L’inflation et la hausse des taux d’intérêt ont entraîné un atterrissage de l’ensemble de la demande intérieure privée (ménages et entreprises), sans empêcher la croissance française de se maintenir sur un rythme modéré (1,1% en 2023, 1,2% en 2024 selon nos estimations), à la faveur d’une baisse des importations et donc d’une contribution positive du commerce extérieur. La croissance a également été soutenue par la production de services (l’investissement des entreprises en information et communication devrait même passer sous peu devant la pierre). Ce support devrait continuer de soutenir une croissance au global stable en 2025, à 1,2%.
La croissance française se serait maintenue en 2024 selon nos estimations. Un paradoxe, sachant que l’investissement des ménages et des entreprises se replie, tandis que la croissance de la consommation resterait aussi modeste en 2024 qu’en 2023, malgré la baisse de l’inflation et l’effet favorable ponctuel des Jeux Olympiques.
Pour autant, la croissance se maintient sur un rythme modéré (1,2% anticipé en 2024, après 1,1% en 2023). Du point de vue de la demande, cela s’explique par une forte contribution positive du commerce extérieur (estimée à 1,1 point), d’abord parce que la France importe moins (impact positif de la baisse de la demande intérieure, en bonne partie satisfaite par des importations) et, ensuite, en raison du rebond de deux de ses excédents commerciaux principaux (aéronautique, électricité). En considérant l’offre, la production de services explique seule la croissance, alors que la construction se replie nettement et l’industrie plus modérément.
La croissance devrait rester proche du rythme actuel
Le 1er semestre 2024 a été marqué par une stabilité en volume de la consommation des ménages, alors même que leur revenu disponible brut (RDB) nominal est resté bien orienté. Il progresserait même de 4,3% en 2024, selon nos estimations. Résultat, avec une désinflation désormais assez claire (2,2% a/a en août 2024, contre 5,7% un an plus tôt, selon l’indice harmonisé), le pouvoir d’achat des ménages (RDB réel) devrait avoir progressé de 1,5% en 2024 selon nos estimations. Une hausse du RDB réel, qui, combinée à l’atonie de la consommation, a favorisé une hausse du taux d’épargne (17,9% du RDB au T2).
Une sobriété sur les dépenses qui a eu un impact inattendu : le commerce extérieur français est devenu excédentaire en volume, dans les comptes nationaux trimestriels. Les importations de biens et de services sont passées en deçà des exportations depuis le T4 2023, et l’excédent n’a depuis fait que se renforcer pour atteindre près de EUR 3 mds au T2 2024. Cela peut surprendre tant la différence est forte avec ce qui ressort de la balance commerciale sur les biens telle que calculée par les Douanes (déficit de EUR 80 mds en 2024 selon nos prévisions). Mais ce chiffre est en valeur et n’intègre pas les services. L’effet prix est défavorable, comme à chaque fois que les prix de l’énergie sont élevés (ce qui reste le cas, malgré leur reflux récent). L’excédent sur les services a, quant à lui, peu évolué lorsqu’on le mesure en volume. La bonne nouvelle provient donc des biens, avec principalement les baisses des importations d’autres produits industriels (textile, biens intermédiaires, droguerie-parfumerie-hygiène) et de biens d’équipement. Ces diminutions reflètent tant un phénomène de déconsommation sur les biens (-4% par rapport à fin 2021), lié à l’inflation et qui persiste malgré la désinflation en cours, que la baisse de 4% a/a de l’investissement matériel (biens et construction) des entreprises non financières (ENF). En parallèle, le rebond des exportations aéronautiques et d’électricité a permis de rétablir les équilibres sur ces deux postes.
Au global, cet excédent commercial en volume devrait permettre à la croissance de rester proche de 1%, comme cela fut le cas en moyenne entre 2013 et 2015, dernière période où l’atonie de la demande intérieure s’était traduite par un excédent du même ordre. D’où une prévision de croissance qui serait de nouveau de 1,2% en 2025.
Le logiciel dépasse la brique
La situation financière des entreprises s’est détériorée depuis un an, certes à partir d’un bon niveau. Alors que leur valeur ajoutée s’est stabilisée, la hausse du coût du travail (directe par les salaires et les charges, indirecte au travers des impôts de production sur la masse salariale) explique la baisse à 30,8% au T2 2024 de leur taux de marge (contre 33,3% il y a un an), à comparer à un niveau moyen depuis 2010 de 31,1%. Le net ralentissement de la valeur ajoutée nominale et la pression sur les marges devraient inciter les entreprises à être plus conservatrices en termes d’embauches (avec une stabilisation prévisible de l’emploi, alors que des créations élevées prévalaient encore au T1) et de salaires (le salaire mensuel brut verrait sa progression ramenée de 2,8% en 2024 à 1,6% en 2025, selon nos prévisions).
En parallèle, la remontée de la charge nette d’intérêts des entreprises a grignoté leur épargne brute, qui, au T2, ne représentait plus que 80% de leur investissement (contre un ratio proche de 100% la plupart du temps depuis près de 10 ans). Il en résulte un besoin de financement potentiel record (hors variation de stocks) au T2 (près de EUR 7 mds, soit 6% de leur excédent brut d’exploitation, EBE) que les entreprises ont pu réduire (à 3 mds, soit 2,7% de leur EBE) justement en déstockant. Nous estimons que ce déstockage devrait retirer près de 0,6 point à la croissance française cette année, après déjà -0,4 point en 2023.
Si un besoin de financement est apparu, c’est aussi parce que l’investissement des entreprises n’a que partiellement diminué. Si l’investissement matériel se contracte de 4%, l’investissement immatériel progresse de 2,7% a/a (une tendance bien établie depuis près de 10 ans). Comme un symbole, l’investissement, en volume, en logiciel (information & communication, EUR 19,7 mds au T2 2024) des ENF devrait rapidement dépasser leur investissement en construction (en repli à 19,8 mds au T2), qui avait toujours été, jusqu’alors, leur principal poste de dépenses. Une transition vers les services, qui est également perceptible dans la consommation des ménages, et qui devrait continuer de soutenir la croissance en 2025.
Achevé de rédiger le 23 septembre 2024