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Audiobrief | Le retour vers le futur du travail indépendant

26/06/2024

Dans cet Audiobrief Stéphane Colliac discute du travail indépendant en France. Celui-ci se développe de nouveau depuis près de 20 ans, notamment dans les services à la personne, mais également dans les services aux entreprises. Dans une France qui a créé près de 420000 emplois par an sur les 5 dernières années, l’emploi indépendant a ainsi représenté près d’une création d’emploi sur 5.

Transcription

Vous êtes économiste au sein de l’équipe OCDE des Études Économiques du groupe BNP Paribas et dans cet Audiobrief vous allez nous parler du travail indépendant en France.

Alors ma première question est que représente l’emploi indépendant en France ? Eh d’ailleurs, comment définiriez-vous ce dernier ?

Les indépendants, ou non-salariés, sont les personnes qui travaillent mais sont rémunérées sous une autre forme qu’un salaire. A la différence des salariés, qui eux travaillent, aux termes d'un contrat, pour une entité résidente en échange d'un salaire ou d'une rétribution équivalente, avec un lien de subordination.

Dans le passé, un indépendant pouvait être essentiellement un artisan, un agriculteur, un commerçant ou un avocat. C’est-à-dire quelqu’un qui est son propre patron.

A la fin des années 40, où les statistiques de l’Insee débutent, ces indépendants représentaient près d’un emploi sur trois. Leur place dans la société était donc centrale. Et pendant le demi-siècle qui a suivi, elle a reculé assez inexorablement. avec le net repli du nombre d’agriculteurs et l’exode rural qui l’a accompagné, ainsi que la transformation du commerce et notamment le développement de la grande distribution. En conséquence de quoi les enfants des indépendants de l’après-guerre sont venus grossir les rangs des salariés tout au long des trente glorieuses et encore ensuite, dans les décennies 70, 80 et 90.

En près de 50 ans, le nombre d’emplois indépendants a ainsi été divisé par trois. Et c’est à ce moment, au début des années 2000 que la dynamique va s’inverser et que ce statut que l’on croyait désuet va investir de nouveaux domaines.

A partir de son point bas de mi-2001, à 1,7 millions de personnes, l’emploi indépendant non agricole n’a cessé de se développer depuis, franchissant récemment la barre des 3 millions de personnes, ce qui représente près d’un emploi sur neuf.

Pourquoi dites-vous que nous vivons actuellement l’âge II du travail indépendant ?

Précisément en raison de ce rebond, qui n’avait rien d’évident après des années 90 dont les crises ont frappé deux des principaux piliers de l’emploi indépendant : l’agriculture et l’artisanat du bâtiment. C’est alors que la politique économique va agir pour inverser la tendance, avec des baisses d’impôts, qui deviendront plus tard des crédits d’impôts, qui ont incité les ménages à recourir à des prestataires de services pour des travaux à domicile, allant par exemple de la garde d’enfants aux travaux de jardinage.

Avec le temps, les indépendants vont également pénétrer de plus en plus l’entreprise, avec la servicisation croissante de l’innovation et plus largement de l’investissement. La transformation des entreprises va ainsi rimer avec externalisation et voir le formidable développement des services aux entreprises, au sein desquels un emploi sur 5 qui a été créé en 20 ans a pris la forme d’un emploi indépendant.

Enfin, l’emploi indépendant a également repris du poil de la bête, là où il avait précédemment reculé : dans l’artisanat et dans le commerce, ainsi que dans le transport. Les transformations de la société en sont ici les causes principales. Dans le bâtiment, c’est le poids croissant de l’entretien-rénovation qui frappe. Et dans un secteur qui construit de moins en moins du neuf et entretient de plus en plus de l’ancien, l’artisanat a toute sa place, notamment dans les travaux de rénovation énergétique. En parallèle, le développement de l’uberisation, qui relie consommateur final et prestataires de services au travers de plateformes, a également soutenu le développement de l’emploi indépendant.

Qu’est-ce que ces développements vous inspirent ?

D’abord que l’on est au-delà de l’effet de mode. Ce qui a fait le renouveau de l’emploi indépendant, qu’il s’agisse des incitations fiscales ou des transformations de la société, est pérenne. Nous sommes de fait entrés depuis quelques années dans le monde de la coexistence. Des personnes de statuts différents travaillent ensemble au sein de nos entreprises.

Le rapport au travail a évolué et, en conséquence, les passerelles entre salariat et indépendance se sont développées : le salarié a gagné en autonomie et en flexibilité, notamment au travers du télétravail, tandis que l’indépendant gagne en formalisation et en sécurisation, notamment au travers du portage salarial (un système au travers duquel l’indépendant signe un contrat de travail avec une entreprise de portage salarial, qui elle signe un contrat commercial avec l’entreprise cliente).

Autre preuve de ces ressemblances croissantes, les temps de travail, historiquement plus élevé pour les indépendants, ont tendance aujourd’hui à se rapprocher entre salariés et indépendants, et ces derniers ont davantage accès au temps partiel que par le passé.

En conclusion, il est frappant de remarquer les profondes mutations du travail ces dernières années, des mutations qui devraient se poursuivre sur fond de dynamisme du marché du travail français : au global, le taux d’emploi n’a jamais été aussi élevé depuis que les séries statistiques existent, à 68,8% des 15-64 ans au 1er trimestre 2024.

Merci Stéphane de vos explications, et merci à nos auditeurs.

Rendez-vous sur notre site internet, vous y retrouverez tout au long de l’année les analyses de notre équipe de recherche économique.

A très bientôt.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE