En miroir de la déclaration, et du passage à l'acte, de Jerome Powell selon lesquels il est temps d'ajuster (c'est-à-dire d'assouplir) la politique monétaire, il est également temps d'ajuster la politique budgétaire en Europe et aux États-Unis, dans le sens d’un durcissement dans les deux cas. Le moment est favorable, sur fond de détente monétaire, de baisse de l’inflation et de croissance économique positive. Plus encore que le desserrement monétaire, cette consolidation budgétaire devra être progressive pour ne pas trop peser sur la croissance. Et à l’image des banques centrales qui se sont montrées déterminées dans leur réponse au choc inflationniste, les gouvernements devront faire preuve de détermination et de persévérance dans les efforts à venir de consolidation budgétaire, tant ceux-ci sont nécessaires et importants.
La question de la nécessité de la consolidation budgétaire n’est pas nouvelle : l’ampleur des déséquilibres budgétaires accumulés au fil des ans dans un grand nombre de pays développés justifie depuis quelque temps déjà de s’y attaquer. Et ce, pour retrouver des marges de manœuvre et s’assurer que les ratios de dette publique restent soutenables. La question de la difficulté d’engager une telle consolidation, dans le choix des mesures et compte tenu de l’impact économique négatif, n’est pas nouvelle non plus. L’objet de cet édito est de présenter dans les grandes lignes les termes de ce débat et de mettre en avant que le moment paraît opportun aujourd’hui, le resserrement de la politique budgétaire pouvant se faire parallèlement au desserrement déjà amorcé de la politique monétaire et les effets négatifs sur la croissance du premier pouvant ainsi être amortis par les effets positifs du second.
Un ajustement est nécessaire, sans plus tarder
La nécessité de la consolidation budgétaire ne fait aucun doute au regard de l’état détérioré des finances publiques. Certes, les déséquilibres à résorber sont d’ampleur différente selon les pays. Le déficit budgétaire américain est extrêmement important (8,4% du PIB en 2023) et le ratio de dette publique atteint 124%, en hausse de 16 points de PIB par rapport à 2019[1]. En Europe, derrière les chiffres agrégés (déficit budgétaire de 3,5% en 2023, ratio de dette publique de 83%, en hausse de 4 points par rapport à 2019), le paysage est contrasté. Certains des mauvais élèves d’hier ne le sont plus aujourd’hui : la Grèce, le Portugal et l’Irlande dégagent de larges excédents primaires, leurs ratios de dette publique sont en forte baisse et le déficit budgétaire espagnol est proche de passer sous la barre des 3%. Ces bons résultats sont à mettre sur le compte des efforts de consolidation budgétaire consentis (imposés) et d’une croissance actuellement plus forte. En revanche, huit pays sont visés par une procédure de déficit excessif par Bruxelles : la Belgique, la France, l’Italie, Malte, la Slovaquie, la Roumanie, la Hongrie et la Pologne. Ces pays seront astreints à des ajustements budgétaires importants. Les nouvelles règles de gouvernance budgétaire européenne donnent certes un peu plus de temps et de souplesse pour procéder à ces ajustements, mais c’est précisément pour renforcer la crédibilité de la discipline budgétaire demandée. Pour ces pays, et cela vaut pour les États-Unis aussi, le problème n’est pas tant le niveau des ratios de dette publique que leur trajectoire haussière, qu’il faut a minima interrompre et stabiliser. Il est aussi indispensable de retrouver des marges de manœuvre budgétaires.
La consolidation budgétaire devrait également permettre de réduire les tensions importantes qui se sont formées entre la politique monétaire et la politique budgétaire depuis la crise financière de 2008. Les travaux de Bolhuis et alii (2024) [2] mesurent ces tensions par l’écart entre le taux neutre de la politique monétaire et ce même concept appliqué à la politique budgétaire[3]. Le r* budgétaire peut être considéré comme un taux plafond au-delà duquel la trajectoire de dette peut devenir explosive. Or, depuis le début des années 2000, le r* budgétaire a fortement baissé, plus que le r* monétaire : l’écart entre les deux (r* monétaire – r* budgétaire) est donc devenu de moins en moins négatif, pour être quasi nul fin 2022 sur leur échantillon de 16 pays avancés, soit son plus haut niveau depuis les années 1950. Et plus ce taux neutre budgétaire baisse, plus la marge de manœuvre se réduit pour entretenir un déficit budgétaire. Dans la mesure où, historiquement, les tensions au niveau du policy mix tendent à être suivies de conséquences économiques négatives, un ajustement du policy mix est nécessaire pour les réduire. La consolidation budgétaire y contribuerait en rehaussant le taux neutre budgétaire.
