Le Japon se dirige vers une année de croissance en manque de rythme. La demande intérieure reste contrainte, les salaires nominaux progressant moins rapidement que l’inflation. Par ailleurs, la politique commerciale des États-Unis, premier marché japonais à l’exportation, fait peser un risque baissier sur l’économie. L’ajustement monétaire mené par la Banque du Japon se poursuit avec prudence en raison des développements américain set de la fragilité de la croissance.
2025 : vers une panne de croissance
Croissance et inflationLa quasi-stagnation de la croissance en 2024 (+0,1%) masque une amélioration tout au long de l’année, avec une progression du PIB réel de +0,4% t/t au T3 et de +0,6% t/t au T4. Néanmoins, l’acquis de croissance négatif issu de l’année précédente (-0,3pp) et la contraction du T1 (-0,5% t/t) pèsent sur le résultat annuel moyen. Nos prévisions de croissance pour 2025 tablent sur un rythme trimestriel généralement nul, voir négatif. La forte exposition de l’économie japonaise aux bouleversements initiés par l’administration américaine sous-tend ces anticipations.
En effet, les États-Unis constituent la première destination des exportations japonaises de biens (cf. graphique 2). Celles-ci représentaient JPY 21,3 trillions en 2024, soit 3,5% du PIB nominal japonais. À ce titre, la décision américaine d’appliquer (à partir du 9 avril dernier) un « tarif réciproque » de 24% aux importations japonaises a constitué une source majeure de crispations la croissance du Japon. Celui-ci reste bien présent dans la mesure où, si le tarif réciproque est suspendu et remplacé par un niveau moindre de 10% pour 90 jours, un tarif sectoriel de 25% sur les automobiles (le tiers des exportations japonaises vers les États-Unis) s’applique depuis le 3 avril.
Un accord entre le Japon et les États-Unis est envisageable à court terme. Mais il est susceptible d’être conclu au désavantage de l’économie du pays et il n’effacerait pas totalement l’impact négatif sur la croissance des hausses des droits de douane. De plus, les effets indirects liés aux perturbations dans le commerce international, au climat d’incertitude et au ralentissement d’autres économies partenaires – principalement la Chine – persisteront probablement. Ainsi, les difficultés qui s’annoncent pour le secteur exportateur et l’impact négatif de l’incertitude sur l’investissement des entreprises seront les principales forces négatives qui freineront la croissance à court terme.
Salaires réels en berne
En janvier 2025, la croissance des salaires contractuels programmés a atteint +3,1% a/a, un record depuis 1992, soutenue par un taux de chômage à 2,5%. En revanche, les salaires réels peinent à progresser durablement (-1,8% a/a dans le même temps), ce qui constitue un obstacle à la relance de la demande domestique, via la consommation des ménages.
Les salaires nominaux devraient continuer de progresser de manière dynamique cette année. La confédération syndicale Rengo a annoncé la signature d’un accord sur une augmentation des salaires de 5,46% à l’issue des négociations annuelles pour 2025. Ce résultat constitue un record depuis 1991, et un progrès par rapport au chiffre déjà substantiel de 2024 (+5,1%). Plus avant, le résumé des opinions (janvier 2025) de la Banque du Japon (BoJ) indique, à moyen terme, un « basculement depuis la norme zéro », autrement dit la fin de l'atonie durable de la croissance des salaires nominaux, ce qui doit permettre, à terme, de nourrir la boucle salaires-prix.
L’inflation s’éloigne de la cible
L’inflation headline a récemment accéléré (de +2,3% a/a en octobre 2024 à +3,7% en février 2025), en raison de la hausse des prix de l’énergie (+6,9% a/a en février) et du riz (+80,9%). L’inflation sous-jacente (hors nourriture non transformée, passée de +2,3% à +3,0%) et l’inflation « new-core » (sous-jacente hors énergie, passée de +2,3% à +2,6%) ont augmenté modérément. En revanche, le prix des services, indice pertinent de la propension des ménages à consommer et à nourrir une boucle salaires-prix, peine à gagner en vigueur (+1,3% en février).
En outre, l’inflation sous-jacente devrait décélérer au fil de 2025, passant de +3,2% a/a au T1 à +2,7% au T4, avant de s’établir autour de la cible de 2% en 2026. La dynamique de l’inflation alimentaire fait toutefois peser un risque à la hausse. Bonne nouvelle : l’optimisme quant à la capacité du Japon à échapper durablement à la déflation transparaît dans le 10-year breakeven inflation rate (1,6% en moyenne en février, un record historique, avant 1,5% en mars).
