Edito

Après Jackson Hole : un peu de clarté, encore beaucoup d’incertitude

10/09/2024
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Si la date de la première baisse de taux de la Fed est désormais prévisible (ce sera lors du FOMC des 17-18 septembre), tout le reste demeure incertain : son ampleur ainsi que la teneur globale du cycle de baisses et son calendrier. L’évolution du marché du travail américain revêt une grande importance dans ce calibrage. Du côté de l’inflation, d’importants progrès ont été réalisés sur le front du retour à la stabilité des prix et ce, des deux côtés de l’Atlantique, mais la partie n’est pas encore totalement gagnée. Cela plaide pour la prudence dans la phase de détente monétaire qui s’amorce. Nous anticipons que la Fed ouvrira ce cycle par une baisse de 25 pb plutôt que de 50 – le ralentissement ordonné du marché du travail militant en ce sens – et qu’elle procèdera en tout à 8 baisses de taux d’ici la fin 2025 (5 consécutives puis 1 par trimestre), portant la fourchette des Fed Funds à 3,25-3,50%. La Fed parviendrait ainsi à piloter l’atterrissage en douceur de l’économie américaine. La BCE et la BoE ont entamé leur assouplissement monétaire un peu plus tôt que la Fed (juin pour la BCE, août pour la BoE) et elles le poursuivraient au rythme très graduel de -25 pb tous les trimestres (jusqu’au T3 2025 pour la BCE, amenant le taux de dépôt à 2,50% ; jusque fin 2025 pour la BoE, le bank rate terminant à 3,75%), totalisant chacune 6 baisses de taux.

Au moins une chose est claire après Jackson Hole et le discours d’ouverture de Jerome Powell le 23 août : la Réserve fédérale américaine considère « qu’il est temps d’ajuster sa politique », c’est-à-dire de baisser ses taux directeurs[1]. Et il a été très explicite sur les raisons sous-jacentes à cette annonce et le renversement de la balance des risques entre les deux composantes du mandat de la Fed (la stabilité des prix et le plein-emploi) : l’inflation n'est plus le souci premier, c’est la situation sur le marché du travail qui importe désormais. Powell s’est également montré clair dans sa présentation des raisons de la flambée de l’inflation (« une collision extraordinaire entre une demande en surchauffe et temporairement déformée et une offre contrainte ») puis de son reflux (la dissipation de ces distorsions et la réponse monétaire), s’accordant un autosatisfecit certain vis-à-vis du rôle important de la politique monétaire dans ce reflux. Philip Lane pour la BCE[2] et Andrey Bailey pour la BoE[3], quant à eux, n’ont accordé à la politique monétaire qu’un rôle parmi d’autres, tout en soulignant a minima et à raison l’importance du resserrement monétaire sur l’ancrage des anticipations d’inflation.

Si la date de la première baisse de taux de la Fed est désormais prévisible (ce sera lors du FOMC des 17-18 septembre), la question de son ampleur reste ouverte ainsi que, assez naturellement, la teneur globale du cycle de baisses et son calendrier. Juste après avoir énoncé qu’il était temps pour la Fed d’ajuster sa politique, que la « direction du voyage était claire », Powell ne s’est pas avancé davantage et a précisé que « la date et le rythme des baisses de taux dépendront des données reçues, de l'évolution des perspectives et de la balance des risques ».

L’évolution du marché du travail américain est clé pour la politique monétaire qui sera adoptée. Aujourd’hui, la nature exacte du ralentissement en cours est toujours difficile à déterminer. S’agit-il seulement et essentiellement d’une normalisation des tensions post-Covid-19 et dans ce cas, on peut s’attendre à un arrêt naturel de la dégradation à plus ou moins brève échéance. Ou ce ralentissement est-il principalement le fait du resserrement monétaire et dans ce cas, il faut s’attendre à une poursuite de la dégradation jusqu’à la survenue possible d’une récession, sauf si la Fed parvient à opérer un atterrissage en douceur grâce à l’assouplissement de sa politique monétaire.

La difficulté évidemment est que le ralentissement du marché du travail procède probablement des deux effets mais dans une proportion indéterminée. Cela peut néanmoins jouer en faveur de la Fed et l’aider dans son pilotage fin de l’atterrissage. Le président de la Fed de Richmond, Tom Barkin, évoque avec pertinence un « low hiring, low firing mode »[4], dont on ne sait pas encore comment l’économie américaine sortira, par le haut (redressement des embauches) ou par le bas (augmentation des licenciements). Notre scénario central continue d’anticiper une sortie vers le haut, un atterrissage en douceur de l’économie américaine plutôt qu’une récession, à la faveur notamment de la baisse des taux d’intérêt. Mais, si le risque de récession reste bas de notre point de vue, il augmente.