Le moment est favorable
Élément important et facilitateur : l’évolution du célèbre écart r-g apparaît favorable pour engager de tels efforts. Comme déjà souligné dans une précédente publication[4], la Banque de France relève judicieusement à l’égard de la France, mais cela vaut pour les autres pays, que « la période à venir de reprise progressive et d’assouplissement monétaire n’est pas défavorable au redressement budgétaire nécessaire pour maîtriser la dette publique »[5]. En d’autres termes, c’est le bon moment pour procéder à un ajustement budgétaire contracyclique mesuré. Les effets négatifs sur l’activité de la consolidation budgétaire seront atténués par les effets positifs des baisses de taux directeurs. La reprise en zone euro s’en trouverait limitée mais pas empêchée, tandis qu’aux États-Unis, si une consolidation budgétaire était engagée – ce qui ne semble pas dans l’air du temps –, elle participerait opportunément au freinage de l’économie, qui reste dynamique à de nombreux égards[6]. Il n’est pas fréquent, nous semble-t-il, que l’évolution du policy mix apparaisse ainsi adaptée aux conditions économiques. On pourrait souhaiter un résultat plus favorable encore s’il y avait une concertation et une coordination explicites de l’action conjointe des autorités monétaires et budgétaires.
Progressivité et ciblage sont de mise
Les raisons pour s’attaquer aux déséquilibres budgétaires actuels ne manquent pas. La nécessité de le faire de manière progressive fait également consensus. Il s’agit de faire preuve d’une rigueur budgétaire proportionnée et non de mettre en place une politique d’austérité pour ne pas reproduire les erreurs de celle menée à marche forcée pendant la crise des dettes souveraines européennes au début des années 2010. C’est un des messages mis en avant par l’OCDE dans ses dernières perspectives économiques : l’organisme prône le retour de la discipline budgétaire (dans les meilleurs délais) mais pas le retour à l’austérité[7].
Tout l’enjeu réside dans la manière dont la consolidation budgétaire sera menée et dans les leviers qui seront activés en matière de hausses d’impôts et de baisses de dépenses, sachant qu’il n’apparaît pas possible de se priver de l’un ou l’autre de ces derniers. Toute la difficulté est d’identifier et de mettre en œuvre les mesures les plus efficaces pour réduire rapidement et durablement le déficit et, en même temps, les moins préjudiciables sur le front économique, social et environnemental, à court terme et à long terme. En Europe singulièrement, une manière de minimiser l’impact négatif sur la croissance pourrait être, notamment, de déployer des mesures à même de débloquer le surcroît d’épargne des ménages qui demeure important. Sans aller jusqu’à parler de consolidation expansionniste, l’idée est aussi d’avoir une stratégie de consolidation la plus crédible possible, pour faire en sorte que les ménages soient les plus ricardiens possibles, c’est-à-dire qu’ils puisent dans leur épargne dès aujourd’hui en anticipant les baisses d’impôts de demain. Tâche éminemment difficile et numéro d’équilibriste pour les gouvernements mais leurs programmes d’ajustement budgétaire pourront être jugés à l’aune de ces différents critères.
Pour conclure, bien que cette problématique de consolidation budgétaire concerne un grand nombre de pays, seule l’Europe apparaît prête à s’y engager résolument, ce qui est salutaire. Les États-Unis sont confrontés à des déséquilibres budgétaires énormes qui ne donnent pas le sentiment d’être sous contrôle. En outre, aucun des deux candidats à la présidentielle n’affiche de désir manifeste de s’y atteler. La politique budgétaire outre-Atlantique risque de rester accommodante plutôt que de devenir restrictive, ce qui pose question. Certes, la croissance américaine s’en trouverait soutenue, à des degrés divers selon le candidat, mais en a-t-elle besoin actuellement (en dehors du soutien apporté par la baisse des taux) ? Et ce serait, par ailleurs, au prix d’une fragilisation supplémentaire des finances publiques et d’un risque accru de stress financier. Ces observations valent pour la Chine également : le pays a annoncé récemment une importante relance budgétaire de son économie. Ce soutien est certes nécessaire, mais il ne doit pas occulter le fait que le pays est aussi confronté à des déséquilibres budgétaires importants, même si c’est a priori (les statistiques chinoises manquant de lisibilité et de transparence) dans une moindre mesure que les États-Unis ou l’Europe.
Achevé de rédiger le 7 octobre 2024