Un budget plus élevé mais moins d’émissions obligataires en 2025
Le budget pour l’année fiscale 2025 (avril 2025 - mars 2026) a été adopté le 4 mars 2025 par la Chambre des représentants. L’absence de majorité absolue pour le Parti libéral démocrate a conduit à une réduction de JPY 300 mds du projet initialement adopté par le cabinet dirigé par Shigeru Ishiba, un évènement inédit depuis 1996. Dans sa mouture finale, le budget s’élève à JPY 115,2 trillions (+2,6% a/a), un record historique. Il inclut une hausse de +9,7% des dépenses de défense, ce qui en fait un budget expansionniste. L’accroissement des recettes fiscales, lié aux profits des grandes entreprises, permettra toutefois de réduire significativement les émissions obligataires (-24,2% a/a). Par ailleurs, il est probable qu’un budget supplémentaire soit voté compte tenu du risque baissier actuel sur la croissance.
Plus de hausses de taux avant 2026
La Banque du Japon (BoJ) a poursuivi son ajustement progressif de sa politique monétaire, avec une hausse à +0,5% (+25 pb) de l’uncollateralized overnight call rate en janvier avant une stabilisation en mars. Le processus, lancé en janvier 2024, devait se poursuivre sous la condition d’une matérialisation des prévisions de la BoJ : ces dernières incluent une prévision d’inflation sous-jacente à +2,4% pour l’année fiscale 2025 (débutant le 1er avril), avec des risques orientés à la hausse (contre +2,8% selon nos prévisions).
Cependant, nous anticipons une mise sur pause des hausses de taux pour ce qu’il reste de l’année 2025. La prudence de la banque centrale du Japon, liée à la fragilité de la demande et au risque de déstabilisation des marchés, sera importante, plus encore dans le contexte actuel d’incertitudes et d’un ralentissement annoncé de la croissance. L’ajustement monétaire reprendrait prudemment en 2026, avec un taux directeur attendu à +1,0% en fin d’année.
Le maintien d’une politique monétaire restrictive aux États-Unis devrait empêcher un renforcement du JPY, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour l’économie japonaise. D’après nos prévisions, l’USD/JPY se maintiendrait au-dessus de 150 en 2025.
Principales destinations des exportations japonaises (JPY TRN, 2024)
Démographie contraire
Le Japon fait face à un problème structurel de manque de main d’œuvre. Certes, la part des femmes (15-64 ans) a nettement progressé, passant d’environ 60% en début de siècle à 76% en 2024, ce qui permet au taux d’activité total d’atteindre 81,6%. Mais ces progrès butent sur la problématique de la démographie. La population des 15-64 ans décline depuis 1998, tandis que la part des 65 ans et + atteint 29% de la population totale - un record mondial. Cette offre de travail contrainte contribue à affaiblir la croissance potentielle que le Cabinet Office estime à +0,6% par an. En outre, le nombre d’heures travaillées a décliné au fil des années : la moyenne annuelle s’élevait à 1643 en 2024 contre 2064 en 1990, ce qui pèse à hauteur de -0,3pp sur la croissance potentielle.
Focus | Défis budgétaires
Le Japon se caractérise par le niveau d’endettement public le plus élevé au monde (en % du PIB), avec 251% en 2025 selon le FMI. Il devrait légèrement décroître à 245% en 2029 car l’inflation soutient le PIB nominal et les recettes fiscales devraient augmenter. En dehors d’une forte détention domestique, l’attrait pour la dette japonaise s’est accru avec la remontée des taux à 10 ans de 0% fin 2021 à 1,5% en mars 2025. Par ailleurs, la situation politique actuelle – gouvernement minoritaire, faiblesse de la confiance – constitue un obstacle à une éventuelle consolidation. Plus généralement, les gouvernements japonais sont confrontés à une situation ambivalente : d’une part, le niveau extraordinairement élevé du ratio de dette publique sur PIB suggère l’importance d’une consolidation ; d’autre part, la faiblesse de la croissance potentielle, celle endémique de la demande intérieure et le vieillissement de la population génèreront des dépenses nouvelles (pour y remédier) et compliquent toute consolidation qui aggraverait davantage la situation économique.
En outre, le changement de paradigme monétaire constitue une difficulté nouvelle pour le gouvernement japonais en matière de charge d’intérêts. À partir de 2013, la politique d’assouplissement monétaire (QQE, quantitative and qualitative easing) entreprise par la Banque du Japon a facilité l’absorption des émissions de dette, renforcé sa crédibilité auprès des autres investisseurs et maintenu les taux d’intérêt à des niveaux particulièrement bas, voire négatifs. Cependant, l’ajustement monétaire entamé en 2024 inclut la fin du contrôle de la courbe des taux et un plan de réduction de moitié du rythme mensuel d’achat de JGB par la BoJ à horizon 2026 (pour aboutir à JPY 3 trillions contre 4,4 aujourd’hui). Ainsi, en mars 2025, les rendements obligataires à 10 ans des JGB excèdent +1,5%, un plus haut depuis 2008. Par conséquent, la réduction de -0,7pp du déficit primaire, que nous anticipons entre 2024 et 2026, serait absorbée par l’augmentation de la charge d’intérêts et le déficit total évoluerait peu (-0,1pp à 2,7% du PIB).
Achevé de rédiger le 15 avril 2025