré sur l’économie indienne.
En 2018, le gouvernement Trump avait imposé des droits de douane sur certains produits indiens, notamment sur l’acier (25%) et l’aluminium (10%), lesquels constituaient alors environ 6% des exportations indiennes à destination des États-Unis. Il avait également supprimé en 2019 la politique tarifaire préférentielle (0% de droit de douane) en vigueur notamment sur les composants automobiles, les produits chimiques et les réacteurs nucléaires, qui constituaient alors près de 12% des exportations. La mise en place de ces tarifs douaniers avait généré une baisse des exportations au cours des deux années qui avait suivi (en particulier pour les composants automobiles), mais elles avaient ensuite fortement rebondi. Les États-Unis sont restés le premier partenaire à l’exportation de l’Inde (17,6% de ses exportations totales). En 2024, le déficit commercial des États-Unis avec l’Inde, bien que supérieur à celui de l’Indonésie et de la Malaisie, est resté modeste (USD 45mds) comparé à celui avec la Chine et le Vietnam (respectivement USD293mds et USD122mds). Mais, à l’image de ce qui a été enregistré dans les autres pays d’Asie (hormis en Malaisie), ce déficit a sensiblement augmenté depuis 2020 (+62%). Cependant, la forte hausse des exportations indiennes vers les États-Unis ne traduit pas un déplacement de la production chinoise vers l’Inde mais plutôt celui des entreprises américaines vers des pays « amis ». Même si les pierres précieuses constituent toujours le premier produit exporté vers les États-Unis (13,4% des exportations à destination des États-Unis), la part des machines et équipements électriques a très sensiblement augmenté depuis 2020 jusqu’à atteindre 13% des biens exportés sur le sol américain en 2023 (vs. 3,2% en 2018). Les exportations de smartphones et de semi-conducteurs ont été multipliées par 3,2 entre 2022 et 2023. Cette très forte augmentation est la conséquence de l’afflux d’IDE dans ces secteurs d’activité à partir de 2020.
Malgré un excédent commercial modeste avec les États-Unis, et bien qu’elle ne soit pas accusée de manipuler sa monnaie, l’Inde, en tant que neuvième partenaire à l’importation des États-Unis, pourrait toutefois subir une nouvelle hausse des tarifs douaniers américains, à moins qu’elle baisse ses droits de douane sur les produits américains importés. Mais ses marges de manœuvre pour « négocier » avec les États-Unis sont limitées. Ces derniers bénéficient déjà d’une politique tarifaire plus favorable que les autres partenaires commerciaux. Le taux tarifaire moyen pondéré sur ses importations de produits agricoles en provenance des États-Unis était de seulement 1,8% en 2022 (contre 4,7% pour l’UE, son premier partenaire commercial pour ce type de biens). Concernant ses importations de produits non-agricoles, le taux était de seulement 2,7% en 2022 sur les produits américains (contre 3,5% sur les produits de l’UE). Si le nouveau gouvernement Trump décidait toutefois d’augmenter ses tarifs douaniers sur les produits importés en provenance d’Inde, l’impact sur l’économie indienne serait a priori modeste. Les exportations à destination des États-Unis représentaient 2% de son PIB en 2023. L’adoption d’un tarif de 10% sur les biens indiens exportés vers les États-Unis pourrait générer une baisse de son PIB de 0,2pp (à supposer que l’élasticité des exportations aux droits de douane soit de 1,3 comme indiquée dans l’étude de Haberkorn, Hoang, Lewis, Mix et Moore de 2024).
Dans le cas où le gouvernement Trump épargnerait l’Inde, le pays pourrait bénéficier d’une redirection des flux commerciaux ayant comme destination finale les États-Unis car le coût de sa main d’œuvre, très abondante, reste très inférieur à ce qui prévaut dans les autres pays d’Asie et ses performances en matières logistiques sont équivalentes à celles du Vietnam. Encore faudrait-il que le gouvernement parvienne à lever les contraintes qui pèsent sur le développement de son secteur manufacturier et pénalisent les IDE, lesquelles restent fortes en dépit des efforts du gouvernement Modi.
Achevé de rédiger le 20 janvier 2025