Du côté de l’inflation, d’importants progrès ont été réalisés sur le front du retour à la stabilité des prix et ce, des deux côtés de l’Atlantique, mais la partie n’est pas encore totalement gagnée. Autant la baisse de l’inflation « headline » est importante, autant celle de l’inflation sous-jacente est bien plus mesurée et lente, à cause notamment de l’inflation dans les services toujours élevée et persistante : la cible de 2% apparaît encore relativement éloignée de ce point de vue. Philip Lane l’a clairement exprimé à Jackson Hole en disant, dans sa conclusion, que « le retour à la cible n’est pas assuré ». Cela plaide pour la prudence dans la phase de détente monétaire qui s’amorce. Et Isabelle Schnabel est un porte-voix important de cette approche, comme en atteste encore son dernier discours[5].

On citera aussi deux arguments avancés pour aller, au contraire, relativement vite dans la détente monétaire et, au moins, le retour au taux neutre : 1/ équilibrer le policy mix pour contrebalancer le durcissement à venir de la politique budgétaire (cet argument vaut davantage pour l’Europe que pour les États-Unis où la politique budgétaire risque de rester accommodante plutôt que de devenir restrictive[6]) ; 2/ partant d’un degré de restriction monétaire relativement élevé (qui pourrait justifier à lui seul d’être réduit rapidement selon certains points de vue), la longueur des délais de transmission de la politique monétaire et son impact apparemment plus faible sur l’activité.

TAUX DIRECTEURS DES BANQUES CENTRALES : LES DIFFÉRENTS CHANGEMENTS

D’après nos prévisions tout juste actualisées, le cycle de détente de la Fed, de la BCE et de la BoE, sans être parfaitement identique, resterait globalement synchrone, sur la ligne d’un assouplissement graduel, un peu plus important côté américain compte tenu du point de départ plus élevé, le tout s’inscrivant dans un mouvement généralisé de baisses des taux (cf. tableau). Nous anticipons que la Fed amorcera son cycle d’assouplissement monétaire par une baisse de 25 pb des Fed Funds lors du FOMC des 17-18 septembre. Le rapport « emploi » publié le 6 septembre et les autres indicateurs récents du marché du travail américain continuent de décrire un ralentissement ordonné et justifient une baisse de 25 pb plutôt que de 50. Les derniers commentaires du Président de la Fed de New York John C. Williams[7] ainsi que du gouverneur de la Fed Christopher J. Waller[8] vont également dans le sens d’un premier ajustement mesuré.

Ce premier mouvement serait suivi de quatre autres (-25 pb à chaque meeting, en novembre et décembre 2024 et janvier et mars 2025) puis d’une baisse de 25 pb par trimestre, portant la fourchette des Fed Funds à 3,25-3,50% fin 2025 puis à 2,75-3,00% mi-2026, qui marquerait le point d’arrivée. La prochaine réunion de la BCE (le 12 septembre) devrait se conclure par une deuxième baisse de 25 pb du taux de dépôt. L’assouplissement se poursuivrait selon un rythme graduel de -25 pb tous les trimestres (avec, au T4 2024, une troisième baisse plus probablement en décembre qu’en octobre) jusqu’au T3 2025, amenant le taux de dépôt à 2,50%, soit la fourchette haute de notre estimation du taux neutre. La BoE serait sur le même rythme que la BCE, avec une baisse de -25 pb tous les trimestres mais, ayant diminué son taux directeur (bank rate) pour la première fois en août, la prochaine baisse interviendrait le 7 novembre. Le bank rate terminerait à 3,75% fin 2025 mais le cycle de baisses se prolongerait jusqu’à la mi-2026 environ, le portant à 3%.


[1] Speech by Chair Powell on the economic outlook - Federal Reserve Board, 23 août 2024.

[2] The effectiveness and transmission of monetary policy in the euro area (europa.eu), 24 août 2024.

[3] Reflecting on recent times – speech by Andrew Bailey | Bank of England, 23 août 2024.

[4] How Richmond Fed President Tom Barkin Sees the Economy Right Now - Bloomberg, 27 août 2024.

[5] The euro area inflation outlook: a scenario analysis (europa.eu), 30 août 2024.

[6] Un risque sur lequel la Fed devrait communiquer davantage d’après Adam Posen (président du Peterson Institute for International Economics), pour se préparer et préparer les esprits à un éventuel changement de pied et resserrement monétaire en 2025 en cas de réaccélération de l’inflation (What Jay Powell should say at Jackson Hole (ft.com), 22 août 2024).

[7] ‘E’ Is for Equipoise - FEDERAL RESERVE BANK of NEW YORK (newyorkfed.org), 06 septembre 2024.

[8] Speech by Governor Waller on the economic outlook - Federal Reserve Board, 06 septembre 2024.

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