L’économie japonaise continue de se caractériser par une croissance faible, en ralentissement au T3. Le momentum positif sur l’inflation et les salaires va dans le sens des objectifs de la Banque du Japon. Ce tableau devrait lui permettre de poursuivre son resserrement monétaire graduel. Mais, les développements de politique intérieure (élections générales ayant abouti à une perte d’assise politique pour le gouvernement) et extérieure (victoire de Donald Trump) n’aident pas à la stabilité.
Un rebond de la croissance annuelle à venir
La croissance japonaise a fléchi à +0,3% t/t (-0,2pp) au troisième trimestre après le rattrapage du T2. Nous anticipons une progression au même rythme au T4.
Le taux de croissance annuel moyen de 2024 s’inscrirait, dans ces conditions, dans le rouge, à -0,2%, un résultat en repli significatif par rapport à 2023 (+1,7%), du fait de l’acquis de croissance négatif et de la contraction du T1.
La croissance du T3 est soutenue par la consommation privée (+0,7% t/t, +0,1pp), qui constitue le premier moteur de croissance, loin devant l’investissement résidentiel (+0,4% t/t, -0,8pp). À l’inverse, l’investissement productif a déçu (-0,1% t/t, -1,0pp), comme la demande publique.
Enfin, la contribution négative la plus importante provient du commerce extérieur, du fait d’une croissance des importations (+1,8% t/t) excédant sensiblement celle des exportations (+1,8% q/q).
En 2025, le rythme séquentiel serait plus modéré, avec des taux de croissance trimestriels de l’ordre de +0,1% t/t, plus en ligne avec l’estimation de la croissance potentielle par le Cabinet Office. Pour l’ensemble de l’année, la croissance s’élèverait à 0,7%, un chiffre nettement plus haut qu’en 2024, permis par l’amélioration du revenu disponible des ménages.
Toutefois, le potentiel de rebond de la croissance japonaise reste limité par les contraintes d’offre (voir ci-après).
Impasse sur l’offre de travail
Le marché du travail japonais – et, in fine, les perspectives de croissance de l’économie – continue de souffrir du manque de main d’œuvre. Au T4, l’indice Tankan d’utilisation des facteurs a fait l’objet d’une nouvelle détérioration, liée au manque d’offre de travail, à un plus bas sur l’historique disponible (2003). La croissance de la force de travail, susceptible de répondre à cette problématique, a marqué le pas au cours des derniers mois. Le taux de chômage, qui s’élève à 2,5% en octobre, n’a que marginalement augmenté depuis le début de l’année (+0,1pp).
Sur le plan salarial, les derniers chiffres, datés de septembre, font état d’une croissance des salaires contractuels programmés à un plus haut sur 30 ans, à +2,5% a/a. En revanche, l’indice des salaires réels peine à se fixer en territoire positif de façon soutenable. En effet, deux mois de repli en variation annuelle (août et septembre, respectivement à -0,8% et -0,4%) ont succédé à deux mois consécutifs de progrès.
Momentum haussier pour l’inflation
L’inflation semble réaccélérer au T4. Après avoir reflué en septembre du fait du retour du subventionnement des factures énergétiques, l’inflation sous-jacente (hors nourriture non-transformée et énergie) comme l’indice new-core affichent une augmentation mensuelle de +0,6% en octobre (après, respectivement, -0,3% et +0,1% en septembre).
Des mouvements divergents (-0,2pp et +0,2pp) rapprochent l’évolution en glissement annuel des deux indices, à +2,3% a/a, alors que les effets de base de l’année précédente pointaient vers des chiffres plus faibles. L’inflation des services, à +1,5% a/a en octobre, particulièrement scrutée, a également gagné en momentum ces derniers mois – exception faite de septembre.
Enfin, l’inflation Tokyo de novembre, indicateur avancé de l’inflation au niveau national, s’inscrit également dans cette tendance d’accélération (sous-jacent à +2,2% a/a, +0,4pp).
En 2025, la montée en puissance de la boucle salaires-prix et un yen toujours faible devraient maintenir l’inflation sous-jacente au-dessus de sa cible de 2%, avant un retour autour de celle-ci à partir du T4 et en 2026.
Une instabilité politique vouée à se poursuivre
Des élections générales anticipées se sont tenues le 27 octobre. Celles-ci ont été convoquées par Shigeru Ishiba, consécutivement à son arrivée à la tête de la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD) et à la tête du gouvernement en remplacement de Fumio Kishida. Le vote a abouti à une perte de majorité absolue (233) à la Chambre des représentants pour le PLD, qui passe de 259 à 191 élus. De plus, le concours de son allié traditionnel de Komeito (24 sièges) est insuffisant pour sécuriser une position majoritaire. Il s’agit d’une occurrence rare et inédite depuis 2009 dans la vie politique japonaise. Ishiba est toutefois parvenu à se maintenir au poste de Premier ministre à la faveur d’un vote minoritaire le 11 novembre.
Le nouveau cabinet a annoncé une légère augmentation du stimulus budgétaire pour l’année fiscale 2024 (qui s’achève le 31 mars 2025). Celui-ci s’élève à 13,9 trillions de yens (2,3% du PIB), contre 13,2 en 2023. Le plan, qui inclut des allocations aux ménages modestes et la poursuite du subventionnement sur les factures énergétiques, doit être validé par le Parlement. Le Premier ministre plaide pour une poursuite du soutien aux ménages tant que la croissance des salaires n’excède pas l’inflation. En outre, la nouvelle configuration politique constitue un terrain fertile à davantage de soutien budgétaire en 2025. En effet, la survie de l’actuel gouvernement est notamment dépendante du soutien – ou de l’absence de défiance – du Parti démocratique pour le peuple (DPP), favorable aux baisses d’impôts.
Politique monétaire
La Banque du Japon s’est montrée précautionneuse après sa hausse inattendue de taux directeur de l’été dernier : elle a maintenu l’uncollateralized overnight call rate stable à +0,25% lors des deux réunions consécutives de septembre et d’octobre. Cependant, la BoJ reste sur son scénario de « continuer à augmenter le taux directeur et à ajuster le degré d’assouplissement monétaire » sur la base de ses prévisions de croissance et d’inflation sous-jacente (respectivement, 1,1% et 1,9% sur l’année fiscale 2025). Nos propres prévisions tablent sur trois hausses de taux (+25 pb pour chacune) en 2025, portant le taux directeur à +1,0% en fin d’année prochaine - un plus haut depuis 1995.
Par ailleurs, alors que le résultat de l’élection présidentielle américaine ne sera pas sans impact sur l’économie japonaise, Kazuo Ueda a admis prendre sérieusement en compte les mouvements sur le yen pour les « projections économiques et d’inflation ». Il a également déclaré que si le JPY devait s’affaiblir davantage avec une inflation au-dessus de 2%, ceci appellerait à des contre-mesures de la part de la BoJ.
Le Japon face au retour de Donald Trump
Pour le Japon, la victoire de Donald Trump s’accompagne d’un regain d’incertitude sur le plan géopolitique, notamment sur les questions de défense, mais également sur le plan économique. Sur ce dernier thème, les risques principaux sont liés aux mesures sur les droits de douane et aux conséquences potentiellement inflationnistes des projets de Donald Trump. L’application de tarifs douaniers plus élevés sur les produits japonais endommagerait la compétitivité-prix des entreprises exportatrices (sans grande possibilité d’absorber cela dans les marges car la demande domestique est déjà peu dynamique). Cela aurait des conséquences négatives pour la croissance d’un pays pour lequel les États-Unis est le premier marché à l’exportation (22% en 2023). De plus, la Chine, deuxième marché du Japon, devrait être particulièrement visée par Donald Trump, avec un droit de douane effectif moyen qui s’élèverait à 40% (+25pp) au T1 2026 au terme d’une augmentation incrémentale, ce qui peut supposer davantage d’effets négatifs par le canal indirect d’un ralentissement chinois.
Le yen pourrait également faire l’objet d’une plus ample détérioration face à l’USD en cas de réduction du déficit commercial américain et, surtout, du fait du surcroît d’inflation attendu aux États-Unis (les droits de douanes étant supportés par le consommateur final) entraînant le maintien d’une politique restrictive par la Réserve fédérale. Une appréciation de la parité USDJPY est généralement favorable aux actions japonaises et, en l’espèce, pourrait aider à l’atténuation de l’impact des hausses de tarifs douaniers. Les profits nominaux des entreprises nationales ont d’ailleurs battu, au T2 2024, leur record établi un an plus tôt sur fond de tendance baissière du JPY. À l’inverse, l’accroissement de l’inflation importée et une plus grande restriction monétaire pour réduire le différentiel de taux d’avec les États-Unis impacteraient négativement une demande déjà structurellement endémique.
Achevé de rédiger le 11 décembre 2024